La vie d'un idiot/Engrenage de Ryūnosuke Akutagawa

La vie d'un idiot/Engrenage de Ryūnosuke Akutagawa

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique , Littérature => Nouvelles

Critiqué par Sissi, le 8 août 2013 (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 54 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 640ème position).
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"Dans ce récit, essaie- veux-tu- de rire de mon idiotie. »

Akutagawa était hanté par la folie de sa mère, et vivait dans le traumatisme permanent d’en avoir hérité.
Rongé par l’angoisse, insomniaque, sujet aux hallucinations, il souffrait également de tout un tas d’autres pathologies médicales, et ce douloureux cocktail, tous ces dérèglements psychiques et physiologiques font de cet auteur un être résolument fragile, au bord de la déraison.

Et c’est extrêmement palpable dans cette œuvre posthume ; très autobiographique, composée d' « Engrenage », où le narrateur (« je ») prend le train dans lequel un passager lui parle d’un fantôme en manteau de pluie, manteau de pluie que ce même narrateur n’aura de cesse de croiser au fil de ses pérégrinations, alors que le temps ne s’y prête pas.
L’atmosphère ce cette nouvelle est étrange, oppressante, anxiogène, et le glissement (l’engrenage) progressif vers la folie est extrêmement juste, sans doute grâce à la très grande finesse de la langue et l’absence d’explications sur ce qui se produit.

« La vie d’un idiot », encore plus autobiographique bien qu’écrite à la troisième personne, reprend le thème de la mort, de la terreur de la vie, à travers de tout petits textes aux titres évocateurs (« Mort », plusieurs fois, « Mensonge », « Jeu de feu », « Nuit », « Maladie », « Lassitude », le dernier étant intitulé « Défaite »).
Seule l’envie d’écrire maintient Akutagawa en vie, et sa culture littéraire, ses connaissances des livres prend une grande part dans le texte, (un des titres de « La vie d’un idiot » étant même « Strindberg »).
Mais, à l’instar de Pavese qui connaîtra la même déveine, la « défaite » arrive « La main qui tenait le stylo commençait à trembler », Akutagawa dit également de lui-même qu’il est la proie du « démon de fin de siècle », qu’il aurait préféré vivre au Moyen Age, quand l’homme s’en remettait à Dieu, chose qui lui est impossible.

Il met fin à ses jours en 1927, ce qu’il avait prévu puisqu’en exergue de « la vie d’un idiot » est retranscrite la lettre (qu’il a écrite à la personne à qui il a confié le manuscrit, lui laissant le soin d’en faire ce qu’elle voudrait) dont voici un extrait :

« Je vis à présent le plus malheureux des bonheurs. Mais, aussi étrange qu’il puisse paraître, je ne regrette rien. Je plains seulement ceux qui ont eu le mauvais mari, le mauvais fils, le mauvais père que je suis. Alors, adieu. Dans le manuscrit, je ne pense pas avoir, du moins consciemment, plaidé ma cause.
Une dernière chose : je te confie ce manuscrit à toi en particulier, car tu me connais, je crois, sans doute mieux que quiconque. (Du moins, une fois enlevée ma peau de citadin.) Dans ce récit, essaie- veux-tu- de rire de mon idiotie. »

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"... le fils d'une folle"

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 27 août 2013

Les deux nouvelles qui composent ce recueil sont particulièrement chargées en émotion car elles constituent les derniers écrits d’Akutagawa, le grand écrivain éponyme du plus prestigieux prix littéraire actuel du Japon, qui s’est suicidé, en 1927, très peu de temps après les avoir rédigés, laissant à un ami le soin de juger s’il fallait ou non les publier. Ces deux textes ne cachent rien des maux et souffrances qui affectent l’auteur, ils décrivent sa névrose, ses obsessions, les troubles qui l’affectent, les angoisses qu’il ressent et surtout la peur viscérale qu’il éprouve de sombrer, comme sa mère, dans la folie. Ce recueil pourrait étonnement être comparé à celui qu’Osamu Dazai a écrit – « Mes dernières années » - avant lui aussi de se suicider moins de dix ans après son glorieux devancier. Signe d’une époque, signe d’un malaise social qui affecte l’archipel au moment où le Japon rompt certaines des chaînes qui l’enferment dans un isolement forcé depuis des siècles ? Akutagawa a lui aussi brisé les chaînes, il insère dans son texte, tout comme Dazai, de très nombreuses références à la culture européenne, notamment à la littérature qu’il semble bien connaître. Sa référence suprême apparaissant être Auguste Strindberg et les persécutions qu’il éprouvait perpétuellement. Le narrateur lit « La confession d’un fou ».

Le préfacier ne laisse planer aucun doute sur le sujet des deux textes et annonce d’entrée, dans son propos introductif, le contenu et le sens des deux nouvelles réunies dans le recueil : « Les dernières, écrites en 1927, et publiées à titre posthume, sont poignantes : on y lit tout le désespoir d’un homme rongé par l’angoisse et hanté par la folie ». La mère d’Akutagawa est devenue folle et toute sa vie il a craint de devenir comme elle. « Qu’est-ce que tu veux, quand on est le fils d’une folle !.... »

Dans la première nouvelle, le narrateur qui pourrait aisément se confondre avec l’auteur, prend le train pour se rendre à un mariage et se retrouve sans cesse confronté partout où il va, même dans la seconde nouvelle, à un homme revêtu d’un grand manteau de pluie dégoulinant comme celui qui figure dans l’histoire qu’on lui a racontée chez le coiffeur et qui pourrait être la personnification de la mort. Il voit des signes partout, interprète chaque chose comme un signe néfaste, chaque événement comme un présage négatif. Il panique à l’idée de rencontrer son double, de le voir en face de lui, d’être confronté à lui-même et à ses névroses. Partout il voit des ailes : sur les paquets de cigarettes, la marque des voitures, …, les ailes de la mort…. « La mort me guettait, c’était visible, comme elle avait guetté le mari de ma sœur ».

Ce personnage avec son grand manteau pourrait personnaliser la mort qui voudrait emporter le narrateur - sur les ailes qu’il voit partout ? - qui se sent toujours poursuivi : les éléments se liguent contre lui, les objets se dissimulent, il éprouve des visions, ses yeux souffrent de troubles. Il fuit en une vaine course, toujours rattrapé par ses troubles qu’il ne peut pas expliquer, qui l’accablent et l’affolent. Il se sent constamment, comme Strindberg, persécuté par tout et tous mais il a conscience de sa névrose et qu’il l’impose aux autres. « Mais lui savait fort bien quelles étaient les racines de son mal : la honte de soi et la peur des autres ; les autres… - cette société qu’il méprisait ! »

L’issue finale et fatale ne peut être éludée, elle apparaît même évidente quand l’auteur met dans la bouche d’un de ses personnages le dernier message laissé par Radiguet : « les soldats de Dieux viendront me chercher ».

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