Colorado saga
de James A. Michener

critiqué par Poet75, le 26 août 2013
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
Passionnant
Michener s'est spécialisé dans le genre saga d'un Etat ou d'un pays (et, en règle générale, avec grand talent). J'ai déjà lu "Texas" et "L'Alliance" qui raconte la saga de l'Afrique du Sud. Chaque fois l'auteur mêle avec bonheur la grande et la petite histoire, les destinées collectives et les destinées individuelles. C'est toujours très réussi, bien écrit, captivant et fort instructif.
Pour ce qui concerne "Colorado Saga" cependant j'ai un petit bémol à formuler. Les 100 premières pages de l'ouvrage m'ont laissé quelque peu dubitatif. Michener se targue de raconter le Colorado avant même l'apparition de l'homme sur cette terre. Il est donc question de géologie mais aussi d'animaux et c'est là que le bât blesse car Michener n'a pas su échapper au piège commun, celui de l'anthropomorphisme. C'est d'ailleurs un comble que de tomber dans ce piège-là alors qu'on décrit un monde dans lequel l'homme n'existe pas encore!
La suite du roman, heureusement, est beaucoup plus intéressante. Dès qu'il est question des Indiens, puis de l'arrivée des blancs, on a affaire à un livre vraiment passionnant. Michener raconte l'histoire de manière très documentée mais sans jamais être pédant. Ce sont avant tout des histoires d'hommes avec ce qu'elles ont de lumineux et ce qu'elles ont de sombre. Car Michener rend parfaitement compte aussi de tout ce qu'il y a eu d'horrible et de mesquin sur cette terre: les massacres d'Indiens, le racisme anti-indien mais aussi anti-mexicain, les désastres écologiques, etc. Au bout du compte c'est un livre que je recommande fortement à tous ceux qui veulent en savoir un peu plus sur l'histoire des Etats-Unis en général et du Colorado en particulier.
Du sang, de la sueur et des larmes 9 étoiles

Du magma en fusion des premières pages de l’ouvrage, le lecteur passe aux ancêtres des chevaux montant au Nord pour franchir le détroit de Béring beaucoup plus large à l’époque, puis aux bisons qui suivent l’itinéraire inverse avant d’en arriver à l’homme dont nul ne sait quand il s’installa au Colorado. Quelques tribus indiennes ayant sans doute suivi le même itinéraire commencèrent donc à s’installer dans l’Ouest. Parmi lesquelles, « Notre Peuple », celle de Castor Eclopé qui vit enfin son destin changer quand enfin elle disposa des premiers chevaux volés à une tribu voisine. Puis ce fut l’arrivée des premiers trappeurs européens avec Pasquinel, le Français qui avait une femme indienne et quelques enfants métis dans la prairie et une femme blanche en ville. Il constitue une fine équipe avec un grand Ecossais aussi roux que sérieux dénommé McKeag. Mais un jour, les castors trop chassés commencèrent à disparaître. C’est alors que le lecteur assiste à la longue, lente et pénible progression vers l’Ouest du couple improbable formé par Elly l'orpheline et Levi, le Mémmonite mis au ban de sa communauté pour n’avoir pas su se comporter correctement avec une « allumeuse »… Bientôt, la fièvre de l’or s’empare des lieux à cause de deux balles de ce métal fondues par un Peau Rouge innocent. Mais très vite, elle retombe, laissant la place aux immenses exploitations d’élevage de taureaux. Le lecteur suit une équipe de cowboys ramenant du Texas sur plus de 3000 km de pistes hostiles un immense troupeau de bovins. L’élevage amena la culture, d’abord sur des parcelles irriguées puis sur d’immenses plaines sèches, avec des résultats mitigés. Quelques belles récoltes et des saisons catastrophiques par manque d’eau ou tempêtes de vent (le fameux « dust bowl ») qui ruinèrent les paysans qui s’y risquèrent…
« Colorado saga » est une immense fresque historique aussi vivante que passionnante s’étalant sur plusieurs siècles et millénaires et sur près de mille pages. Un pavé qui est très loin d’être indigeste tant les évènements, les rebondissements et les personnages sont nombreux. Michener a fait œuvre d’historien de vulgarisation. Il nous raconte toute l’histoire d’un État américain et même de pratiquement tout l’Ouest, mais de manière vivante et non académique. Il se sert de personnages emblématiques, hauts en couleurs et bien pétris d’humanité pour nous faire comprendre les différentes vagues d’immigration, les difficultés de la cohabitation avec les allogènes, ou les problèmes de gestion des ressources naturelles qui finissent par se poser. Celui de l’eau en particulier qui est traité à la fin reste particulièrement prégnant aujourd’hui. Donc rien de lassant ni de rébarbatif, la partie romancée permettant de maintenir l’intérêt selon les bonnes vieilles méthodes de notre cher Alexandre Dumas. Le lecteur apprendra mille choses passionnantes sur cette « conquête de l’ouest » qui se fit souvent dans le sang, la sueur et les larmes avec de courageux trappeurs et agriculteurs, mais aussi avec de fieffées crapules comme l’escroc comédien qui dépossédait les fermiers en se servant de son épouse dans l’arnaque du mari berné ou avec de gros abrutis inconscients qui chassaient le bison, le chien de prairie, l’aigle blanc ou l’ours juste pour faire des cartons ou pour avoir un trophée empaillé sur un mur. Les questions indiennes puis mexicaines sont traitées avec honnêteté, même si Michener considère que certaines colonisations comme l’australienne furent pires que l’américaine qui fut plus brouillonne et moins systématique dans l’éradication. Un génocide, quelle que soit la manière dont il fut pratiqué, restera toujours un génocide dans les siècles des siècles.

CC.RIDER - - 66 ans - 30 septembre 2022