L'Ombre blanche : Portrait de l'artiste en jeune vaurien
de Saneh Sangsuk

critiqué par SpaceCadet, le 4 septembre 2013
(Ici ou Là - - ans)


La note:  étoiles
Percutant
Après des études de littérature et de langue anglaise, usé et désabusé par l'existence erratique qu'il mène à Bangkok, Saneh Sangsuk s'enferme dans une maison isolée pour en ressortir deux ans plus tard avec un manuscrit comptant plus de 1000 pages. Seule la seconde partie de cette trilogie à saveur autobiographique verra le jour. 'L'ombre blanche' est publié pour la première fois (à compte d'auteur) en 1994, soi-disant pour 'tester le marché'.

Boudé dans son pays, il sera éventuellement traduit et admiré à l'étranger, tant et si bien qu'en 2008, Saneh Sangsuk se verra décerner l'insigne de Chevalier de l'Ordre des Arts et Lettres.

Il faut dire qu'à l'image de son auteur, 'L'ombre blanche' n'est pas un roman ordinaire. Au delà du récit d'une adolescence thaïlandaise dans les années '70, cette histoire, racontée avec le recul de quelques années, prend la forme d'une mise à nu, une confession déballée d'un seul trait par un être torturé, hanté par ses démons et dont l'image reflétée par les événements passés, semble devenue plus grande et plus terrifiante que la réalité; une image face à laquelle le narrateur hésite entre rejet et résignation.

'La nuit avance. Peut-être que dix ou douze comprimés de somnifère vont faire mon affaire. Ceci est ma nuit. Bienvenue à ma dernière nuit. Et l'aube demain sera sans doute ma dernière aube.'

Epousant une forme d'écriture à l'occidentale, ce premier roman révèle une plume dont la puissance n'a d'égale que l'esprit qui l'habite. D'entrée, on est ébloui par ces phrases qui, telles des fusées lancées dans la nuit, éclatent et retombent en gerbes de mots puis on est entraîné, presqu'enchaîné par le fil hypnotique de cette voix hors du commun.

De glissements spatiotemporels en jeux de perspectives, on traverse un monde peint avec une extraordinaire intensité, peuplé de personnages aussi vraisemblables les uns que les autres qui évoluent dans un univers marqué par la violence, la haine, la tendresse, la beauté, la laideur et la pureté.

Au vu d'une telle qualité, on ne peut que regretter de ne pouvoir apprécier ce roman dans son ensemble (les deux autres tomes le composant n'ayant pas vu le jour), d'autant que, pris seul, ce récit laisse apparaître un léger déséquilibre entre le sujet et le développement thématique.

Cela dit, voilà un premier roman percutant, annonciateur d'un grand talent.