Mauvais Genre de Chloé Cruchaudet

Mauvais Genre de Chloé Cruchaudet

Catégorie(s) : Bande dessinée => Adultes , Bande dessinée => Aventures, policiers et thrillers , Bande dessinée => Divers

Critiqué par JulesRomans, le 17 septembre 2013 (Nantes, Inscrit le 29 juillet 2012, 66 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (3 364ème position).
Visites : 5 635 

Plus fort que le chevalier d'Éon : récit d'un travestissement permanent

"Mauvais genre" est une BD tirée non d’un roman, comme l'écrit le dossier de presse, mais d’un livre d’historiens comme le dit l’auteure. Il est à noter que le livre "La garçonne et l'assassin" des deux historiens est paru en 2011 (et réédité deux ans plus tard). Fabrice Virgili, l’un des historiens, est l’auteur de "Viols en temps de guerre" que nous présentons ce même mois de septembre 2013.

Dans la "Fabrique de l’histoire" une émission "Nous n’irons plus au bois - La drôle d’histoire de Paul Louise et Suzy" de 54 minutes a été diffusée en juin de la même année et rediffusée en décembre 2011 (consultable jusqu’à la fin 2013 à http://franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-…).

La réalité est encore plus sordide que la fiction après que Paul Grappe devenu travesti se mette à fréquenter assidument le Bois de Boulogne, boire plus qu’abondamment (cinq litres de vin par jour disent les historiens), battre sa femme et priver son jeune fils tant d’affection que de médicaments, ceci paradoxalement après l’amnistie des déserteurs qui se produit en janvier 1925.

Cette histoire est la conséquence directe de la Grande Guerre, en effet après s’être vraisemblablement automutilé (se coupant l’index, mais sans que cela puisse être prouvé), Paul Grappe menacé d’être envoyé au front décide de déserter. On est en 1915 et durant dix ans (entre 24 et 34 ans) avec la complicité de sa femme Louise Landy, il va vivre travesti. Durant trois ans Paul Grappe revit en homme, mais ce nouveau bouleversement le met dans un état psychologique fort dramatique, ne sachant plus à quel sexe il appartient.

Deux choses à noter dans le décalage entre histoire et fiction, Louise Landy a un enfant de quelques années mais n’est pas enceinte au moment le plus tragique du récit. Au cours de l’année 1925, une partie des aventures de Paul Grappe après 10 ans de travestissement font la une de nombreux journaux. S’il est certain comme le déclare la page 137 que les lecteurs de "L’Écho de Paris" (et non "Les Échos de Paris") les lisent et s’il n’est pas impossible que les lecteurs de la "Dépêche du Midi" les connaissent, on est par contre estomaqué que soit évoqué un titre comme "Avant-garde et utérus" et que deux autres journalistes posent des questions où soit le vocabulaire pèche, soit le sujet de la question est incongru.

Autant imaginer que Paul Grappe se produise dans un cabaret fait partie de la licence romantique et est bien dans la psychologie du personnage prêt de 1925 à 1928 à valoriser à la moindre occasion son aventure passée de travesti (dont il sort d’ailleurs très douloureusement), autant cette collection d’anachronismes de la page 137 gâche légèrement un plaisir qui aurait pu être immense pour ceux qui ne connaissent rien des détails fort bien mis en scène d'un travestissement d’une rare théâtralité quoique n’appartenant pas au monde des tréteaux.

Les couleurs rappellent un peu celles d’un vieux film en noir et blanc où quelques objets auraient été colorisés pour souligner leur importance ; on a donc ponctuellement de l’ocre, du marron, du violet et du rouge. De très émouvantes représentations des rues de Paris et de l’univers cauchemardesque du front sont à souligner. Les visages ont des traits assez caricaturaux et cela aide à saisir l’évolution fréquente des sentiments de Paul et Louise.

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Belle surprise

8 étoiles

Critique de Kabuto (Craponne, Inscrit le 10 août 2010, 64 ans) - 1 mars 2015

Mauvais genre est surprenant ! D’abord par ses dessins aux traits remarquables et ensuite par son histoire insolite qui commence assez classiquement pour très vite prendre un détour beaucoup plus intéressant. Je ne savais pas à quoi m’attendre et j’ai été agréablement surpris par cet album à la fois beau et original.

De la théorie à la pratique !

9 étoiles

Critique de Blue Boy (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans) - 27 juin 2014

Une sacrée histoire que celle de Paul Grappe ! Curieusement, ce n’est qu’en refermant la dernière page que j’ai réalisé qu’il s’agissait d’une histoire vraie. Et pourtant je ne doute pas qu’un scénariste brillant ait pu concevoir un récit aussi incroyable, aussi dérangeant, aussi fascinant. Un gros pavé dans la mare fétide des opposants au mariage gay et autres paranoïaques redoutant un enseignement du plus « mauvais genre »… Et quand je dis « gros pavé », surtout ne pas se méprendre ! Car si pavé il y a, celui-ci est tout en finesse, servi par un joli dessin au pastel à dominante gris sépia parsemé de touches de rouge, pour évoquer d’une part le sang de la boucherie 14-18 et d’autre part la relation passionnelle et tumultueuse entre Louise et Paul ou encore la séduction un brin provocante. Au niveau du trait, on est presque plus dans l’esquisse, le but étant de faire ressortir les ambiances, les attitudes et les expressions des personnages, ce que Chloé Cruchaudet réussit avec énormément de talent. C’est vraiment très très beau à regarder et on se dit que les contours des cases auraient été superflus dans une histoire sur la relativité du genre…

Par ailleurs inspirée d’un roman, cette BD nous fait vivre la transformation physique et morale d’un homme qui au départ se travestissait uniquement pour sortir de la clandestinité. Un rien macho au départ, Paul va peu à peu découvrir sa part de féminité qu’il finira par assumer totalement et mettre en valeur en devenant la star des soirées olé-olé du Bois de Boulogne. Du coup, on se dit que ce n’est peut-être pas tout à fait par hasard si on disait de ces années qu’elles étaient « folles »… L’humour n’est pas absent et vient judicieusement contrebalancer la dureté de certaines scènes évoquant la Grande guerre au début de l’album, une guerre où par chance Paul n’aura (délibérément) laissé qu’un doigt pour éviter d’y laisser le reste.

Il va sans dire que « Mauvais genre » est un énorme coup de cœur pour moi, et incontestablement une des meilleures productions de l’année.

"Il est là ! Il se planque !"

7 étoiles

Critique de Antihuman (Paris, Inscrit le 5 octobre 2011, 41 ans) - 14 avril 2014

L'histoire d'un déserteur qui se travestit pendant la Grande Guerre, un peu comme une morue planquée... Donc un récit que tout-un-chacun voudrait bien vivre avec odeur sinon sentiment, quitter le monde moderne pour un temps et essayer d'autres personnalités, quoi de plus urgent ?

Ce roman graphique a choisi une illustration qui évoque, d'autre part, ces années-là sinon le style de Tardi. Toutefois Il est dommage que le spectre des couleurs soi un peu toujours le même, même si il est inutile de conter l'intrigue sous peine de révéler trop de détails qui nuirait au suspense.

Le tout vaut bien une gaufre et rappelle ces dioramas du passé que l'on payait 1 franc, tout en contenant assez de perfidie pour ne pas aborder toujours les clichés les plus éculés...


"Ha ! Ha !"

La guerre, le vingtième siècle, l'homme et la femme sous un angle original et dramatique...

9 étoiles

Critique de Shelton (Chalon-sur-Saône, Inscrit le 15 février 2005, 68 ans) - 24 novembre 2013

Une multitude d’ouvrages sortent en librairie sur cette fameuse Grande Guerre, celle que « préférait » Georges Brassens, la grande tuerie absolue, celle qui a saigné à blanc l’Europe entière… C’est vrai que cela devient difficile de pointer du doigt les meilleurs ouvrages, ceux qui transforment l’image que l’on peut avoir de ce conflit, ceux qui sont originaux et qui ne donnent pas l’impression de déjà vu, déjà lu… A ce titre, le choix de Chloé Cruchaudet d’adapter le livre de Fabrice Virgili et Danièle Voldman, La garçonne et l’assassin, est une prise de décision – de risque même – intéressante et du coup sa bande dessinée est originale, réellement hors des chemins battus…

Tout d’abord, un jeune homme, une jeune femme qui s’aiment quelques mois avant la guerre. Le mariage alors que le service militaire n’est pas encore terminé et, soudain, la guerre… Vous savez, il fallait reprendre l’Alsace et la Moselle, vite fait, quelques semaines de guerre, on va jusqu’à Berlin et on revient à la maison pour reprendre sa vie, son amour, son travail où on les avait laissés…

C’est ce que se disent Louise Landy et Paul Grappe … La guerre ne devait être qu’un épiphénomène de leur vie qui débutait sous les meilleurs augures puisqu’ils s’aimaient !

Les dessins de la guerre de Chloé sont très forts et elle joue avec les couleurs, plus exactement avec le manque de lumière : et soudain tout s’assombrit… Mais voilà, le bon soldat, le bon citoyen, l’homme courageux, n’a pas le droit d’avoir peur, ne doit pas fléchir, ne doit pas reculer, ne doit pas fuir ! Quand cela arrive, sous une forme ou une autre, c’est la honte, la condamnation, l’exécution…

Paul va perdre pied devant cette barbarie infernale. Qui, aujourd’hui, pourrait le condamner ? Qui pourrait être certain de rester courageux, fidèle et obéissant jusqu’à la mort sans faire preuve, même un instant, de lâchetés, vous savez ces petites reculades pour sauver sa vie ? Paul craque comme certains d’entre nous l’auraient fait, n’en doutons pas un seul instant… Il va fuir, va tenter de survivre à cela.

Comment ? En reprenant une vie presque normale, mais déguisé en femme. Mais comme l’amour est encore bien là, il va vivre avec sa femme et c’est le début de cette trajectoire bien particulière qui transforme une vie en drame…

Je ne veux pas vous en raconter plus pour vous laisser découvrir cette vie et ses dérives, ses échecs, ses bassesses et aussi ses curiosités, ses grandeurs… et, une fois encore, qui peut décréter ce qui est grand et ce qui est petit ?

Par contre, je peux dire que j’ai lu cette histoire avec beaucoup de plaisir, d’émotion. J’ai trouvé que nous avions là une narration graphique de grande qualité, efficace et légère, profondément humaine et touchante, parfaitement adaptée. J’ai retrouvé aussi la raconteuse d’histoires qui m’avait séduit avec Groenland Manhattan et qui m’avait moins convaincu avec Ida. Mais j’ai bien conscience que cela relève uniquement d’une question de goût et tous les goûts sont dans la nature, c’est du moins ce que l’on dit…

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