Réponse à Job de Carl Gustav Jung

Réponse à Job de Carl Gustav Jung
( Antwort auf Hiob)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Spiritualités

Critiqué par Saule, le 3 mai 2003 (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 8 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (794ème position).
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l'ambivalence Divine

L'éternelle question de la souffrance humaine avait trouvé une expression particulièrement poignante dans le livre de Job, un long cri de désespoir de l’humanité. Rappel des faits : Job est un homme intègre et juste. Satan, qui s'en revient de errer sur la terre, tient conseil avec Dieu et jette le trouble dans son esprit quant à la fidélité de Job. Dieu donne carte blanche à Satan afin de tester cette fidélité. Alors Job subit un véritable déluge de catastrophes: ses enfants sont massacrés, sa fortune disparaît, il se retrouve nu sur un tas d'immondices, grattant les pustules lépreuses avec un tesson de bouteille. A cela s’ajoute la douleur morale infligée par ses amis, qui, loin de le réconforter dans l'épreuve, soutienne que pour mériter un tel châtiment, Job a forcément du pécher. Mais pourtant, envers et contre tout, Job continue à soutenir que, lui, n'a rien fait qui justifie le châtiment qu'il subit. Il clame haut et fort son innocence, il ne veut qu’une chose : défendre sa cause devant Dieu.

L'exégèse traditionnelle considère que l’histoire se termine bien: Dieu finit par apparaître, il punit les amis de Job d’avoir mal parlé, il récompense Job pour sa fidélité. Mais pour Jung, il ne sert à rien de se voiler la face: le comportement de Dieu dans cet épisode - et dans bien d'autres - est excessivement amoral. Il vaut mieux regarder de face cette ambivalence Divine, cette figure de Dieu qui mêle le divin et le démoniaque. Je cite Jung dans son avant-propos : «Nous nous attacherons à la façon dont un homme élevé et éduqué chrétiennement de nos jours réagit aux obscurités divines qui se dévoilent et se manifestent dans le livre de Job […] Je me propose de décrire une réaction subjective, afin que résonne une voix pour tout ceux qui sentent de la même manière, et afin que s'exprime l'émotion suscitée par le spectacle - que rien n’estompe & de la sauvagerie divine et de son immoralité criminelle».

Nous voila prévenu : Jung lit les textes avec son affect, sans amortir l’impact de la violence déclenchée par la perception par l'homme de cette figure du Dieu qu’il est sage de craindre, pour éviter ses foudres divines. Il nous invite à nous soumettre à l’ébranlement émotif suscité par l'image du tout puissant au comportement parfois profondément amoral.

Jung parcourt d'abord l'ancien testament ; le livre de Job, les psaumes - et en particulier le psaume 89, dans lequel la fidélité de Yahvé était déjà mise en cause -, le livre de la Sagesse, Ezechiel, Hanoch (livre apocryphe). Au moyen de quelques extraits il nous guide dans sa pensée et cela est passionnant. L’épisode de Job, dans lequel Dieu subit une défaite morale, est un tournant: a partir de ce moment l’incarnation de Dieu en homme était devenue indispensable. Avec le nouveau testament et cette incarnation apparaît l’image du Dieu amour et bonté. Mais certains indices montrent que Dieu n’a pas renoncé à ses comportements amoraux : le sacrifice de son fils pour le rachat de nos péchés passe au yeux de Jung pour un acte tout à fait amoral (pour ne pas dire barbare).

Jung explore ensuite l'Apocalypse de Saint Jean et son explosion d'images violentes et sanguinaires: plus aucune trace du Dieu amour et bonté. Cette rage destructrice, cette débauche de violence et de sang, est un exemple de ce qui arrive lorsqu’on a refoulé le coté sombre de Dieu : celui-ci revient inévitablement de manière particulièrement violente. Lorsque les tensions entre le bien et le mal sont trop fortes, l'apaisement vient de l'unification des contraires. C'est la figure de la femme soleil, apparue dans une vision de l’Apocalypse, que Jung relie à la figure de la sagesse (la sophia), préexistante à l'univers, dont il est fait état dans le livre de la Sagesse. Ce qui lui fait dire également que le pape, lorsqu’il a proclamé le dogme de l’assomption - un dogme que Jung qualifie de capital - devait être dans un état de grâce. Il évoque enfin l’incarnation progressive de Dieu dans l'homme, avec l'action du Saint-Esprit.

Ce livre m'a intéressé au plus haut point. Tout d’abord j’ai beaucoup retiré de cette lecture subjective de la Bible, une lecture émotive, sans tentatives de diminuer l'impact de ce qui est dit. A l'opposé de l'église qui a, me semble-t-il, souvent tendance à édulcorer les textes, ce qui revient à en diminuer l'impact, et pire à nous demander d'abdiquer notre bon sens lorsqu’on ce qu'on lit ne va pas dans le sens de la doctrine. Rien de cela ici, c'est d'une très grande valeur.

Tout à fait abordable dans sa première partie, le livre le devient nettement moins dans sa partie finale et il sera nécessaire de se tourner vers d’autres ouvrages de Jung afin de tenter de comprendre sa pensée et sa position face à la religion (il y en a beaucoup, notamment un recueil de lettres sur la religion, paru chez Seuil récemment, « Le Divin dans l’homme » - critique à venir).

Un avertissement sur ma critique pour terminer: Jung, qui s'est vu attaqué aussi bien par les religieux que par les athées, s'est abondamment plaint que son propos dans ce livre avait mal été compris, et je ne fais probablement pas exception à la règle. Ma lecture et ma compréhension de cet ouvrage est subjective, à l'instar de la lecture elle aussi subjective de la Bible faite par Jung. La personne intéressée devra évidemment se faire sa propre opinion en lisant le livre.

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Que ce serait intéressant de parler à bâtons rompus

8 étoiles

Critique de Thomas Fors (Beloeil, Inscrit le 10 avril 2002, 88 ans) - 6 mai 2003

Les dernières interventions sont excellentes et elles m'apportent pas mal de réconfort, car elles sont vécues avec intensité.
Je ne suis pas libre penseur, mais bien penseur libre, et c'est différent ! Cela implique l'ouverture obligatoire à toutes les options imaginées ou démontrées. Toutefois il n'y a en effet que l'expérience personnelle(Thomas) qui puisse apporter des premières réponses à l'existence ou non d'un Dieu. Personnellement j'opte pour un condensé d'énergie première. Car l'énergie est. Alors ce zéro, c'est la somme de toutes les énergies possibles et imaginables par nous, qui sommes dépassés...
Bonne route à tous.

Autres considérations...

9 étoiles

Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans) - 5 mai 2003

Je comprends et je rejoins Leura quand il dit qu’il est ravi de te trouver dans la compagnie de Jung.
C'est un domaine assurément passionnant mais, reconnaissons-le, excessivement compliqué. Je pense notamment aux considérations très intéressantes des critiqueurs sur le tout et le rien : j'ai un peu de mal à appréhender ces notions, et je vais essayer de me procurer l'ouvrage de Grunzig et Diner. La citation suivante, d'Angelus Silesius et que Jung avait fait sienne, va dans le sens de Leura et Persée : "Je sais que Dieu sans moi ne peut vivre un moment", ou "Dieu est un Rien pur, nul maintenant, nul ici ne le touche ; plus tu cherches à le saisir et plus il t'échappe". Cette citation est reprise par Michel Cazenave dans sa préface au recueil de lettres sur les religions "Le Divin dans l'homme".
Dans l'avant-propos de « Réponse à Job », Jung nous met bien en garde du fait que lorsqu'il parle de Dieu, il parle uniquement de l'image de Dieu, image de Dieu dans la psyché (ce qu'il appelle un archétype), le reste dépasse ses compétences. Cela rejoint Paul Diel, pour qui Dieu est le nom donné par l'homme au grand Mystère, à l'insondable, et vouloir expliquer ce Mystère revient à le détruire.
Notons aussi, même si je m'écarte, que pour Jung l'expérience religieuse est indéniable et indiscutable, d'ailleurs il l'a vécue lui-même.
Mais, nous dit-il, "Je ne puis interpréter l'expérience intérieure dans sa réalité métaphysique, car cette réalité est par essence de nature transcendante et dépasse mes possibilités humaines" ("Le Divin dans l'homme", p. 43).
Pour terminer, et je cite toujours Michel Cazenave, à propos de l'expérience numineuse : "expérience du bouleversement que l'on vit lors du dévoilement dans l'âme d'une dimension inconnue, d'une puissance sans mesure, d'une présence transcendante à notre conscience habituelle, à notre personnalité normale [..] cette expérience ou nous éprouvons la présence de l'Autre que nous même ..". Cela complète joliment ce qui disait Leura à propos de Etty Hillesum.

Merci...

10 étoiles

Critique de Leura (--, Inscrit le 29 janvier 2001, 73 ans) - 5 mai 2003

Merci de cette intervention brillante, Thomas Fors. Tu te dis agnostique, mais qui ne l'est pas? Qui peut avoir une certitude en ce domaine, à part ceux qui ont expérimenté une expérience transcendantale? Nous pouvons nous faire une idée à ce sujet par une réflexion personnelle, mais ce ne sera jamais une certitude scientifique. Un doute raisonnable n'est jamais un défaut, seules sont condamnables les certitudes absolues non étayées par l'expérience, parce qu'elles mènent à l'intégrisme. L'intégrisme est violent, il veut s'imposer à toute force, c'est une sorte de cancer de l'âme. Il peut y avoir plus de spiritualité authentique chez un libre penseur que chez un catholique bon teint comme le relève brillamment Gabriel Ringlet dans son "évangile d'un libre-penseur" sous-titré "Dieu serait-il laïque?"
Ceci dit, tu ajoutes de l'eau à mon moulin en parlant de "fluctuations quantiques du vide". Personnellement, je suis fasciné par les travaux de David Bohm qui considère notre univers comme une projection tri-dimensionnelle d'un hologramme multi-dimensionnel. Oui, oui, nous rejoignons là le mythe de la caverne de Platon. Ce que je tente de partager, c'est une conception qui m'est propre, en espérant qu'elle pourra aider certaines personnes à se forger la leur. Je suis ravi de me trouver en compagnie de gens aussi fascinants que Jung ou d'autres encore.
Parfois, je me dis qu'il y a trois sortes de gens: ceux qui ont une croyance, ceux qui restent prudents et ceux qui savent parce qu'ils ont expérimenté. Seules ces deux dernières catégories m'intéressent.

Univers du tout et du rien

8 étoiles

Critique de Thomas Fors (Beloeil, Inscrit le 10 avril 2002, 88 ans) - 5 mai 2003

Je salue cordialement les personnes qui échangent des points de vue bien intéressants. Je n'ai pas lu le livre cité (je tente de l'acquérir dès que possible), mais je peux fournir une référence intéressante pour alimenter la discussion.
GRUNZIG et DINER : "Le vide, univers du tout et du rien", revue de l'Université de Bruxelles, 1998.
Vaste sujet. Mais le "Rien" n'est pas seulement une vue de l'esprit...Voir les fluctuations quantiques du vide ! En gros : que la valeur moyenne d'un champ soit nulle signifie non pas que le champ est mis à zéro mais qu'il oscille autour de zéro... Voir aussi le gigantesque trou noir découvert il y a peu de temps. Quelle différence entre la matière et l'antimatière ? Nous avons beaucoup à apprendre : nous oscillons autour du grand ZERO. Pour être honnête, je signale que je suis agnostique. Cordialement vôtre.

Le Tout et le rien

10 étoiles

Critique de Leura (--, Inscrit le 29 janvier 2001, 73 ans) - 5 mai 2003

Loin de moi l'idée de pinailler avec toi, Persée, mais je me sens interpellé par tes réflexions. D'abord, il n'est nul besoin d'être agrégé de philosophie pour comprendre que le tout et le rien, ce n'est pas pareil. D'ailleurs, la science nous enseigne que le "rien" n'est qu'une vue de l'esprit. A l'heure où les physiciens explorent de multiples dimensions de l'univers dont nous ne soupçonnons même pas l'existence parce qu'elles ne sont pas appréhendables par nos cinq sens, c'est une évidence.
Ensuite personne ne dit que Dieu n'existe pas en dehors du moi, Il est là et ailleurs, en chacun mais aussi dans les moindres recoins de l'univers. Ce que les hommes ont appelé "Dieu" et "Satan" sont des forces cosmiques qui les dépassent, auxquelles ils ont attribué le pouvoir de changer leur vie en bien ou en mal selon leurs besoins, et dont ils ont tenté de se concilier les faveurs. Toutes les religions découlent du besoin d'apprivoiser ces forces, et la libération de l'homme c'est justement de comprendre qu'elles sont en nous. Nous sommes bien d'accord pour dire que nous créons nous-mêmes notre bonheur ou notre malheur de façon individuelle ou collective. L'action d'un groupe humain peut rejaillir sur lui-même ou sur un autre, par exemple par les guerres, les famines ou les catastrophes naturelles que nous déclenchons par notre mépris pour notre environnement, mais là il ne s'agit que d'abus de notre liberté.
Dieu et Satan sommeillent en chacun, tout le monde peut être Gandhi ou Hitler. Je peux comprendre la réaction d'un athée effaré par l'emprise des religions sur notre société, quand on utilise Dieu pour justifier des massacres et des guerres coloniales, l'actualité récente nous l'a encore démontré. Le concept de "guerre sainte" est le pire des blasphèmes qui soit.

Tout est dans tout

8 étoiles

Critique de Persée (La Louvière, Inscrit le 29 juin 2001, 73 ans) - 4 mai 2003

Pour poursuivre la réflexion de Leura. Si Dieu est tout, il n'est rien. Comme dirait l'autre, tout est dans tout et inversément.Vieux débat de l'immanence et de la transcendance. Dire que Dieu n'existe pas en dehors de moi, c'est dire qu'il est moi, donc qu'il n'existe pas. Autant le savoir. Faut-il alors, comme le fait Leura,pousser le raisonnement et affirmer que les malheurs de Job (de l'homme)ne viennent que de lui-même ? C'est assurément souvent le cas. Mais, dans l'exemple de Job, les malheurs viennent de l'extérieur (de Dieu ou de Satan). Les a-t-il attirés à lui par son comportement ? Il faut admettre que les circonstances extérieures se foutent bien de la morale : un accident, une maladie, une guerre... Concilier ces circonstances néfastes avec l'idée de Dieu, là est - je présume - toute la difficulté pour le croyant. Le non-croyant n'a pas de problèmes de logique à ce propos. Sans doute n'en est-il pas plus heureux.

Le Tao

10 étoiles

Critique de Leura (--, Inscrit le 29 janvier 2001, 73 ans) - 4 mai 2003

A lire l'excellente critique de Saule, je pense à la notion du Tao, l'équilibre du yin et du yang. J'ai trouvé une idée intéressante dans "la cinquième montagne" de Coelho (mais oui !) Dieu n'est ni bon, ni mauvais, Il est. Il est le grand Tout, Il est nous et nous sommes Lui. Tout est Lui, et dire qu'Il est bon, c'est déjà Le réduire. Les religions ont introduit le dualisme, en le plaçant à l'extérieur, alors qu'Il est en nous, comme certains mystiques l'ont compris ou plutôt expérimenté. Je pense notamment à Etty Hillesum qui écrivait que quand elle priait elle s'adressait à cette part profonde en elle même que pour plus de commodité elle appelait Dieu. Si nous abandonnons cette notion de dualisme, et que nous réfléchissons en termes d'unité, on pourrait se dire que Job crée lui-même ses malheurs, et qu'il en recherche vainement la cause en dehors de lui-même. Nous sommes créateurs de notre réalité, et notre puissance est sans limites, dans le yin comme dans le yang, pour le "bien" ou pour le "mal". C'est là à mon humble avis le sens de notre liberté.

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