Un ouvrage exceptionnel et salutaire !!!

Il y a des bandes dessinées qui vont bien au de-là de la mission habituelle de raconter une histoire. Ces albums atypiques sont à la fois salutaires, humanistes, constructeurs, porteurs de réflexion, philosophiques… et qu’importe les mots puisque de toutes façons ce n’est qu’en les lisant que vous comprendrez pourquoi ils ne peuvent pas être catalogués autrement que « divers »…

Oui, la bande dessinée a grandi, a muri, et elle s’attaque maintenant à tous les sujets même les plus graves, les plus tragiques, ceux qui relèvent de l’absurdité de la vie, de l’humanité, de notre quotidien. Dans ces périodes où le mot « guerre » a envahi les média, que ce soit pour les critiquer, les décrire, les annoncer ou les retarder, l’ouvrage de Will Argunas, une fois de plus serais-je tenté de dire, frôle le génie narratif et atteint des sommets de réflexion, sans pour autant vouloir donner des leçons à qui que ce soit !

Tout part d’une affirmation époustouflante du ministère américain des anciens combattants : dix-huit vétérans d’Irak et d’Afghanistan se suicident chaque jour ! Bien sûr, c’est beaucoup plus que les décès au combat ! C’est ce que l’on appelle les conséquences des traumatismes antérieurs, c’est la difficulté à revenir dans la vie réelle, dans le quotidien. Ce n’est pas une nouveauté et les anciens se souviennent d’avoir connu des phénomènes du même genre après la seconde guerre mondiale, après les camps de concentration, après l’Indochine, après le Viêt-Nam… mais on avait oublié cela et à l’heure de la guerre propre, du zéro mort, du bombardement chirurgical, on avait oublié que l’être humain n’est tout simplement pas programmé pour faire la guerre !

Will Argunas va donc nous raconter une histoire banale de trois américains rentrant à la maison après un séjour à la guerre. C’est presque comme un retour chez soi quand on a travaillé à l’extérieur… enfin presque. Ces hommes, ces jeunes hommes, doivent se réinsérer, retrouver leur famille, leur travail, leurs amis… Mais, est-ce possible avec ce qu’ils ont vu, entendu, fait ? Y a-t-il un chemin possible pour redevenir « normal » ?

Ce n’est pas moi qui dois répondre et vous donner les solutions. Vous devez lire ce récit d’Argunas et comprendre ce que chacun des personnages vit, tente de vivre. Certaines scènes sont rudes, complexes et j’avoue avoir beaucoup réagi à cette lecture. Probablement que le fait d’avoir connu la guerre y est pour quelque chose… L’histoire d’Uriel, de Samuel, d’Andrew, c’est celle de mes amis et c’est aussi un peu la mienne… je pense à ces deux journalistes qui avaient connu les bombardements violents sur le Nord Viêt-Nam et qui m’en ont parlé pour tenter de me faire comprendre que la guerre est toujours sale ! Je pense à cet ancien d’Indochine qui s’est suicidé un jour, dans le désespoir complet en laissant une femme et quatre enfants…

Oui, on oublie trop souvent que ces guerres, décidées trop vite sur des coins de tables diplomatiques par des dirigeants qui n’y risquent pas leurs vies plongent les êtres humains dans des drames terribles. On pense souvent aux victimes collatérales – quel nom pour évoquer toutes les victimes innocentes d’un conflit – et avec Argunas on rencontre ceux que l’on a envoyés au combat, ceux qui ont pu être responsables des assassinats par erreur, ceux qui sont oubliés des populations dès qu’ils sont rentrés chez eux…

On trouve dans ce récit, aussi, le destin d’une femme et de deux enfants, qui n’ont pas vu rentrer leur mari et père, ce n’est pas plus gai et bien réel aussi…

Une extraordinaire bande dessinée que j’ai adorée et qu’il faut lire un soir où l’on a une pêche d’enfer !!!

• 

  Uriel, Samuel, Andrew

  de Argunas, Will (Illustrateur)
  Casterman
  ISBN : 9782203060777 ; 16,00 € ; 28/08/2013 ; 207 p. ; Album

  Go Amazon