La Compagnie des spectres
de Lydie Salvayre

critiqué par Rotko, le 5 mai 2003
(Avrillé - 50 ans)


La note:  étoiles
la valse à contre-temps.
Alors qu'un huissier procède chez elles à une saisie, deux femmes se lancent dans des monologues juxtaposés : la mère invective les dirigeants du régime de Vichy, responsables à ses yeux du massacre de son frère par deux miliciens enivrés ; la fille tente de faire taire sa mère et d'expliquer à l'huissier les discours incohérents de sa génitrice. Se superpose donc à la harangue grossière et répétitive de la première, le commentaire en langage soutenu de la seconde. Le but de l'ensemble étant de produire, par exemple un effet comique. Peine perdue !
La fille disait à sa mère "qu'elle en faisait trop", et on voudrait le dire à la romancière.
Si dans "la déclaration" le discours parodique suscitait parfois des éclats de rire, ici le lecteur ne sait plus sur quel pied danser. Au final, c'est l'ouvrage qu'il envoie valser, renonçant ainsi à comprendre l'hermétique épigraphe de Carlo Emilio Gadda ("Eros et Priape"). Lydie et moi, c'est fini :-).
Le naufrage d'une déchéance et d'un passé trop lourd 8 étoiles

La protagoniste vit donc un double drame, cela de la saisie judiciaire par l'huissier venant lui rendre visite, et le spectacle de la déchéance de sa mère, qui ressasse ses souvenirs de la guerre. Ce livre est à la fois terrifiant et émouvant. J'aurais préféré qu'il fût un tantinet moins familier, cela donne le commencement d'un comique de situation, mais qui devient assez vite scabreux, par moments. L'huissier en prend plein les oreilles, pendant que, froid comme un concombre, il continue son inventaire, pour voir ce qu'il peut saisir.
On ne sait pas toujours quelle posture adopter, face au ridicule, à ce naufrage, aux souvenirs effroyables de cette guerre immonde - si ce n'est pas un pléonasme - .
Ce roman agite donc beaucoup de choses contradictoires, et est à l'image de la vie. S'il est parfois quelque peu gênant, il reste assez bien fait, et fait réfléchir sur le sens de la vie, quand nos aînés ont tendance à le perdre.

Veneziano - Paris - 47 ans - 16 août 2013


Magistral ! 10 étoiles

Tous les goûts sont dans la nature…J’ai été surprise au plus haut point quand j’ai lu les deux premières critiques faites par Rotko et Jules. Quand j’ai fini ce livre, je me suis dit, ouf un cinq étoiles ! Un vrai ! Il faut dire que je savais où je mettais les pieds puisque les deux ouvrages de Lydie Salvayre que j’avais déjà lus font partie de mes moments de lecture inoubliables.
De ces livres (si rares) qui savent mêler profondeur, gravité, regard lucide, interrogations pertinentes avec humour et décalage dans la narration, des mésapropos (néologisme déposé.. puisque je ne sais comment traduire ces brusques revirements de tempo, ces bouts de phrase qui surprennent quand on s’y attend le moins et qui sont délicieux d’inventivité et d’intelligence).

Pendant l’occupation nazie en France, la grand-mère de la narratrice est choquée d’entendre dans un commerce du village deux hommes faire par écrit des délations au gouvernement de Vichy. Elle croit en Pétain et se décide donc d’une manière naturelle et très naïve de se rendre à Vichy pour l’informer des dérives du système. Elle va évidemment être transférée à la Gestapo et y subir ce qu’on devine. De retour dans son village, elle va invectiver "Putain" à chaque fois que l’occasion se présentera et sera donc fichée par tous les habitants. Le drame se produira lorsque son fils, frère de la narratrice, aura dix-huit ans. J’ai déjà trop dit de cette histoire mais je voulais donner envie de le lire.

Le thème principal du livre est la folie, cette folie si particulière qui naît de l’impossibilité pour certains de dépasser l’horreur vécue. Le roman traite aussi de la transmission des schémas psychologiques aux descendants (ici grand-mère, mère, fille avec en filigrane la question : quand cela s’arrêtera t’il ?) mais aussi porte une réflexion à propos encore de nos jours (malheureusement) sur la façon dont les institutions médicales tentent de soigner ces cas particuliers. En tant que psychiatre, le regard de Lydie Salvayre a donc, à mon sens, une légitimité supplémentaire.

Le prétexte de la narration est un huissier qui vient faire l’inventaire de tous les biens de la mère et de la fille suite à un non-paiement de loyer. Huissier muet, imperturbable, inatteignable à qui les femmes dévident toute l’histoire.

Pour vous donner envie de lire (ou surtout pas..), voici un extrait pour sentir le style de L. Salvayre :
« Le plus extraordinaire, glissai-je à l’huissier qui faisait l’inventaire du tiroir gauche du buffet avec méthode, ennui, perspicacité, circonspection, modération, méfiance, sérieux, flegme, prudence, dignité, placidité, promptitude, qu’ai-je oublié ? le plus extraordinaire, c’est que la mémoire de ma mère, au lieu de s’épuiser, s’enrichit et enfante sans cesse de nouveaux souvenirs. De nouveaux détails apparaissent à chacune des versions de cette année 43 si prodigue en désastres, tant et si bien que j’ai le sentiment que cette histoire où se mêlent inexplicablement un frère mort, une lettre de délation et les méfaits d’un maréchal Putain n’est qu’un tissu de mensonges fondé sur quelques faits réels, une histoire qui n’existe pas, n’exista jamais, et à laquelle elle me somme de croire, une fable funèbre qu’elle parfait chaque jour, qu’elle embellit ou dramatise pour se faire valoir et donner à sa vie le sel, le sang, l’éclat qui lui manquaient ». J’ai pris une page au hasard et tout est à l’avenant.
Vraiment un grand bouquin.
Je viens d’aller lire des infos sur l’auteure et découvre avec plaisir que le livre a été élu « Meilleur livre de l'année » par la revue littéraire Lire en 1997.
http://republique-des-lettres.fr/10024-lydie-salva…

Garance62 - - 62 ans - 21 mai 2009


Bien d'accord ! 4 étoiles

Un livre sans grand intérêt et que je me demande encore comment j'ai pu le terminer ! C'est lourd, c'est long ! Une fille qui élève sa mère, cela arrive plus souvent qu'on ne le pense, mais celle-ci m'a énervée bien plus souvent qu'intéressée. Un livre qui ne fera que passer, même s'il a obtenu le "Prix Novembre Cassegrain 1997" dont je n'ai plus jamais entendu parler depuis...

Jules - Bruxelles - 80 ans - 6 mai 2003