Du coeur à l'établi
de Michel-Olivier Gasse

critiqué par Libris québécis, le 26 septembre 2013
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
La Gang de chums
Les jeunes auteurs québécois s’inspirent de plus en plus de leur génération pour souligner la force et la fragilité de leurs pairs. Règle générale, ils s’en tiennent au quotidien de leur vie. La bande d’amis, les virées dans les bars, l’automobile s’ils en ont une, le travail qu’ils ont ou n’ont pas, la malbouffe qu’ils ingurgitent et les partenaires d’alcôve interchangeables. Leurs glandes produisent tellement de testostérone que ces jeunes risquent de mourir d’une surdose, plutôt d’une overdose pour se brancher sur leur langage. Bref, le chick lit au masculin se porte bien.

Matthieu Simard, l’ancêtre du genre, Alexandre Soublière, Nicolas Delisle-L’Heureux… suivent cette ornière. Michel-Olivier Gasse leur a emboité le pas avec Du cœur à l’établi. Tous ces auteurs miment le quotidien de la gang de chums (gang est féminin au Québec, chums des amis). La bière traîne sur les tables, le petit joint (cam) passe de main en main, les jeunes femmes les entourent à l’occasion. Il ne faut pas croire que ce sont des personnages désœuvrés. Pas du tout. « J’ai vu la mort et j’ai plongé dans la vie », affirme Manu, le héros du roman. Ils vivent tout simplement leur crise de la vingtaine. Et ils espèrent que leur avenir sera prometteur. En attendant la fin de leur initiation à la vie adulte, ils traduisent leurs désarrois en un langage aucunement angélique. Mais les p'tits christs en tabernacle (salopards en colère) sont quand même des bons diables. Ils ne feraient pas de mal à une mouche quoique la steam (vapeur) leur sorte des oreilles à l’occasion.

Comme l’auteur est guitariste de profession, son héros sera réparateur de guitares à l’emploi d’un obèse déprimé. Le tandem dépareillé forme tout même la paire pour le plus grand plaisir de ceux qui recourent à leurs services. La vie est douce pour Manu qui adore son métier. Avec ses deux frères, il habite un logement du même immeuble appartenant à leur père. Et il comble ses besoins affectifs avec Lou, une jeune femme du voisinage. Bref, il nage dans un insouciant bonheur.

Un ciel sans nuages se couvre toujours. La pluie vient avec les amis. Manu l’apprend à ses dépens en offrant son amitié à Paré, un sauveur qui l’a libéré d’un automobiliste qui tentait de le rosser alors qu’il circulait à vélo. Cette nouvelle amitié ouvre les perspectives de ce jeune confiné jusque-là à la routine. Il s’implique dans les combines douteuses de ce Paré, dont les fréquentations sont peu recommandables. Il adopte ainsi une conduite qui dilate son expérience de la vie. L’horizon s’élargit en aval, mais l’amont confortable se rétrécit en prenant le large. Et le voyage s’annonce périlleux. Quand même nous dit Manu : « Je me suis mouillé et j’ai peur que ça se mette à me manquer. »

Comment s’en sortira-t-il ? Le dilemme de ce roman urbain s’enchevêtre dans des péripéties menées à un train d’enfer sur un fond musical comme au cinéma. Un malheur n’attend pas l’autre. Les rebondissements ne font pas fi du background social et psychologique de Manu. C’est un homme sensible, attaché aux siens et fidèle à ses amitiés. « Je me suis fait des amis que je n’ai pas choisis et j’ai la ferme intention de les garder pour de bon », précise-t-il. Le roman en est donc un d’amitié entre hommes au premier chef. Les femmes, plutôt accessoires, sont les consolatrices de ces dudes (mecs), qui officient à une messe nombriliste. Bref, ça colle aux besoins de l’heure sans s’incruster dans un univers plus large.

Ça plaira aux jeunes fans de musique, mais d’aucuns sourcilleront en lisant cette œuvre éclatée autant aux plans de la forme que de l’écriture. Ça manque de discipline, voire même de la part d’un réviseur incapable de conjuguer les verbes. Comme la narration est au je, on parcourt sans cesse des « je lit, je dit », etc.