Mort d'un personnage
de Jean Giono

critiqué par Jules, le 7 mai 2003
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Une merveilleuse écriture au service d'un grand réalisme
Nous retrouvons un Angelo Pardi, mais il s’agit du petit-fils du héros du « Hussard sur le toit ». Nous retrouvons aussi Pauline de Theus, la jeune fille du « Hussard » qui est maintenant la grand-mère du petit.
Le père d’Angelo a perdu sa femme et vit avec son fils, à Marseille, dans une institution pour aveugles qu'il dirige. Un soir, le petit Angelo voit une vieille dame assise sur un banc. Le réverbère n’éclaire que modérément et, quand il s’approche d'elle, elle lui demande : « Comment t’appelles-tu, petit garçon ? . - Angélo Pardi, répondis-je. – Mensonge ! dit-elle violemment. C'était ma grand-mère. » Evidemment, Madame de Theus ne voit pas en lui l'homme qu’elle a aimé à la folie des années auparavant et qu'elle ne cesse de rechercher sur cette terre, alors qu'il est décédé depuis des années.
Angelo et sa grand-mère vont faire de très grandes promenades ensemble dans Marseille. Elle est toujours superbement habillée, est encore très belle, malgré ses soixante-quinze ans, et a une allure qui fait que les gens se retournent sur elle. Il n’empêche, elle est dans un autre monde : celui de son Angelo qu'elle attend de rejoindre. Le jeune Angelo pense : « Qui sait si, avec cette obstination que je lui connais, elle n’a pas cherché et réussi à trouver quelque faille dans ces derniers pans de terre qui la séparent de ce qu’elle a éperdument poursuivi ? Qui sait si elle n'est pas la bouche collée à une fissure imperceptible en train de l’appeler ? Et qui sait surtout si, de l'autre côté, on ne lui répond pas déjà ? Peut-être est-elle enfin de nouveau en train de boire le souffle brûlant de celui qu’elle a perdu. »
Vingt ans plus tard, Angelo revient d'un long voyage en bateau et trouve sa grand-mère incapable de manger seule, gloutonne, tyrannique, mais surtout totalement incontinente. Le médecin lui explique qu'il est non seulement nécessaire de la laver constamment, mais surtout que cela devrait être fait avec amour et non mécaniquement comme le fait la femme engagée pour cela. Angelo a un geste de recul : il a un tel amour, un tel respect et une telle image de sa grand-mère, qu'il s’estime totalement incapable de faire cela !
Mais après un premier refus, il va se ressaisir et se dire : « J'avais très bien compris qu’il était inutile de l’aimer pour moi et que la seule chose utile à faire était de l’aimer pour elle-même. Il fallait faire disparaître tout son appareil romantique qui m’embarrassait et sous lequel elle était condamnée à pourrir vivante. Telle que je l'avais connue, elle devait disparaître.. Il ne s'agissait plus de l’aimer pour ce qu'elle me donnait ; il s’agissait de l’aimer pour lui donner. Il fallait la voir de façon très objective pour pouvoir, précisément, faire exactement les choses indispensables à son bonheur. C'était ça, l'amour. Que c’était difficile ! » Mais il y arrivera !. L’amour qu'il a pour cette femme le fera aller jusqu'au bout !
La seconde partie de ce livre est loin d'être gaie, mais quelle finesse d’analyse, quel réalisme dans l’écriture et les sentiments !. Du très grand Giono !
Mais après tout, ses autres chefs-d'œuvre qu’étaient « Le hussard sur le toit » et « Le grand troupeau » n’étaient pas plus gai, mais quelle puissance !… Il me semblerait dommage de sauter cette partie de l’oeuvre de ce grand écrivain pour ne retenir de lui que le merveilleux conteur de la Provence.