Opération Shylock : Une confession
de Philip Roth

critiqué par Jules, le 20 janvier 2001
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Plein d'humour, intelligent et secouant
Stop !… Arrêtez tout, deux minutes !… Voilà : vous vous appelez Philip Roth et non plus X, Y ou Z.
Votre téléphone sonne, c’est votre cousin Apter qui vit en Israël, et voici un morceau de la conversation : " - C'est toi Philip ?… - Oui, comment vas-tu ? - Je t’appelle car je ne comprends pas que tu sois en Israël, alors que quand tu viens ici tu loges toujours chez nous. Dis, pourquoi pas cette fois-ci ?. - Mais puisque tu m’atteins à mon numéro de New York, c’est que je suis ici, à New York et pas en Israël !. - Mais la radio, viens d'annoncer que tu assistais ici au procès de John Demjanjuk !. - Mais c'est faux ! Tu le vois bien, je suis à New York !… C'est quoi cette histoire ?. "
Arrêtons le jeu ici : vous redevenez X, Y ou Z et Philip Roth est Philip Roth. Imaginez l'étonnement qui doit être le sien !… De quoi être secoué, non ?… Oui, le héros de ce livre, c’est Philip Roth en personne. Il sort justement d'une assez grave dépression et a encore les nerfs un peu ébranlés… Ce n’est pas cette conversation qui les lui remettra en place !.En effet, la presse israélienne confirme que le célèbre écrivain juif américain est bien à Jérusalem et a assisté au procès l'après-midi. Roth n’y comprend plus rien !. Cette histoire le chipote et il se décide à partir réellement pour Israël. Là-bas, il apprendra que, non seulement il est exact que " Philip Roth " assiste au procès Demjanjuk, le bourreau de Treblinka surnommé Yvan le Terrible, mais en plus, qu’il fera une tournée de conférences. Philip Roth en est tout retourné et découvre, qu'en effet, il a un sosie qui utilise son nom et se sert de sa renommée d'écrivain pour faire passer ses idées. Et ces idées, c'est quoi ?… Accrochez-vous les bretelles !… Tout simplement que les juifs d'Israël, d'origine européenne, doivent faire le trajet inverse de celui fait il y a des dizaines d'années !… Presque un " Exodus " avec Gdansk pour objectif !. Incroyable !. A en avoir les jambes coupées !… Ce " Philip Roth " va jusqu'à prétendre qu’il a l'accord du gouvernement allemand, polonais et d’autres pour les aider à se réinstaller dans leurs pays d'origine !. Un jour, Philip Roth, le vrai, aura ce sosie au téléphone et lui dira qui il est. L’autre n’en sera en rien démonté pour autant !… Ils se croiseront même dans un hôtel et le " faux " lui serrera la main tranquillement, comme si de rien n’était !… Sur fond de Jérusalem, du procès Demjanjuk, Philip Roth, le vrai, va se retrouver embarqué dans une aventure qui mêlera le Mossad, les Palestiniens, le faux " Philip Roth " et sa fille et bien d’autres personnes. Vous pensez le raffut que de telles théories pourront provoquer à tous les niveaux en Israël !. Pas courant, dans un roman, d’avoir pour personnage principal le romancier lui-même !… Pis encore !… Vous ne saurez jamais si cette histoire est vraie ou si elle est une invention de Philip Roth l'écrivain !…
Lisez sa préface, et lisez la dernière ligne de sa " Note au lecteur ". En tout cas, sautez sur ce livre hors du commun et plein de suspense !. Ce que je viens de vous raconter n'est qu’un minuscule aperçu de ce qui vous attend !…
Narcissisme et autosuffisance 6 étoiles

On cerne assez rapidement ce que, avec Opération Shylock, Philip Roth a voulu réaliser : une réflexion sur le moi, sur le rôle de l'écrivain, sur le conflit israélo-palestinien et sur l'identité juive.
Pour ce qui est de la réflexion sur le sujet, elle se trouve être un condensé assez impressionnant de narcissisme et d'autosuffisance; c'est que Philip Roth adore être flatté et mettre en scène des personnages qui l'admirent et qui le tiennent en haute estime. Il apprécie d'ailleurs particulièrement qu'on lui parle de son prix Nobel, qu'il n'a pas encore reçu mais pour lequel il est cité dans les favoris chaque année.
Quant au conflit israélo-palestinien, il ne prend pas position, mais j'ai comme la désagréable impression qu'il a tenu à ce que les personnages défendant la cause palestinienne soient particulièrement caricaturaux, incapables d'émettre un raisonnement sensé.
L'intrigue, qui aurait pu être intéressante, était trop souvent coupée par des considérations sur la véracité des faits, certainement dans le but de donner l'illusion du réel, qui alourdissent le récit. De même pour les dialogues, qui sont souvent bien peu réalistes, avec des monologues de 6,7 voire 8 pages...
Un roman, donc, que j'ai trouvé agaçant sur plusieurs aspects.

OC- - - 27 ans - 16 août 2014


Qui suis-je? 8 étoiles

Qui suis-je?

Janvier 1988. Philip Roth, qui sort d'un dépression liée aux effets secondaires d'un somnifère, doit partir en voyage en Israël. Alors qu'il est toujours à New York, un ami l'appelle de Jérusalem. Un sosie se fait passer pour lui et prêche le retour des juifs ashkénazes en Europe de l'est.
Philippe Roth appelle puis rencontre l'imposteur dès son arrivée dans la ville sainte. Ce double manifestement fou n'est que le premier d'une suite de personnages tous plus allumés les uns que les autres ...

Ce roman est d'abord un récit abracadabrant qui mêle un univers légèrement kafkaïen au croustillant humour absurde de l'auteur dont le summum est une charte des Antisémites Anonymes …
Il décline aussi de multiples réflexions sur l'identité juive,la justice et la culpabilité, le destin d'Israël, le sort des palestiniens, et bien plus généralement le sens de la vie.
Qu'il est agréable de lire sous la plume d'un juif libéral la critique intelligente et acerbe des protagonistes du conflit israëlo-palestinien.
Mais le style vif et rythmé est hélas ponctué de longueurs liés à la propension de l'auteur à ne pas limiter son impétueux débit verbal.

Roman original, loufoque, profond, et trop long, Opération Shylock est la création d'un écrivain mature au sommet de son art, mais qui se laisse un peu aller...

Poignant - Poitiers - 58 ans - 22 décembre 2010


La double confession d’un narcisse des lettres 7 étoiles

Raisonnablement distrayant, « Opération Shylock » vaut surtout pour son sous-titre.
Roth nous livre en effet une confession de premier choix, aidé en cela par l’inénarrable Pipik, le deuxième Philip Roth, muni d’un pénis artificiel ( on ne doute pas, connaissant l’animal, que l’impuissance est une des grandes préoccupations du vrai Philip Roth) et d’une idéologie, le diasporisme, visant au retour des juifs ashkénazes en Europe.

En fait, la confession de Roth est double : elle touche d’une part à la judéité et aux problèmes qu’elle pose et, d’autre part, à la passion d’écouter et d’écrire des histoires.
Sur sa judéité d’abord, Roth se veut être un juif libre, profondément attaché à Israël mais en même temps conscient des souffrances et des humiliations infligées aux palestiniens dont les meilleurs éléments, tel son ami Ziad, finissent par sombrer dans une sorte de folie paranoïaque. Le personnage de Smilesburger, agent secret israélien, retors s’il en est, traduit l’ampleur des interrogations de l’auteur : quels sont les devoirs d’un juif envers Israël ? Doit-on tout accepter sous prétexte qu’il en va des intérêts de la patrie des juifs ? Cela sonne juste ; Roth est convaincant grâce à une grande humilité doublée d'une toute aussi grande lucidité. En plus la problématique se marie parfaitement avec son style fait de pirouettes successives.

En revanche, dès qu’il aborde son travail d’écrivain, qu’il tente de faire du lecteur son confident, en expliquant notamment qu’il n’a plus la maîtrise de son intrigue du fait des irruptions de Pipik et de Smilesburger, je le trouve nettement moins convaincant. On sent la fierté de l’écrivain reconnu, parfois adulé, qui oublie de douter. Il faut toutefois reconnaître, à sa décharge, que faire quasiment l’unanimité chez les critiques et chez une bonne partie de ses confrères ne pousse pas à la modestie. Tout le monde ne s’accorde-t-il pas à dire que Philip Roth est un écrivain exquis, cultivé, drôle, gentiment "obsédé par la quéquette", qui mériterait le prix Nobel ?

Montgomery - Auxerre - 52 ans - 9 septembre 2006


Quel humour ! 9 étoiles

Philipp Roth qui se livre à de l'auto-dérision, c'est vrai que cela vaut le détour. Et, pour cela, il prend des méandres pour le moins originaux, un sosie parfait, presque un jumeau caché, qui est son homonyme (!!!), et qui prétend, sous l'identité du romancier, que le sionisme est dangereux pour Israël, et se fait le chantre du diasporisme, à savoir la théorie favorable à l'éparpillement des Juifs, en vue de leur propre sécurité. Cela fait un peu curieux de lire cela pendant le conflit avec le Liban.
A partir de là, il est dur de résumer ce roman, tant il y a d'événements, de rebondissements. Comme souvent, il est assez complexe, mais, du même coup, qu'est-ce que c'est riche ! Que d'analyses psychologiques, et de haute voltige ! Ici, c'est d'autant plus plaisant que la majeure partie des personnages paraissent irréalistes et l'intrigue improbable.

Assez phénoménal, bien que très touffu, ce qui peut déconcerter, et un tantinet trop long.

Veneziano - Paris - 46 ans - 20 août 2006


Merci Jules 10 étoiles

Il est vrai que la littérature contemporaine américaine, je la découvre peu à peu et ce que je découvre me plaît énormément. Après avoir été une inconditionnelle de la littérature anglaise, me voilà qui me tourne vers les américains. John Irving et Paul Auster sont parmi mes écrivains favoris et voilà que s'y ajoute Philip Roth. (J'ajoute au passage que Siri Hustvedt, l'épouse de Paul Auster vaut vraiment le détour elle aussi).
Je vais suivre tes suggestions, Jules, pour découvrir à mon rythme cette littérature américaine que tu connais si bien. Je te remercie pour ces conseils.

Féline - Binche - 46 ans - 18 juin 2003


Philip Roth... 9 étoiles

Merci Féline d'avoir aimé ce livre et de le dire aussi bien. Avoir découvert cet auteur c'est avoir encore plein de belles heures de lecture devant soi ! "Portnoy et son complexe" a été classé en 99 dans les 50 meilleurs livres du siècle dans un sondage réalisé en France. Et il n'avait pas encore écrit "La tache"... Si le goût du roman américain contemporain devait te venir, et pour varier, pourrais-je me permettre de faire un coup de pub pour Jim Harrison ? "Dalva" figurait dans cette liste aux alentours des 25 meilleurs et depuis il a encore écrit "La route du retour" une suite de Dalva et tout aussi belle !... Et il y en a tellement d'autres ! Comme Cormac McCarthy, McCann, McInerney, Auster, David Treuer, Tristan Egolf, Russell Banks... Une simple suggestion, évidement, et une sélection subjective...

Jules - Bruxelles - 80 ans - 18 juin 2003


Originalité et imposture 10 étoiles

Voilà un livre qui m'attendait sagement dans la bibliothèque et que je reportais toujours à plus tard. Et quelle erreur! Jules a fait une nouvelle adepte de Philip Roth.
L'écrivain réussit avec ce roman un véritable tour de force littéraire. L'idée de se mettre lui-même dans la peau du personnage principal est époustouflante et d'une originalité difficilement égalable. Et cette histoire d'imposture accentue encore cette originalité. Imposture pour "Philip Roth" qui se retrouve face à son double mais aussi pour le lecteur, qui tout au long de sa lecture s'interroge : "Mais quelle est donc la part de vérité? Est-ce réellement autobiographique?".
J'avoue que le conflit israélo-palestinien m'échappe beaucoup. Notamment, car je n'étais pas née lorsqu'il a éclaté. J'ai longtemps voulu lire un livre m'expliquant les tenants et les aboutissants sans jamais passer à l'acte. Ce roman m'a apporté quelques réponses, car comme le souligne Pistache "il arrive à insérer dans son livre à peu près toutes les opinions possibles sur le problème israélo-palestinien".
C'est sûr, je lirai d'autres romans de Philip Roth, et notamment "Portnoy et son complexe", pour essayer de mieux comprendre les rapports parfois conflictuels qu'il entretient avec le judaïsme.
Certains critiqueurs le trouvent parfois redondant. C'est vrai qu'on peut lui adresser ce reproche. Mais moi, j'y vois plutôt une capacité de virtuose à développer et faire des envolées littéraires de plusieurs pages à partir d'un fait mineur ou qui pourrait se résumer à une ligne. Bref j'ai adoré et ce livre va trouver sa place dans mon top 10.

Féline - Binche - 46 ans - 17 juin 2003


Du suspense, de l'intelligence, de l'humour, que demander de plus? 10 étoiles

Tout à fait d'accord avec Jules, ce livre vaut vraiment la peine d'être lu. Je le considère même comme le meilleur livre de Philip Roth que j'ai lu jusqu'ici. Je ne vais pas revenir sur l'histoire, Jules l'a déjà très bien décrite. Juste quelques mots pour vous dire qu'en effet, si vous vous laissez prendre par cette histoire, vous découvrirez une passionnante histoire de doubles qui vous tiendra en haleine jusqu'à la fin (qui vaut la peine rien que dans son pesant d'énervement qu'elle suscite chez le lecteur -mais pas le style d'énervement que suscite une fin bâclée, non non... mais je ne peux vous en dire plus. Comme (presque) toujours chez Roth, la psychologie des personnages est magnifiquement fouillée, intelligente, non clichée, révélatrice du monde et de soi-même. Il y a aussi son humour qui vient colorier cette histoire d'imposture avec brio. Si bien, qu'on pourrait presque en oublier qu'il arrive à insérer dans son livre à peu près toutes les opinions possibles sur le problème israélo-palestinien, sans qu'on ait jamais l'impression de lire un essai sur la question, mais bien un roman ayant toutes les qualités d'un bon roman! Surtout, que ceux que la politique effraie, ne laissent pas celle-ci les écarter de ce livre qui est bien plus que cela, qui est à mes yeux un des meilleurs livres que j'ai lu!

Pistache - Bruxelles - 51 ans - 6 août 2002