Sonnez donc Jeeves !
de Pelham Grenville Wodehouse

critiqué par Fanou03, le 11 octobre 2013
(* - 49 ans)


La note:  étoiles
Les nouveaux riches
Une fois n’est pas coutume, Bertram Wooster s’est séparé provisoirement de son fidèle majordome Jeeves. En attendant de reprendre du service auprès de son maître, Jeeves officie pour Lord Rowcester (William de son prénom), jeune aristocrate un peu écervelé qui a la lourde tâche d’entretenir une abbaye, berceau historique de sa famille. Hélas, la crise financière et l’évolution sociale sont passées par là : les finances de William sont catastrophiques. L’abbaye prend l’eau, au sens propre comme au figuré ! L’arrivée inopinée de la belle Mrs Spottsworth, riche américaine, qui est tombée sous le charme de la bâtisse, lui permettra peut-être enfin de vendre ce bien encombrant. Mais William doit trois mille livres, perdues dans une course de chevaux, au sanguin Capitaine Plugrend. L’officier déboule à l’abbaye, très en colère, et prêt à tout pour récupérer très rapidement l’argent qu’on lui doit...

Ce « Jeeves » là est un peu atypique si je le compare au deux précédents que j’ai déjà lu. Tout d’abord, Bertram Wooster, le traditionnel narrateur, n’est pas présent dans l’histoire qui se raconte du coup à la troisième personne du singulier. Ce changement de point de vue donne un ton assez différent. Jeeves, quant à lui, paraît beaucoup plus présent dans la construction de l’histoire et a fort à faire avec le redoutable Capitaine Plugrend. L’officier sera en effet bien plus d’une fois à deux doigts de faire perdre le flegme mythique de notre majordome préféré. Le capitaine Plugrend prend d’ailleurs au fil du roman une certaine épaisseur inhabituelle parmi une galerie de personnages plutôt caricaturaux.

L’humour, les rebondissements et les quiproquos sont bien sûr toujours aussi présents, comme d’habitude dans les livres de la série, mais j’ai eu aussi la sensation qu’il se dégageait du roman une sorte de désenchantement, lié au changement de statut d’une certaine aristocratie. William par exemple n’a plus un sou, il est obligé de prendre la profession de bookmaker pour tenter de gagner de façon risquée un peu d’argent afin de retrouver le lustre d’antan et réparer la toiture de son abbaye. Sa sœur et son beau-frère s’en tirent mieux, mais parce qu’ils ont trouvé un emploi salarié, et pas des plus prestigieux. C’est un peu la fin de la classe sociale traditionnellement dominante, qui sans perdre tout à fait ses valeurs, perd cependant ses attributs de pouvoirs (l’argent, le patrimoine) au profit de nouveaux riches dont Mrs Spottsworth est une représentante triomphante.