Retour à Salem
de Hélène Grimaud

critiqué par Pucksimberg, le 15 octobre 2013
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Sur les traces de Brahms ...
A Hambourg, la narratrice, double de la pianiste Hélène Grimaud elle-même, se rend dans une boutique étrange, un antiquaire où seule une enfant blonde marque une présence humaine. La narratrice achète un vieux manuscrit qui semble être un témoignage ou un conte rédigé par Brahms, musicien chéri par l'auteure en pleine répétition dans la ville allemande. Vont alors alterner des chapitres dans lesquels le lecteur a accès au vieux texte retrouvé et traduit, où le personnage masculin principal se trouve dans un cadre naturel, mystérieux et inquiétant parfois et des chapitres dans lesquels la narratrice commente ce manuscrit.

Le roman est quelque peu hybride. Il y a tout d'abord le suspense entretenu grâce au texte de Brahms, texte énigmatique, fantasmé ou témoignage. Hélène Grimaud plante un arrière-plan surnaturel, en écho avec les grands auteurs fantastiques allemands évoqués dans le roman ( Hoffmann, De Chamisso ... ). Il y a aussi des passages purement engagés que l'on aurait pu trouver dans un essai. Ce sont sans doute les passages que j'ai préférés. Hélène Grimaud témoigne un franc et noble engagement pour sauver cette planète, un côté écolo fort apprécié. Certains chiffres avancés sont tout bonnement effrayants et certaines atrocités infligées à la gente animale complètement révoltantes ( passage sur les singes vivants dans certains restaurants asiatiques ... et de nombreux autres ... ). Cela fait du bien de voir ce type d'engagement, dans une époque où défendre la cause animale est souvent vue comme un combat ridicule. Il y a aussi les éléments biographiques sur Brahms et Schumann. Le caractère didactique de ces passages est intéressant. Hélène Grimaud ne s'arrête pas là ! On a aussi de courts exposés sur certains textes littéraires, sur les sorcières, sur la musique ...

Ce caractère hybride m'a parfois gêné : des passages passionnants et d'autres moins accrocheurs, et curieusement ce sont les passages liés au mystère du manuscrit qui m'ont le moins plu ! Le rythme a manqué à mon avis dans les passages narratifs. Les allusions à la musique sont passionnantes. On sent que c'est la musicienne qui parle et sa passion est palpable.

Un roman qui mêle la réalité et la fiction, le récit et l'engagement. Une belle balade dans le monde de la musique où l'on ressent la forte nostalgie d'une époque où la nature était reine.
Aux loups ! 8 étoiles

C’est un cri d’alarme, un cri de colère, un appel à la révolte que lance Hélène Grimaud dans ce livre où elle explique le chemin qu’elle a parcouru pour essayer de comprendre les raisons qui lui restent de vivre dans notre monde profondément altéré, le chemin qui conduit des légendes saxonnes à la folie de Schumann puis aux récits de Brahms et Hugo Wolf, par effet miroir, et enfin à sa décision de revenir à Salem pour reprendre le combat écologique auprès de ses loups. Mêlant la fiction fantastique et les récits mythologiques, la prédiction écologique et apocalyptique et sa propre vie militante avec les loups, Hélène Grimaud explique, argumente, s’insurge contre l’imbécilité de l’humanité qui construit son destin apocalyptique à travers sa goinfrerie et son opulence. Si l’humanité n’était pas animée par une force destructrice puérile et imbécile, le monde vivrait dans une parfaite harmonie : « le monde, flore et faune ensemble, composait une symphonie, non pas improvisée mais accordée, comme si de tout temps une partition cosmique présidait à l’harmonie générale… »

A Hambourg, l’héroïne, Hélène Grimaud, répète le Deuxième Concerto pour piano de Johannes Brahms, au cours d’une pause, elle s’égare dans un quartier perdu de la ville et se réfugie dans un magasin vétuste, irréel, pour appeler un taxi, en l’attendant, elle trouve un étrange manuscrit où « alternaient des partitions parfois couvertes d’eaux-fortes signées d’un certain Max Klinger, des dialogues, des dessins, l’extrait d’un journal et, enfin, deux photos jaunies … » Les textes que l’auteur rapporte, seraient de Brahms lui-même, sous la signature d’un pseudonyme, ils racontent une balade dans une forêt fantomatique comme on en trouve dans la littérature fantastique mais aussi dans les légendes saxonnes souvent reprises par les auteurs romantiques, une forêt sans vie, en voie de minéralisation, tuée par les hommes. « Le compositeur avait-il pressenti, dans le grand élan du romantisme allemand, les horreurs promises par la technique et le progrès ? »

Hélène Grimaud est au monde sonore ce que Yann Artus Bertrand est à l’image, elle décrit un monde déliquescent, en voie de décomposition, un monde « volodinien » dans des forêts dignes de JG Ballard. L’apocalypse écologique est en cours, les dégâts sont considérables, les légendes saxonnes prévoyaient déjà cette catastrophe, cette fin du monde par la destruction du milieu naturel. Mais cette fin du monde n’est pas forcément rédhibitoire, il y a un autre monde, un envers du paradis dont il faudrait trouver la clé, celle qui est égarée dans une légende germanique… celle qui ouvrirait la porte du changement à l’intérieur de nos modes de vie.

Ce texte se nourrit à la source des légendes saxonnes qui ont inspiré tant d’œuvres littéraires et musicales mais aussi des idéologies pas toujours très recommandables (voir Eroïca d’Andrzej Kusniewicz pour s’en convaincre). L’enchaînement des coïncidences que l’héroïne rencontre, ne peut pas être le fruit du hasard, il relie trop évidemment la musique aux légendes, à la littérature, à la vie de Brahms et à la sienne même. Tout est prévu à l’avance, le hasard n’existe pas, la destinée de chacun est tracée et chacun a son double qui le précède et le dessine a priori, Schumann était le double précédent Brahms et elle, Hélène Grimaud, voit en Brahms son double comme Hugo Wolf le voyait lui aussi. Tout s’enchaîne et se transmet dans un jeu de miroir entre ces doubles. « Ce qui m’intéressait, c’était… le thème qui m’était cher, celui du double et des jeux de miroirs entre les différents artistes, les différents destins ».

Ce livre est un cri de colère et d’indignation mais aussi un texte lyrique et romantique comportant de magnifiques pages sur la musique en général et Brahms en particulier avec lequel elle partage des affinités évidentes. Un livre où elle montre l’immensité de sa culture, la pertinence de ses intuitions – l’intuition joue un rôle essentiel dans les démonstrations de l’auteur - et peut-être la justesse de sa prémonition mais qu’il est difficile de la suivre dans son raisonnement, dans ses analyses, dans ses perceptions sensorielles, elle vole souvent trop haut, plane au-dessus de nos têtes, et nous laisse parfois pantois et sceptiques, dubitatifs, égarés… Alors colère noire, indignation exacerbée, angoisse existentielle, alerte prémonitoire, justification de ses choix personnels, déclaration de guerre… un peu de tout cela dans une vaste fresque qui nait dans la légende, passe dans la folie, nourrit le récit et s’égare jusque dans le massacre des indiens Arawak et le jugement des sorcières de Salem pour trouver son prolongement dans un retour auprès des loups pour reprendre le combat et retrouver une nouvelle raison de vivre. Ce qu’Hélène Grimaud fit en effet en quittant la Suisse pour rejoindre ses loups à Salem. « J’ai pris la résolution d’écrire, tous les jours, dans mon journal, un compte rendu des souffrances de notre planète… de me battre aux côtés des loups de toutes mes forces et toutes celles de la musique. Sur ce sujet, j’ai décidé de devenir méchante. De ne plus épargner personne ». La guerre est déclarée, Hélène Grimaud est en campagne.

Débézed - Besançon - 77 ans - 30 octobre 2013