Historien réputé, Christopher Clark, a mis dans ce livre des années de travail et de recherches. Il a tout lu: articles des journaux de l'époque, rapports, messages codés ou non, lettres, courriers diplomatiques, ouvrages de ses confrères, etc. Il en a tiré une sorte de théorie sur les causes de la guerre de 1914-18: (p.363) "Certes il est capital de comprendre que cette guerre aurait aisément pu ne pas avoir lieu et pourquoi, mais il est tout aussi important d'expliquer comment et pourquoi elle a en fait éclaté."
Tout son texte balance entre ces deux extrêmes et il décrit par le menu les affres, les interrogations, les incertitudes, les certitudes des très nombreux protagonistes. Il en dessine les ressorts psychologiques, les interactions, les hésitations, les retours en arrière et les décisions. Il rejette en final toutes les tentatives d'explication par l'attribution de responsabilités et de culpabilité pour finir par expliquer le déclenchement de la guerre par (p.550) "des processus multilatéraux d'interaction", dans lesquels les incertitudes ressenties par chaque gouvernement sur les positions à prendre par ses alliés et ses adversaires ont joué un rôle majeur. "Vu sous cet angle, le déclenchement de la guerre n'a pas été un crime, mais une tragédie... la crise qui a entraîné la guerre de 1914 était le fruit d'une culture politique commune." Clark tire de toutes ses lectures et méditations que tout le personnel décisionnaire de l'époque était d'une légèreté confondante (p.552) "où que nous jetions le regard dans cette Europe d'avant-guerre, nous rencontrons cette légèreté désinvolte. En ce sens, les protagonistes de 1914 étaient des somnambules qui regardaient sans voir, hantés par leurs songes mais aveugles à la réalité des horreurs qu'ils étaient sur le point de faire naître dans le monde."
La lecture de ce livre m'a à la fois passionné et irrité. Pour fonder son approche, Clark, en bon historien, a dû tout examiner. Cela en fait la profonde valeur. Mais, du coup, il a restitué dans son texte une large partie de ses recherches, ce qui en rend la lecture très difficile. Le lecteur est plongé dans une foule de détails et de personnages dont, 100 ans après, il n'a que faire et auxquels sa mémoire et sa compréhension ne s'accrochent pas. De là vient le sentiment de l'inutilité d'un très nombreux passages et le manque de vues synthétiques. C'est donc à une lecture ardue qu'il faut s'adonner pour en tirer l'essence principale.
Deux remarques s'imposent à moi:
- concernant la France, la question de l'Alsace-Lorraine n'est jamais évoquée comme une cause possible ou une justification de l'entrée en guerre, ce qui me paraît curieux,
- un parallèle est parfois fait par l'auteur avec les situations contemporaines, ce qui ne laisse pas d'inquiéter. Mais celui-ci rappelle qu'existent de nos jours des instances internationales qui n'avaient pas encore pris place à l'époque. Il n'évoque par contre pas le fait que, depuis, la culture politique et sociale des dirigeants a bien changé. Heureusement.
Falgo - Lentilly - 85 ans - 9 février 2017 |