Cette histoire qui a fait l'Alsace, tome 11: l'Alsace dans le Reich
de Marie-Thérèse Fischer

critiqué par JulesRomans, le 26 décembre 2013
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
"Ce n'est que quand l'arbre est tombé qu'on peut voir sa hauteur" (proverbe alsacien)
Voilà un des tomes, pour les Français de l’intérieur et les Alsaciens, les plus intéressants de la série "Cette histoire qui a fait l’Alsace". En effet des légendes contradictoires ont couru sur cette période 1871-1918 où l’Alsace-Lorraine est partie intégrante du Reich. Un ouvrage d’historien, accessible à tous puisque présenté sous forme de bande dessinée, est donc bienvenu.

Tout en montrant pour l’essentiel comment l’Alsace évolue dans un développement industriel se conjuguant avec l’arrivée de Badois et une activité culturelle intense. L’action architecturale, à l’initiative allemande, est intense et les dernières pages précisent où l’on peut précisément voir ce qui est dessiné. Par ailleurs des figures d’Alsaciens émigrés dont le jeune Alfred Dreyfus ou Bartholdi valorisé pour sa statue de la Liberté mais pas pour le Lion de Belfort alors que dans le département du Haut-Rhin resté français (nom du Territoire de Belfort de 1871 à 1918) on se sent alors alsacien. Les relations franco-allemandes évoluent sous nos yeux à travers les répercussions qu’elles ont outre-Vosges et en particulier certaines affaires d’espionnage.

Une tonalité un peu plus laïque de l’ouvrage aurait permis de glisser que si les Alsaciens-Lorrains sont relativement nombreux à rejoindre entre 1871 et 1875 le sol algérien, ce n’est pas vraiment sous l’effet de l’appel du cardinal de La Vigerie. En effet il y a pratiquement 5 000 Alsaciens-Lorrains présents en 1875 en Algérie, c’est essentiellement parce qu’

« ils sont installés dans divers villages existants ou dans des centres de colonisation en cours de création avec attribution de concession de terres de 5 à 10 hectares dans un premier temps puis 25 à 30 par la suite. Chaque famille est installée sous une tente fournie par l'armée ou une cabane, dotation : une paire de boeufs, une charrue, 200 kg d'orge et 100 kg de blé pour les premières semailles » (extrait du rapport de Guynemer de 1873).

Dans le même ordre d’idée, Hansi caricaturiste qui doit fuir l’Alsace afin de ne pas être emprisonné à cause de ses dessins (ayant un rôle important dans la propagande en direction des troupes allemandes et les services secrets français durant la Première Guerre mondiale opposé au maintien des lois concordataires après l’Armistice) est peu valorisé par rapport à l’abbé Wetterlé.

La partie la plus émouvante est évidemment celle qui porte sur la façon dont l’Alsace et les Alsaciens (combattants de chaque côté) ont vécu la Première Guerre mondiale. Les dix pages en question rappellent qu’une petite partie de l’Alsace (Thann, Masevaux, Dannemarie) des Vosges à la frontière suisse est sous contrôle français durant toute la Grande Guerre. Par ailleurs certains rappels, comme la présence du drapeau rouge au sommet de la cathédrale de Strasbourg, durant les quelques jours où l’Alsace se dit état souverain (entre le 11 et le 16 novembre) ne manqueront pas de surprendre certains lecteurs.

La façon dont sont traitées les recrues alsaciennes et lorraines dans l'armée allemande avant et pendant la guerre est bien pointée, l'esprit du corps des officiers présents dans le Reichsland est d'ailleurs décrit de l'intérieur par le Lieutenant Bilse dans un ouvrage temporairement interdit en Allemagne et qui rencontre un franc succès en France où il est traduit en 1904 par "Petite Garnison". Cet ouvrage devrait être réédité durant l'année 2014 en français par les éditions Le Polémarque; il est à noter que la description à peine romancée est celle de la garnison de Forbach en Lorraine. On remarque par ailleurs que la sortie de "L'Alsace au temps du Reichsland 1871-1918, un âge d'or culturel?" de Gabriel Braeuner, s’est faite pratiquement de façon concomitante avec "Cette histoire qui a fait l’Alsace, 11 L’Alsace dans le Reich".

Le roman "Les Oberlé" de René Bazin a été réédité en 2013, il présente un tableau d’une Alsace restée francophile dans les masses populaires, ce qui est une vision largement biaisée. Comme on le voit dans "Souvenirs d'Alsace-Lorraine 1870-1923" c’est plutôt certains secteurs de la bourgeoisie et du clergé catholique qui regrettaient la présence française.

Certes la fiction, à dose homéopathique, avait utilisé l’Alsace de la Grande Guerre, on retrouve trois aventures de "Victor Sackvile" dans l’intégrale 4: "Victor Sackville : la cigogne noire", "Victor Sackville : piège à Baden-Baden", "Victor Sackville : opération Z26~B" où le héros parcourt l’Alsace et plus particulièrement Strasbourg ainsi que le château du Haut-Koenigsburg. On peut espérer que ce volume 11 de "Cette histoire qui a fait l’Alsace" donnera à des scénaristes l’idée de bâtir des récits de BD historique qui mettront en scène la vie des Alsaciens durant la Première Guerre mondiale.