Les trois rois
de A Cheng

critiqué par Eric Eliès, le 27 octobre 2013
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Scènes de la vie quotidienne en Chine pendant la Révolution culturelle
Ce recueil est composé de trois longues nouvelles qui, dans le cadre de la Révolution culturelle, décrivent le quotidien d’un groupe de citadins (appelés « jeunes instruits ») immergés dans les sections agricoles du parti communiste chinois oeuvrant à l’aménagement du territoire. Ces travaux visent également à éduquer la jeunesse et à lui inculquer les valeurs du travail manuel au sein de la classe des paysans pauvres, qui est le fer de lance de la Révolution.
Contrairement à ce qu’affirme la présentation du livre par Claude Roy au 4ème de couverture, le ton de l’auteur n’est pas revendicatif, sous par de très subtils sous-entendus. Avec le ton serein des conteurs, A Cheng s’attache aux détails de la vie quotidienne en milieu rural et, alternant les dialogues et les scènes descriptives, dresse des portraits d’individus plein de vitalité et de contrastes qui donnent de la densité et de la véracité au récit. Chacun dégage une grande impression de vécu et d’authenticité, y compris dans le second texte (le roi des arbres) aux nuances fantastiques.

Le premier texte (Le roi des échecs) conte l'histoire d'un "jeune instruit", joueur d'échecs passionné par le jeu qui parvient à lui faire oublier toutes les vicissitudes de l'existence. Mal adapté à la vie sociale, il a souvent souffert de la faim mais est parvenu a développer, en suivant les conseils de vieillards marginaux qui l'avaient pris en amitié, une technique de jeu qui le rend pratiquement imbattable. En raison du désaccord de son chef de section, il ne parvient pas à s'inscrire aux compétitions organisées entre les différentes sections mais, grâce à l'amitié d'un autre « jeune instruit » venu d'un milieu plus nanti qui est également amateur du jeu d'échecs et a les moyens d'acheter la complaisance du secrétaire du parti, un défi est finalement organisé sous forme de 9 parties parallèles en aveugle. Ces parties, qui sont rendues publiques, galvanisent la foule et se concluent par 8 victoires et 1 nul avec le champion régional, un vieux chinois venu des montagnes pour participer au tournoi. Les deux hommes fraternisent et se réjouissent que l'art traditionnel des échecs ne soit pas totalement perdu...

Le deuxième texte (Le roi des arbres) évoque les travaux de déboisement menés par une section, sous la direction d'un vieux soldat, vétéran et héros de la guerre de Corée, qui fut sanctionné par ses chefs. L'un des jeunes instruits, presque fanatisé par la propagande du parti, montre énormément de zèle à vouloir reconstruire la Chine nouvelle et à éradiquer les vieilles croyances paysannes qui accordent du respect aux arbres. L'un des arbres est d'ailleurs considéré comme sacré et respecté comme tel avec l'accord tacite du chef de section local du parti. Cet arbre sera pourtant abattu par les jeunes instruits, ce qui provoquera la mort du vieux soldat qu'on surnommait localement le roi des arbres, puis la colline sera incendiée avant les travaux de reboisement avec des arbres « utiles ».

Le dernier texte (Le roi des enfants, surnom traditionnel de l'instituteur) évoque un jeune instruit qui, travaillant aux champs, est nommé professeur d'école pour pallier un départ. Il n'a jamais enseigné et se montre effaré de l'indigence des moyens mis à sa disposition et de l'inanité de son enseignement, qui se limite à faire apprendre par cœur des caractères chinois et des slogans, sans jamais se soucier du sens ou de l'implication personnelle des élèves. Il décide alors d'abandonner les méthodes des autres professeurs pour véritablement faire œuvre utile auprès des enfants qui sont au début décontenancés puis séduits ; après quelques semaines, ils se montrent capables d'écrire des textes simples mais personnels. Néanmoins, l'inspection académique du parti est mise au courant de cet apprentissage non conventionnel : le jeune enseignant sera révoqué et repartira dans une section agricole.