Cinna
de Corneille

critiqué par Lolita, le 26 mai 2003
(Bormes les mimosas - 38 ans)


La note:  étoiles
Une tragédie qui finit bien....
Cinna est, après Médée et Horace, la troisième tragédie de Corneille. Mais peut-on parler vraiment de tragédie, alors que l'histoire, en somme se termine bien? Car selon les règles de la tragédie classique, celle-ci a un dénouement tragique : assassinat, suicide ou encore folie furieuse. Ici, il n'en est rien, l'issue est heureuse. Mais commençons d'abord par un résumé :
Emilie a été adoptée par l'empereur Auguste, alors qu'il a tué son père. Elle veut se venger en le faisant assassiner alors qu'il la comble de bienfaits. Pour parvenir à ses fins elle entraîne dans son complot celui qu'elle aime : Cinna. Ce dernier est alors partagé entre son devoir envers Auguste et sa passion pour Emilie. Maxime, amoureux d'Emilie se retrouve lui aussi mêlé à cet attentat. Jaloux de Cinna et sur les conseils de son affranchi il dénonce tout à Auguste. Que va faire ce dernier ?
L'histoire de l'empereur Octave qui devint Auguste est assez connue notamment l'épisode dans lequel il fait preuve de clémence. Ce que raconte Corneille dans son oeuvre.
Le livre n'est pas désagréable à lire mais ne m'a pas exalté plus que cela.
Un extrait :
"Cinna : Que vous m'ayez séduit, et que je souffre encore
D'être déshonoré par celle que j'adore !
Seigneur, la vérité doit ici s'exprimer :
J'avais fait ce dessein avant que de l'aimer.
A mes plus saints désirs la trouvant inflexible,
Je crus qu'à d'autres soins elle serait sensible :
Je parlai de son père et de votre rigueur,
Et l'offre de mon bras suivi celle du coeur.
Que la vengeance est douce à l'esprit d'une femme ! Je l'attaquai par là, par là je pris son âme ;
Dans mon peu de mérite elle me négligeait,
Et ne put négliger le bras qui la vengeait :
Elle n'a conspiré que par mon artifice ;
J'en suis le seul auteur, elle n'est que complice.
Emilie : Cinna, qu'oses-tu dire? Est-ce là me chérir ? "
« Va-t-en, et souviens-toi seulement que je t’aime » 7 étoiles

Je trouve finalement que Cinna est assez facile à lire, mis à part deux ou trois passages où je me suis un peu perdu (je pense à la tirade d’Émilie qui ouvre la pièce, et à celle d’Auguste qui songe à abandonner le pouvoir). Les vers de Cinna sont fort beaux (« Va-ten, et souviens-toi seulement que je t’aime », « Plus le péril est grand, plus doux en est le fruit », …) mais si je les compare aux tragédies de Racine que j’ai déjà lues, ils me semblent dans leur forme avoir un peu moins d’éclats et de charmes.

L'histoire d'amour entre Émilie et Cinna est au second plan: sur le fond la pièce est très politique. Je fais sans doute un raccourci mais le fait que l’Empereur Auguste y soit extrêmement mis en valeur, ne peut que nous faire imaginer que c’est une façon aussi de flatter la monarchie française, à l'exclusion de tout autre système politique. Cinna lui-même d’ailleurs le rappelle : « Le pire des États, c’est l’État populaire ». D’ailleurs à la fin de la pièce les opposants à Auguste : Cinna, Maxime, Émilie, émerveillé par les vertus et la magnanimité du souverain, renoncent à leurs complots, se rallient à l’idée monarchique et renoncent par là à l’espoir du rétablissement de la République… Bon j’ai trouvé cela bien édifiant je dois dire. Cela révèle ce qui est pour moi un des points faibles de la pièce : une certaine incohérence psychologique des personnages.

Auguste tout d’abord, lorsqu’il songe à renoncer au pouvoir, las de gouverner. Est-ce crédible, vu la stature de cette figure historique ? Cinna et Maxime ensuite dont je n’ai pas compris le positionnement. Ils sont d’un côté tous les deux bien décidés à éliminer Auguste, mais d’un autre se ravisent rapidement et bien facilement : Cela ne m’a pas paru tellement vraisemblable. Je ne parle pas de la générosité d’Auguste, qui m’a laissé dubitatif : il en vient même donner à Cinna (qui voulait l’assassiner à l'acte d'avant), pour preuve de son pardon, le titre de consul... Le pire, je crois, est Émilie, qui en quelques vers dans le cinquième acte renonce à sa vengeance, ourdie pendant toute la pièce, comme si elle avait été touchée d’un coup par la grâce de la grandeur d’âme de l’Empereur (« Je me rends, Seigneur, à ces hautes bontés / Je recouvre la vue auprès de leur clarté »). Enfin, bref, vous l’avez compris : j’ai eu ainsi un peu de mal avec ces personnages qui font leur auto-critique politique, car cela enlève beaucoup de grandeur et de tragique à l’ensemble.

Fanou03 - * - 49 ans - 3 mai 2021


Cinna, Emilie, Auguste, une leçon d'histoire en vers de toutes beautés qui aurait pu finir mieux 8 étoiles

Cinna est la première pièce de théâtre de Corneille que je lis. Cela faisait longtemps que je voulais lire du Corneille, dont j’avais déjà lu des extraits de ses pièces, qui m’ont semblé de toutes beautés. Mais on ne juge pas une œuvre sur des extraits. Et voilà qu’enfin je sors « Cinna » de ma petite bibliothèque privée ! Il me faudra aussi lire « Le Cid », sa pièce la plus connue, mais cela est une autre histoire.

Et donc, Cinna ? Le sous-titre en est la « La clémence d’Auguste ». Donc, d’après ce sous-titre voulu par Corneille, l’empereur Auguste tient le rôle principal, autour duquel tourne toute la pièce. Pourtant, j’ai trouvé qu’il n’était pas le personnage le plus fort de la pièce. C’est Emilie qui en donne toute la saveur, celle par qui tout arrive, l’élément déclencheur de tout ce qui va s’ensuivre. La pièce s’ouvre sur Emilie :

Impatients désirs d'une illustre vengeance
Dont la mort de mon père a formé la naissance,
Enfants impétueux de mon ressentiment,
Que ma douleur séduite embrasse aveuglément,
Vous prenez sur mon âme un trop puissant empire ;
Durant quelques moments souffrez que je respire,
Et que je considère, en l'état où je suis,
Et ce que je hasarde, et ce que je poursuis.
Quand je regarde Auguste au milieu de sa gloire,
Et que vous reprochez à ma triste mémoire
Que par sa propre main mon père massacré
Du trône où je le vois fait le premier degré ;
Quand vous me présentez cette sanglante image,
La cause de ma haine, et l'effet de sa rage,
Je m'abandonne toute à vos ardents transports,
Et crois, pour une mort, lui devoir mille morts.

Sa haine d’Auguste, sa forte personnalité, son amour entier et sans fards pour Cinna, sa volonté inflexible et sans concessions, voilà ce qui fait d’elle le personnage qui donne tout son poids à la pièce. Les autres apparaissent tous dans des rôles d’appui, de modération, de déviation, d'empêchement, à cette volonté lancée droit à son but obstiné, se venger d’Auguste pour la mort de son père. Arrivera-t-elle à ses fins ? C’est une tragédie et comme telle, est une histoire tragique, qui doit finir tragiquement. Mais Corneille croyait aux vertus chrétiennes.

Les vers sont de toutes beautés. Les lire est un régal pour l’esprit, mais à lire lentement en se concentrant pour arriver à bien les comprendre car le sens de certains mots et de certaines tournures est d’une autre époque. En cela, le petit lexique fourni est bien utile. Et Pierre Corneille a su créer une pièce qui se tient du début à la fin, et représenter ses personnages avec une grande finesse psychologique. Le 18ème siècle n’a pas attendu Freud pour savoir écrire de solides analyses des motivations humaines ! Malgré tout, et peut-être à cause de la fin qui ne m’a pas convaincu, je trouve l’ensemble plus faible que certaines tragédies que Racine écrira plus tard.

Le Cid rehaussera-t-il Cinna ? Wait and see.

Cédelor - Paris - 52 ans - 10 décembre 2019


Cinna ou l'apologie de la clémence 6 étoiles

Nouveau triomphe pour Corneille, cinq ans après celui du Cid, Cinna est une tragédie résolument moderne où se développe une certaine apologie de la clémence. Empruntant son sujet tragique à la Rome d’Auguste, Corneille use de personnages déchirés entre l’amour et l’honneur comme seul par la suite Racine saura en faire. Ici encore discours politique et discours amoureux se superposent dans l’optique d’une réflexion sur les frontières entre tyrannie et démocratie, entre pardon et châtiment. Corneille invite son lecteur à se demander jusqu’où peut-on aller par amour pour sa belle. Et réciproquement, peut-on sacrifier son amant afin de venger l’honneur de sa famille. A travers des personnages dont l’intensité des sentiments réside dans leur constante irrésolution, Corneille s’attelle à démontrer dans quel cas pardonner relève davantage de la force que de la faiblesse.

Sylkarion - Saint-Etienne - 44 ans - 9 décembre 2005