L'engrenage
de Jean-Paul Sartre

critiqué par Jules, le 28 mai 2003
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Le pouvoir et la fidélité à un idéal
Cette pièce a été écrite par Sartre en 1946 et, à l'origine, devait s'appeler « Les Mains Sales » L'auteur a changé son titre et ce n'est que deux ans plus tard que la pièce connue sous ce nom là a été écrite.
Nous sommes dans une république que l’on pourrait qualifier de « bananière » sauf qu'ici les bananes sont remplacées par le pétrole.
Au début de l’histoire, une révolution secoue le pays et est dirigée par l'élite des ouvriers, ceux du pétrole. On comprend de suite que le président en poste, Jean, a lui-même pris le pouvoir quelques années plus tôt, soutenu par les mêmes forces, et avec un mandat bien spécifique. Lui, il est originaire du monde paysan.
Il ordonne à ses troupes d’arrêter de tirer sur les rebelles, afin d’éviter un massacre inutile, et ne se fait aucune illusion sur son sort. Le peuple entre dans le palais présidentiel et il est arrêté.
Dès le début de son procès l’issue en est évidente tant son avocat se fait insulter et menacer.
Il est accusé de ne pas avoir nationalisé le pétrole, ce qui aurait permis au pays d'avoir des devises pour s’acheter la nourriture nécessaire. Mais il est aussi accusé d'avoir provoqué la mort de centaines de paysans en tentant d'imposer une réforme agraire qu’ils n’entendaient pas accepter. Enfin, il aurait fait tuer Lucien, célèbre journaliste de gauche et ancien ami, pour museler la presse.
Jean refuse de se prêter à cette parodie de justice, mais les témoins à charge vont défiler et c’est par eux que nous recevrons une certaine vision des choses. A la fin, Jean finira par donner la sienne sur certains points. Sartre passe constamment d’une vision à une autre afin de nous donner une vue plus globale.
Mais les vrais problèmes posés dans cette pièce sont ceux des rapports entre le politique et l'économie d’une part, et celui des institutions d’autre part. Qui dirige le pays ?.Quelle marge de manÏuvre a le politique, que valent les institutions, dans quelle mesure le pouvoir peut transformer un homme ?
Jean répond à son ami Lucien, le journaliste, qui lui affirme avoir gardé les mains propres : « La pureté c’est un luxe. Tu as pu te le permettre, parce que j'étais près de toi et que je me salissais les mains. » Cela rappelle des répliques des « Mains Sales » et surtout l’article écrit par Sartre pendant la guerre d'Algérie dans lequel il accusera Camus de n’être qu’ « une belle âme » parce qu’il condamnait autant les attentats du FLN dans Paris que ceux de l'OAS en Algérie. Sartre y affirmait le droit des algériens à utiliser le terrorisme en France, même contre des civils.
Selon Sartre, dans cette pièce, c’est le système qui est corrompu et même un homme sincère ne peut que s'y perdre et devenir un assassin. Cela est évidemment tout à fait vrai dans la mesure où, en plus, le véritable pouvoir est détenu par une puissance étrangère, bien plus forte, et à laquelle il est impossible de résister sans provoquer un bain de sang. C'est cette position qu'il défendra, des années plus tard, lors de la guerre d’Algérie. En cela, l’exemple qu'il a pris dans cette pièce est plus que convaincant !. C’est « L’engrenage »…