Le cas Eduard Einstein de Laurent Seksik
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Après s'être intéressé aux derniers jours de Stefan Sweig , Laurent Seksik nous livre ici une biographie romancée du fils d'Albert Einstein.
Eduard eut une destinée particulière , il vit rapidement ses parents se déchirer , divorcer et subir par la suite l'absence totale de présence paternelle.
Jeune adulte il est en proie à diverses hallucinations , puis viennent les crises d'angoisse , les crises clastiques et les tentatives d'autolyse. Sa mère doit se résoudre à l'interner , certes dans un asile pour VIP (Jung y consulte) mais cela reste tout de même un établissement des années 30 pour aliénés.
Albert , peut-être pour soigner sa blessure , préféra s'intéresser de très loin à son fils allant parfois jusqu'à cacher son existence. Il ne rendit visite qu'une seule fois à Eduard qui passa le reste de sa vie dans cet établissement.
Celui ci lui vouera une haine farouche... Pas facile d'être le fils d'un tel génie.
Très bon livre , très instructif sur l'Europe des années 30 avec la montée du nazisme en Allemagne et les découvertes en thérapie psychiatrique.
La "période américaine " du père de la théorie de la relativité est également intéressante.
Chaque personnalité a sa part d'ombre.
Les éditions
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Le Cas Eduard Einstein
de Seksik, Laurent
Flammarion
ISBN : 9782081248571 ; 19,00 € ; 21/08/2013 ; 304 p. ; Broché
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Intime convergence
Critique de Bluewitch (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans) - 29 décembre 2018
Comme il l’avait fait avec « Les derniers jours de Stefan Zweig », Laurent Seksik choisit un pan de l’histoire pour revenir sur une personnalité qui a marqué le 20e siècle. Et ramener cette personnalité à la personne.
Eduard, le fils caché, ou plutôt laissé dans l’ombre. Cette étrangeté de l’hérédité (pensait son père). Ce problème sans solution. Ce prisme explosé, cette conscience affolée. Et cette grande sensibilité au final. Eduard était un enfant et adolescent talentueux, appliqué et passionné. Il aurait pu être brillant, il aurait pu trouver une belle place dans cette grande communauté humaine, mais il passera la majorité de sa vie dans un établissement psychiatrique à lutter contre le fantôme du père, pourtant vivant. Contre son absence, sa démission familiale. Où résidera vraiment la fracture entre eux ? Là, au creux de la séparation parentale, alors qu’Eduard est encore tout petit ? Dans la schizophrénie qui bouleversera la réalité et les pensées du fils ? Où dans cette confrontation, pour Albert, à cet échec profond à incarner le rôle de père, absorbé par celui de l’homme de Science ?
Albert Einstein a fait des choix difficiles, égoïstes peut-être, impossibles sans doute, toujours teintés de renoncement et de fragilité. Figure admirée ou honnie, à travers cette notion de paternité malmenée tout au long du roman, il redevient humain. Chercheur de l’existence accumulant les expérimentations, avec son lot d’essais et d’erreurs. Et ses contradictions.
Laurent Seksik fait parler le père et la mère (dévouée et admirable, aigrie et malheureuse) dans une narration à la troisième personne. Mais le cœur bat dans les mots et le « je » d’Eduard, dans son évolution, sa souffrance, son inconsciente sagesse. Triangulation pourtant distanciée, qui ramène vers une aiguë convergence, cette implacabilité de la vie, ce défi permanent. Beaucoup de sensibilité et de justesse dans la construction du récit, dans le choix des échanges épistolaires, dans la conduction de la pensée. Il n’y a pas de misérabilisme, ni complaisance, beaucoup de bienveillance, le style est épuré mais substantiel, l’émotion vient d’elle-même, sans effet.
Eduard est multiple, comme sa maladie. Il est extrême, comme sa maladie. Victime du contexte, de son nom, des traitements hasardeux, il voit le sens de sa vie se réduire comme peau de chagrin. On la sent aussi dans nos tripes, cette question lancinante du pourquoi. On espère une fin autre, une vision autre, une sensation autre. Pourtant, Eduard est le plus subtil de tous dans son involontaire résilience. Laurent Seksik nous offre en cadeau, dans le dé à coudre des derniers instants du livre, la résolution finale d’une équation simple et pourtant tragique. Et soudain, peut-être, enfin, la lutte s’arrête.
Pas loin du coup de coeur
Critique de Nathavh (, Inscrite le 22 novembre 2016, 60 ans) - 18 février 2017
Un récit à trois voix magnifiquement orchestré par Laurent Seksik. On entend tour à tour par le biais de courts chapitres : Mileva, la mère - Eduard, le fils et Albert, le père.
Eduard Eisntein est né le 23/07/1910; C'est un enfant brillant, hypersensible, doué pour la musique, son rêve devenir psychiatre. Il vit avec sa mère Mileva Maric d'origine serbe. C'est la première épouse d'Einstein. Elle vit à Zurich depuis leur divorce en 1914, ayant refusé de s'installer à Berlin avec Albert. C'est une femme brillante, mathématicienne qui a tout abandonné pour se consacrer à l'éducation de ses garçons Hans-Albert (brillant ingénieur) et Eduard. Elle souffre depuis sa jeunesse d'une déformation de la hanche qui la rend claudiquante et l'a fait souffrir. Au fond d'elle, la souffrance de la perte de leur fille Lieserl (née deux ans avant le mariage) est toujours présente.
Elle a tout abandonné pour s'occuper d'Eduard et c'est la mort dans l'âme, impuissante à la violence des crises de son fils qu'elle conduit Eduard ce matin de novembre 1930 à l'asile des âmes en détresse : le Burghölzi de Zurich.
Eduard ne va pas bien, il entend hurler les loups, il se sent habité et devient très agressif. Il a besoin d'aide. Diagnostiqué schizophrène à l'âge de vingt ans, il passera les trente-cinq années restantes de sa vie entre l'asile et l'appartement de sa maman.
Il subira les traitements de l'époque : électrochocs, camisole de force, coma diabétique... Beaucoup de souffrances. C'est difficile d'être le fils de , de ne pas se sentir aimé par son père et peut-être le silence sur l'absence de sa soeur complètement effacée est aussi la cause de son état ?
Albert lui s'occupera financièrement de son fils mais rattrapé par l'Histoire, lui qui était adulé, porté en héros dix ans plus tôt devient ennemi public numéro un par son statut de juif. Il quittera le pays en 1933 pour trouver refuge aux Etats-Unis. La photo de couverture est prise lors de la dernière rencontre avec son fils, on y perçoit la tristesse dans le regard d'Albert. Déchirure, résignation, déception , impuissance de n'avoir jamais su apporter de réponse et solution à la maladie d'Eduard.
Albert a bravé bien des choses ; la gestapo, le FBI qui le prenait pour un communiste, il a soutenu la cause noire, les juifs opprimés. Il n'a pas toujours été le bienvenu dans son pays d'accueil, mais il n'a jamais pu se résoudre à voir son fils.
Un récit palpitant retracant le climat et le contexte historique des années trente en filigrane, le maccarthysme, la ségrégation, la poussée du nationalisme, s'attachant surtout à l'intime de la famille Einstein.
La troisième personne est utilisée pour Mileva et Albert, la première pour Eduard que j'ai trouvé attachant. Un magnifique récit, intense, une plume énergique, très intéressante. Un petit bonheur de lecture.
Ma note : 9.5/10
Les jolies phrases
Un jour, mon père travaillera sur mon cas. À quoi bon une telle intelligence si elle n'est pas mise au service de l'homme ? Celui qui a découvert les grands principes de l'univers ne peut-il travailler sur mon hémisphère droit ?
Il a cru en l'intelligibilité de l'architecture du monde. Il ne peut imaginer un dieu qui récompense et punit l'objet de sa cration. Il a toujours vu la raison se manifester dans la vie. Et la raison n'est plus nulle part dans l'esprit de son fils.
La belle vie est dans la nature humaine. Promenons-nous dans les bois. La formule du bonheur n'est pas dans les chiffres.
Elle ne pose plus de questions. Elle contemple la souffrance dans les yeux de son fils. Par deux fois Eduard a tenté de se suicider. Elle est la compagne de la folie. Elle s'acoquine avec la mort.
Voilà où repose sa seule espérance : tenir.
Papa, tu voulais me donner des leçons, tu apprends enfin la vie. C'est douloureux, n'est-ce-pas, ce poids sur les épaules ?
Se peut-il qu'en un même instant, de part et d'autre d'un océan, une même jeunesse brûle, ici, des cigarettes, là, des livres.
L'arbre généalogique, arraché de sa terre hostile, poussera, régénéré, sur le sol américain. La longue expérience de sa vie le lui a enseigné. En quelque endroit du monde, on prend racine. La terre importe peu. Seul compte ce que dicte notre conduite, ce que célèbrent nos mémoires.
Cela veut dire que tu es sur la bonne voie, Eduard. Le progrès c'est moins percevoir la douleur de l'existence. De se montrer insensible aux turbulences.
Personne n'a jamais compris ce que la disparition d'un proche signifiait. Les plus grands sages se sont penchés sur la question. L'homme a inventé les religions pour trouver la consolation de cette immense tristesse. Jusqu'à présent, nul n'a trouvé de réponse satisfaisante. Cela demeure un des plus grands mystères de l'humanité.
Seule une vie vécue pour les autres est digne d'être vécue.
Les pères engendrent les fils. Mais ce sont les fils qui rendent père leur géniteur, qui font d'eux des hommes.
Le fils délaissé dans la nef des fous
Critique de Chapitre31 (TOULOUSE, Inscrite le 18 août 2013, 55 ans) - 15 février 2016
Très instructif sur la montée du nazisme , la vie intime de Einstein et de ses proches , le traitement des malades mentales à cette époque et en particulier la schizophrénie à travers Eduard .
Einstein écrira :
"Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution.
Les autres , ce n'est pas moi, mais la main de la mort qui les a résolus".
Extrait du livre p. 254 :
Mon père a dit :
"Celui qui ressent sa propre vie et celle des autres comme dénuées de sens est fondamentalement malheureux , puisqu'il n'a aucune raison de vivre. " Qui pourrait trouver un sens à ma vie ? Il faudrait être fou.
Mon père a dit :
"Je n'approuve pas que les parents exercent une influence sur les décisions de leurs enfants lorsque celles-ci peuvent déterminer le cours de leur existence." Mon père a respecté ses engagements. Il n'est pas intervenu, il n'a exercé d'influence sur aucune de mes décisions. Je ne sais si je dois le regretter.
Roman bien écrit , instructif , émouvant.
Les trois dernières pages sont particulièrement émouvantes... jusqu'à la dernière page.
N.B : Laurent Seksik est l'auteur de six romans dont " les derniers jours de Stefan Zweig"qui a connu un grand succès.
Le père, le fils et...
Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 24 avril 2014
Albert Einstein y est ici égratigné (mais sans méchanceté). Ce prix Nobel qui écrira : "mon fils est le seul problème qui demeure sans solution"
Jolie description de sa relation avec Freud. Belle analyse de la vie avec son épouse boiteuse. "On ne boîte pas à la droite du Seigneur".
Magnifique portrait de ce fils schizophrène qui dit à la mort de sa mère : "La tristesse est un sentiment que je ne maîtrise pas bien. Je suis plutôt porté au désespoir et aux grandes colères".
Magistrale et habile démonstration de l'attitude de la Suisse et de sa neutralité durant la seconde guerre mondiale. Ce petit pays avait sous ses montagnes une arme qui faisait trembler Hitler... l'argent enfoui.
Il y a dans ce livre de qualité de curieux messages cachés comme si l'auteur jouait à un jeu de cache-cache.
Un exemple : la mort du petit fils d'Einstein, le petit Klaus (fils de Hans-Albert). Décès dû à une infection non soignée ; les parents étant convertis à l'Eglise de Mary Baker Eddy (science and health - christian scientist - ou Eglise du Christ scientiste, groupe religieux refusant toute autre forme de soin que la prière. A ne pas confondre avec la scientologie).
Cela se déroule aux Etats-Unis où Einstein père et fils (celui qui n'est pas fou) ont trouvé asile.
Le raisonnement vaut ce qu'il vaut mais la seconde étape se passe trente pages plus loin, en Suisse, Eduard Einstein assiste (avec un surveillant de son institution) à la projection du film Saratoga avec l'excellent Clark Gable et la très belle jean harlow.
page 197 de l'édition Flammarion
" Sur le chemin du retour le surveillant nous a appris que Mme Harlow était morte sur le tournage sans qu'on s'aperçoive de rien. La production a utilisé une doublure pour la fin." Bizarrement Seksik se fait silencieux sur les causes de sa mort.
L'auteur est trop subtil dans ses recherches pour introduire un tel silence sans un but caché ... La mère de Jean Harlow était elle aussi membre de cette joyeuse bande de gais lurons qu'est l'Eglise Scientiste et avait interdit à sa fille de suivre un traitement pour soigner une infection rénale. Elle en mourut.
Là curieusement me reviennent les paroles d'une chanson de François Béranger... "Y a qu'la foi qui sauve blues ! Y a qu'la foi qui sauve babe" !
Einstein père, le cartésien, trop logique pour reconnaître Dieu sous aucune déclinaison avait bien besoin d'un océan pour fuir ce fils.
Ainsi soit-il !
Plongée dans l'Europe des années 30
Critique de Ben75011 (Paris 11e, Inscrit le 19 février 2014, 36 ans) - 15 avril 2014
Tout d'abord, pour sa forme, j'adore la forme des dialogues. On a l'impression d'être en tête à tête avec un des fils d'Einstein, ses remarques sont vives, pleines d'esprit (parfois).
Le livre est bien écrit et agréable à lire.
Ensuite sur le fond. Le livre traite de plusieurs choses intéressantes :
- le traitement des maladies mentales dans les années 30-50.
- l'histoire intime des Einstein
- la montée du nazisme dans l'Allemagne et dans l'Europe.
Ce que j'ai beaucoup aimé aussi, c'est qu'on aperçoit en partie la maladie de schizophrénie à travers Édouard Einstein.
Le livre est vraiment bien, c'est une histoire vraie, et tout est documenté dans une bibliographie à la fin.
Le fils oublié
Critique de Pierraf (Paimpol, Inscrit le 14 août 2012, 67 ans) - 6 avril 2014
J'ai beaucoup aimé l'écriture à "3 voix", c'est original et cela donne une bonne dynamique à l'écrit.
Et quel joli travail de l'auteur pour décrire la schizophrénie grandissante de Eduard, son environnement parfois doux et apaisant, parfois violent et humiliant, ces tentatives "expérimentales" de la médecine pour le soigner.
J'ai également apprécié le portrait de la mère, cette femme Serbe handicapée par un problème de hanche et qui a sacrifié sa vie pour les Einstein.
Je conseille vivement ce roman.
"La nef des fous"
Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 22 décembre 2013
L'internement du fils correspond à la montée de l'antisémitisme en Allemagne qui oblige Albert Einstein à l'émigration aux Etats-unis.
Là-bas aussi, il sera le témoin, de la haine raciale contre les noirs et contre les juifs. Mais il continuera à s'interroger sur ce fils malade qu'il ne reverra jamais, qui finira par vivre au Burghölzli, établissement de Zurich qu'il fréquentait étudiant auprès de grands précurseurs de la psychiatrie et de la psychanalyse modernes.
Lui qui aura écrit un ouvrage avec Freud, sera incapable de comprendre son propre fils et d'assumer son rôle de père.
"Je me suis contenté pendant longtemps d'apprécier la puissance spéculative de votre pensée, et son immense influence sur les conceptions de notre époque, sans être capable de me faire une opinion bien arrêtée sur l'exactitude de vos hypothèses. J'ai récemment eu connaissance de quelques cas peu importants en eux-mêmes dont la seule interprétation possible est celle de votre théorie du refoulement. J'ai été enchanté de découvrir ces cas, car c'est toujours un bonheur de constater qu'une grande et magnifique théorie est en accord avec la réalité."
Extrait d'une lettre écrite à Freud en 1936... à qui il ne parlera jamais de son fils, ni ne lui demandera d'intervenir.
Son fils ainé Hans Albert émigrera aux Etats-Unis quelques années plus tard. Mais avec lui aussi les relations affectives seront difficiles. Le fils lui reprochant pratiquement toute sa vie, de les avoir abandonnés.
"Qui es-tu pour me donner des leçons? Tu es mon père lorsque ça t'arrange. Tu t'es détaché de nous comme tu t'es détaché de notre mère... "
Les chapitres de Tete, surnom d'Eduard sont remarquables; ses délires, ses instants de lucidité me semblent d'une grande justesse. L'alternance des réflexions d'une incroyable culture avec les moments de folie donne une tension et une force à ces chapitres.
Les chapitres les plus touchants sont ceux où Mileva prend la parole. La douleur et la solitude de cette maman d'origine serbe, contrainte d'abandonner son fils dans des établissements expérimentaux pour le protéger de lui-même et de ses fréquentes tentatives de suicide. La psychiatrie du début du XX° siècle étant une science nouvelle, les méthodes de soins, électrochocs, traitements à l'insuline jusqu'au coma, camisole sont d'une grande violence.
Un roman à trois voix admirable, où l'auteur fait preuve de son immense talent en donnant la parole au père, à la mère et au fils avec autant de justesse et d'empathie. Un travail de romancier et d'historien remarquable.
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