Emile Verhaeren : Sa vie, son oeuvre
de Stefan Zweig

critiqué par Pucksimberg, le 19 novembre 2022
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Un bel hommage à Verhaeren
Emile Verhaeren n'a pu qu'être touché par ce texte de Stefan Zweig, analyse qui éclaire son œuvre et propose une vue globale sur ses textes. Cette critique se structure en plusieurs parties et plusieurs chapitres et aborde de nombreux thèmes. Elle n'est pas à lire comme une biographie car elle ne se présente pas comme une description factuelle. Stefan Zweig analyse plutôt les contextes historique et littéraire de la Belgique, et de l'Europe, durant cette période, il évoque avec précision et justesse comment la pensée de Verhaeren s'est construite et comment elle a évolué. Stefan Zweig possède une excellente connaissance de Verhaeren, il cite de nombreux poèmes, des recueils peu connus aussi du lecteur. L'on a conscience que cette analyse est documentée et résulte d'une réflexion approfondie, comme c'est souvent le cas avec Zweig. Ce dernier évoque comment Verhaeren conçoit la religion, la ville moderne, la science, l'Europe ... Très admiratif, Zweig voit en lui un homme totalement en résonance avec le monde dans lequel il vit et dont la portée de l'œuvre est incroyable et dépasse la Belgique et la France. Il n'hésite pas à le comparer souvent à Walt Whitman.

Cette œuvre est éclairante car elle permet de comprendre la pensée de Verhaeren de façon presque intime, tout en étant en relation avec le contexte de son époque. On apprend beaucoup d'éléments sur sa façon de voir le monde. Le lecteur qui attend des anecdotes croustillantes sera déçu. Il n'y en a pas. Nous n'avons pas accès à tous les éléments de son existence. Ce texte a plutôt les propriétés d'un essai sur un auteur. L'écriture de Zweig est sublime comme d'habitude. Elle pourrait même parfois voler la vedette à son sujet. Le style est poétique, très imagé, avec quelques envolées lyriques. Son texte rend hommage à Verhaeren, tout en soulignant la profondeur de sa pensée. Des extraits de poèmes parsèment ces chapitres qui donneront un éclairage sur les thèmes abordés et permettront aussi d'apprécier l'écriture de Verhaeren.
Stefan Zweig ne publie pas une simple analyse, en effet le lecteur a conscience de lire le texte d'un écrivain qui parle d'un autre auteur. Le caractère littéraire de cette analyse est indéniable. Il apporte beaucoup à cette lecture. Certains passages nécessitent une grande concentration car Zweig est parfois très inspiré. On sent aussi qu'il doit se retrouver aussi en Verhaeren à certains égards comme dans leur vision de l'Europe.

Une œuvre éclairante pour qui souhaite découvrir la pensée de Verhaeren et agréable à lire grâce à la plume de Zweig.

"Jamais — à l’exception de Dostoïevski — aucun poète n’a plus profondément fouillé d’un scalpel plus cruel ses propres plaies jusqu’à effleurer les nerfs à vif. Jamais peut-être — sauf dans Ecce Homo de Nietzsche — aucun poète ne s’est approché autant de l’abîme de la vie, pour se repaître de la sensation de son vertige, du sentiment d’un mortel danger. L’incendie des nerfs a lentement gagné le cerveau. Mais, en vertu de son dédoublement, L’autre est demeuré en éveil ; il a remarqué que l’œil de la folie le guettait ; il en a subi la lente attirance et l’inévitable magnétisme. « L’absurdité grandit comme une fleur fatale . » Avec une terreur douce et mystérieusement voluptueuse, il a senti s’approcher l’Horrible. Depuis longtemps il s’était rendu compte que ce déchirement intime avait chassé sa pensée du cercle de clarté."