Les gens normaux : Paroles lesbiennes gay bi trans de Hubert (Scénario), Cyril Pedrosa (Scénario), Collectif (Dessin)
Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers
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Normaux ou barjots ?
Qu’est-ce que la normalité ? Qui peut se targuer d’être normal ? Comment se situer par rapport à la norme quand on appartient à une minorité discriminée en fonction de son orientation sexuelle ? La question du genre abordée avec justesse en dix témoignages, comme autant de facettes de notre société contemporaine…
Il convient de saluer l’initiative de Casterman de publier cette œuvre chorale quelques mois après l’hideux grabuge autour du « mariage pour tous » en France. Ces témoignages recueillis par le scénariste Hubert et mis en image par plusieurs auteurs, parmi lesquels Cyril Pedrosa, qui n’aura produit ici que trois petites pages de présentation + la couverture (dommage du peu), devraient permettre à ceux qui fantasment les « autres » sexualités comme un vice ou une malédiction de revoir leur jugement, encore faudrait-il que le bouquin leur tombent dans les pattes…
Du point de vue artistique, il est difficile de juger du vrai talent des auteurs sur des histoires de quelques pages, mais j’ai bien apprécié le trait de Simon Hureau (qui curieusement me semble meilleur dans le portrait noir et blanc comme ici que dans « Crève saucisse » où le mouvement intervenait). Le reste est assez varié dans les styles et globalement agréable à regarder. Mention spéciale à Zanzim, Freddy Martin, Natacha Sicaud et tout particulièrement Audrey Spiry et son approche poétique de la transsexualité.
J’ai lu ces témoignages avec intérêt, sauf peut-être le premier où un dénommé Philippe évoque son ami mort du sida dans les années 80 et sa propre séropositivité. Avec tout le respect que j’ai pour ce monsieur, j’ai l’impression d’avoir entendu ce genre d’histoires des centaines de fois, et je crois qu’à un moment il faut arrêter l’auto-apitoiement… Pour le reste, la diversité des témoignages est frappante : un couple de lesbiennes bien insérées dont l’une est mère d’une fillette (« Histoire d’Astrid et Nolwen »), un jeune reubeu gay de droite et anti-gay pride (« Histoire de Farid »), une bisexuelle libertine qui se sent plus proche des femmes mais préfère les mecs pour le cul (« Histoire de Virginie »), un jeune catho gay pacsé avec un athée (« Histoire de Marc »), une transsexuelle témoignant des douleurs endurées pour sa transformation, au-delà de celle d’avoir souffert de naître dans un corps de garçon (« Histoire de Bénédicte »). Mais le plus poignant d’entre tous est sans conteste le récit de Momo, qui a dû fuir sa Guinée natale pour échapper à l’homophobie extrêmement virulente en Afrique et a pu retrouver un peu de confiance et de dignité grâce au soutien de LGBT Tours. Préfacées par Robert Badinter, ces dix histoires bédéssinées sont complétées d’une réflexion enrichissante par la plume de sociologues et d’universitaires.
A la lecture de l’ouvrage, on réalise que le droit à la différence (à l’indifférence ?) a encore du chemin à faire et que certains préjugés seront plus durs à désintégrer qu’un atome selon la célèbre formule d’Einstein. Sachant que les préjugés peuvent aussi venir de ceux qui en sont victimes, lesquels ont par ailleurs une fâcheuse tendance à sous-estimer la tolérance des « gens normaux », si limitée soit-elle. Néanmoins, si l’homosexualité est de mieux en mieux acceptée dans nos sociétés, quel hétérosexuel pourra sincèrement afficher sa satisfaction à l’idée qu’un de ses enfants ait une relation avec une personne de même sexe ?
Ce livre interpellera-t-il les zélotes anti-mariage gay ? Même si l’empathie n’est certes pas innée, peut-être pourrait-il les aider à aller au-delà des clichés et à prendre conscience de la diversité d’une communauté dont le seul lien est en fin de compte de ne pas correspondre à la norme hétérosexuelle. Et cette norme hétérosexuelle, existe-t-elle vraiment, ou réside-t-elle juste dans notre imaginaire collectif ? Pourquoi ne questionne-t-on jamais l’hétérosexualité, se demande Louis-Georges Tin dans son pertinent papier page 161 ? Et comme une conclusion à tout questionnement, Bénédicte nous confie qu’elle doit son salut à son psy qui lui avait affirmé : « La normalité, ça n’existe pas. Ne vous sentez pas obligé de vous conformer à la norme des autres, puisque les gens normaux, ça n’existe pas. »
L’autre vertu de ce recueil est de libérer la parole et redonner de la dignité à celles et ceux dont la sexualité dérange, dans un contexte d’intolérance croissante. Car il s’agit bien au final d’imposer un droit élémentaire et universel contre l’arbitraire justifié par une pseudo morale archaïque (l’homosexualité est encore passible de mort dans certains pays !) : le droit de chacun à disposer de son corps… et l’obligation des autres à s’occuper de leurs fesses…
Les éditions
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Les gens normaux : Paroles lesbiennes gay bi trans
de Badinter, Robert (Préfacier) Collectif, (Illustrateur) Hubert, (Scénariste)
Casterman / Ecritures
ISBN : 9782203077249 ; 39,53 € ; 09/10/2013 ; 230 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (1)
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A lire et à faire lire..
Critique de Paofaia (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans) - 16 décembre 2013
Ce recueil de dix témoignages tous dignes d'intérêt, à un degré ou à un autre est:
-précédé d'une préface de Robert Badinter courte mais brillante , rappelant l'essentiel,
- s'achève sur le statut légal de l'homosexualité dans le monde..et il y aurait à dire.
Ces témoignages sont entrecoupés de différents développements juridique, historique, ou de réflexion effectivement sur le concept de " norme", ainsi qu'un chapitre qui explique un peu plus quelque chose de très différent qui est la transidentité.
A ce niveau, j'ai regretté quand même qu'il manque un chapitre plus scientifique, car il y a eu, et il y aura encore, pas mal de recherches sur l'orientation sexuelle. Ce chapitre aurait pu mettre en évidence ce qui a été clairement démontré, c'est qu'au même titre que la couleur des cheveux ( mais de façon beaucoup plus complexe) l'attirance sexuelle ne se décide pas. Elle existe en chacun de nous, et puis c'est tout. Elle peut mettre du temps à se découvrir,elle peut hésiter très longtemps, elle peut tenter de se masquer surtout si elle est réprouvée par l'entourage, mais elle existe.
Que l'on ne sache pas à quoi elle est due, c'est vrai . Mais il y a encore beaucoup d'inconnues dans tous les domaines, d'autant plus qu'en matière de recherche sur l'identité, tout se complexifie au fur et à mesure de l'avancée des recherches. La génétique semblait pouvoir répondre à beaucoup de questions? Et bien, ce n'est pas si simple, nous passons à l'épigénétique. Et nous allons découvrir que nous sommes faits à partir d'une multitude de données qui s'entremêlent, sont influencées par les environnements successifs, se transmettent , et que toutes ces données ne seront pas démêlées si facilement. Je ne sais pas qui a créé cela, mais c'est sûr que cela aurait été plus facile s'il s'était arrêté à la paramécie.
Le graphisme... et bien, à vrai dire, il diffère selon les dessinateurs,ce que je reprocherais peut-être , c'est d'avoir privilégié noir, blanc et gris. Est-ce volontaire? J'aurais volontiers souhaité un peu de couleurs..:)
Les témoignages:
Je mettrai à part l'histoire de Bénédicte, née Kevin dans un corps de garçon. Car le transsexualisme est à différencier de l'homosexualité. C'est un témoignage en tout cas très honnête qui démontre bien les souffrances que ces individus sont prêts à subir pour ne pas continuer à vivre dans un corps qui ne leur convient pas ( à différencier bien sûr de la chirurgie esthétique..) C'est très profond et c'est si important que le suicide est souvent la solution adoptée par ceux qui ne supportent pas de vivre sous une identité sexuelle qui n'est pas la leur ( et ce , encore une fois, non sur un coup de tête, ni expliqué par quoi que ce soit d'autre que certainement des arguments biologiques). Je sais gré à Maxime Foerster d'avoir parlé des rae rae en Polynésie. qui sont un bon exemple. La transsexualité n'a rien à voir avec l'orientation sexuelle qui vient après, et ne préjuge de rien, Bénédicte l'explique très bien.
Bien sûr, on ne peut qu'être ému du témoignage de Momo, dont a parlé Blue Boy.
Mais le plus intéressant ,dans je dirais l'actualité récente qui a fait tant de bruit, me semble être celui de Marc catholique pratiquant et homosexuel. Complètement dérouté par les réactions violentes, voire haineuses constatées des jours et des jours contre l'obtention d'un droit, celui de se marier. Comment va-t-il pouvoir concilier sa foi et son implication à ce sujet et son homosexualité contre laquelle il ne peut rien. Il y a là une réflexion profonde et qu'on devine très douloureuse.
Deux..remarques:
D'abord, Blue Boy , je voudrais te répondre au sujet du témoignage de Philippe dont le compagnon est mort du Sida.
Peut être oui, as-tu lu , toi, cette histoire cent fois. Mais, crois-moi, le temps passe vite, et les jeunes générations ne l'ont pas lue. Or l'histoire est importante, et elle a marqué un tournant majeur. Cette période a existé ( et existe encore, à moindre degré bien sûr grâce aux traitements qui ne sont que palliatifs le plus souvent -et très rarement "avoués" même à des médecins de nos jours, c'est le comble- et de façon majeure dans certains pays, on n'en parle plus , c'est tout).
Les malades à cette époque ont été traités comme des pestiférés, personne ne voulait s'en occuper et beaucoup sont morts dans des conditions médicales épouvantables, et complètement seuls et rejetés. Jusqu'à ce qu'on découvre, comme d'habitude, ce qu'était cette maladie, c'est à dire une maladie virale comme une autre. La société devrait être reconnaissante à la communauté gay de s'être prise en mains en activant les recherches, en créant des associations d'aides, qui ont apporté par la suite le développement d'autres associations, pour d'autres maladies, et des regroupements de malades , qui s'aident les uns les autres et bousculent un peu certaines prérogatives indûment dévolues à un corps médical un peu trop enfoncé dans ses certitudes.
Ensuite, le titre: Les gens normaux.. Oui, on le comprend à la fin. Mais.. dans tous ces témoignages, ce que l'on constate ( mais on le sait) , c'est qu'aucun de ceux qui témoigne n'est traité normalement. Il y a le pire bien sûr, Momo, mais les autres.. Aucun ne souhaite en parler, n'ose en parler , qui dans sa famille, qui dans son milieu professionnel. Normalité d'être, bien sûr, mais pas normalité de faits. Il me semble que le titre aurait pu le mettre plus plus en évidence.
Mais il y a le regard des autres qui nous fait nous fait nous sentir différents. Les gens ont besoin de se rassurer pour éviter la question de: Quelle est mon identité, qu'est ce que je choisis et comment je vais la construire. Evidemment, il y a un modèle Ikéa , il suffit de monter les morceaux, et hop, c'est tellement plus simple. Mais quand les morceaux ne s'assemblent pas selon le mode de montage, que les vis ne rentrent pas dans les trous et que les boulons sont tous de travers, il faut improviser...
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