J’ai adoré cette bande dessinée, mais si j’arrêtais là ma critique, ma chronique ou cette présentation, vous seriez déçus ne sachant de quoi il s’agit ni s’il faut se précipiter sur cet album toutes affaires cessantes. C’est pour cela que je vais tenter de vous donner tous les éléments indispensables pour vous convaincre à ouvrir ce travail de Fred Neidhardt, un auteur que certains connaissent peut-être pour son humour corrosif… Mais, là, nous sommes dans autre chose, une histoire plus complexe, plus profonde…

Avant toute chose, il faut tenter de comprendre le milieu dans lequel les personnages vont se mouvoir. Les Pieds Noirs ! C’est le nom que l’on a donné à ces Français nés en Algérie. En effet, après la conquête de ce pays dans la première moitié du dix-neuvième siècle, de nombreux Français sont nés sur cette terre, ils se sont « mélangés » avec les Italiens, les Espagnols et, aussi, ne l’oublions pas, avec des habitants de cette régions, Kabyles, Arabes, Berbères… Il est très difficile de définir avec précision ce qu’est un Pied-Noir, d’ailleurs il est impératif de mettre cela au pluriel car il existe des Pieds Noirs, avec des repères différents…

Pour ceux qui ne connaissent pas cette population, je rappellerai aussi qu’il ne s’agit pas d’une catégorie sociale élevée car la majorité des Pieds Noirs vivait modestement. Enfin, il ne s’agit pas non plus d’une population exploitante, descendant de monstres sanguinaires. Si l’Algérie a bien été colonisée par la France – acte guerrier indiscutable avec violence indéniable – la population que la France a installé, souvent de force, relevait plutôt de tous les indésirables qu’elle ne voulait plus voir chez elle, en Métropole. Chaque changement de régime a provoqué ainsi un arrivage de nouveaux « colons »… On retrouva ainsi des anciens royalistes, des suppôts de l’Empire, des Communards… sans oublier les fauchés, les responsables de faillites, les aventuriers de toute nature et les anciens légionnaires en retraite…

Ainsi s’est formée cette population pied-noir arcboutée autour de valeurs partagées : nous sommes incompris de Paris et de la Métropole, nous sommes supérieurs aux autochtones, nous sommes encore plus Français que les Français de là-bas… mais voilà que la seconde guerre mondiale vient perturber leur vie. Les fameux autochtones participent à la Libération de la France, dans l’Armée d’Afrique, aux côtés de nombreux Pieds Noirs, ils donnent leur vie pour un pays qu’ils ne connaissent même pas. Au retour en Algérie, on fait comprendre aux survivants qu’ils ne deviendront pas Français à part entière pour autant… Ils restent des autochtones ! Et ce sera la Guerre d’Algérie…

1962, une masse considérable de Pieds Noirs quitte en catastrophe l’Algérie. Souvent ils ne peuvent prendre que le strict minimum vital, abandonnent le seul pays qu’ils ont connu, laissent leurs souvenirs, leurs maisons, leurs meubles… Ils sont meurtris à jamais et c’est maintenant que l’on peut ouvrir cet album… Mais je crois qu’il fallait avoir tout cela en tête avant d’aller plus loin…

Nous sommes maintenant à une autre époque, de nos jours… on va entrer dans la vie quotidienne d’une famille Pied-Noir en compagnie d’un jeune homme – enfin, un tout jeune homme – qui est parti de chez lui sur un coup de colère et qui arrive chez ses Grands Parents. Il habite Besançon et le voilà à Marseille…

Si la famille Pied-Noir porte des valeurs apparentes d’unité, de chaleur, de solidarité… elle aussi comme toutes les familles, avec des individus différents dont certains sont racistes, violents, sectaires, autoritaires, bornés… On va assister en quelques jours à Marseille à une tranche de vie passionnante. Certes, ne vous attendez pas à de grosses surprises, à suspense intenable, à des crimes monstrueux… Non, vous n’aurez que la douceur des uns, la bêtise des autres, le racisme des derniers… Oui, le racisme est très présent, en parole surtout, quoi que…

C’est aussi l’histoire de la transmission impossible, quand le vécu des uns ne peut plus supporter la vie des autres, quand les grands-parents, ceux qui ont vécu en Algérie, qui ont subi l’arrachement à leur terre, ne peuvent pas comprendre leurs petits-enfants, ceux qui sont dans une famille Pied Noir alors qu’ils sont nés en France métropolitaine…

J’ai aussi oublié de vous dire que les personnages ont des têtes d’animaux, on peut être surpris mais ça fonctionne très bien et très rapidement vous êtes emportés par l’histoire, tout simplement… J’avoue avoir été séduit instantanément par le récit de Fred Neidhardt et je dois vous avouer que ma famille n’est pas complètement étrangère à celles qui ont vécu un temps dans ce Maghreb… et il est grand temps d’oser en parler, sans fard, sans cachoterie, sans faux semblant et sans se masquer le visage. Il est temps de tourner certaines pages de notre histoire et de passer à un autre épisode, celui qui offrirait à l’Algérie et la France de vivre en bonne entente, en bonne intelligence, en fraternité méditerranéenne serais-je tenté de dire !

Une excellente bande dessinée à lire et faire lire !!!