Les bêtes à pain
de Alexis Boucot

critiqué par JulesRomans, le 28 novembre 2013
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
« Les prairies regainables comprennent les herbages ou embouches de la Normandie, du Nivernais (....) »
Voilà un roman historique qui nous plonge dans les années 1891 et 1892 de la Puisaye, une région naturelle française située aux confins de l'Orléanais, du Nivernais et de la Bourgogne. Nous suivons un jeune adulte qui né à Paris, a été placé dans cette région connue pour accueillir nombre d’enfants de l’Assistance publique comme lui.

On suit sa quête d’affection, tant en direction des chevaux que des gens. Cet ouvrage est rempli de rappel de faits historiques et de mots de patois nivernais. Ce n’est donc pas seulement la vie dans à la Belle Époque le canton de Saint-Amand-en-Puisaye, mais le passé de cet univers géographique par petites touches impressionnistes. Ainsi la résistance à la prise du pouvoir par Napoléon III est-elle évoquée pages 44 et 45 à travers un ancêtre d’un personnage, la lutté contre les jansénistes sous Louis XV page 93, Louis XII et la verrerie de Saint-Amand pages 33 et 34, la Guerre de Cent ans, Bussy Rabutin s’emparant de Bitry à l’époque de la Fronde…

L’auteur est originaire de la région, on sent en lui l’érudit ; il offre ici vingt-deux chapitres bien construits au style fluide et à la dramatisation très adaptée au milieu qu’il décrit. Les portraits physiques sont fouillés, comme on peut le voir dans une partie du passage consacré à décrire le père Jean, la page 158 :

« De longues et fines moustaches blanches de mousquetaire ornaient son gros nez bourgeonné et des yeux opalins contrastaient avec sa face burinée sur laquelle se dressaient des cheveux gris-blancs coupés en brosse. Il émanait ainsi de son visage une certaine sévérité lorsqu’il vous toisait, une force et du caractère mais aussi une grande dignité qui impressionnaient et qui le faisaient craindre des apprentis ».

Dans "Ni père ni mère" l’auteur citait l’article d’André Armengaud sur les nourrices du Morvan au XIXe siècle paru dans la revue "Études et chroniques de démographie historique" et le seul roman scolaire écrit sous la IIIe République qui prend pour héros un enfant de l’Assistance publique, est "Pour devenir un homme:livre de lectures courantes" ; paru chez Garnier en 1908 il se déroule successivement dans la Nièvre puis dans l’Yonne. Son auteur est mort durant la Grande Guerre, il était instituteur à Paris et militant socialiste dans le courant le plus antimilitariste, celui de Gustave Hervé qui de 1899 à 1901 (date de sa révocation pour ses opinions) est professeur au lycée d’Auxerre peu éloigné de la région décrite dans "Les Bêtes à pain".

Il est à noter que l’univers peint par Alexis Boucot est celui où vécurent nombre de poilus dont le nom est sur les monuments aux morts ; l’on verra tout l’intérêt de l’ouvrage "Sentinelles de pierre : Les monuments aux morts de la guerre de 1914-1918 dans la Nièvre" d’Hervé Moisan.