Sentinelles de pierre : Les monuments aux morts de la guerre de 1914-1918 dans la Nièvre
de Hervé Moisan

critiqué par JulesRomans, le 23 novembre 2013
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
Paul Blaize ta main de fatma sur toi entre 1914 et 1918 ou entre 1921 et 1930 ?
Voici une étude très exhaustive de tous les monuments aux morts construits en mémoire des combattants de la Grande Guerre dans le département de la Nièvre. L’auteur n’a pas seulement étudié tous les dossiers déposés aux archives départementales en provenance du cabinet du préfet, mais aussi la presse locale de l’Entre-deux-guerres voire de la fin du XXe siècle.

Ce n’est pas seulement la dimension artistique, mais aussi les enjeux idéologiques portés par tous les aspects d’une de ces œuvres, la proportion des morts par commune, les débats sur l’aspect et les utilisations de ses abords…

Ainsi la foire traditionnelle aux bestiaux à Saint-Saulge passera du 11 au 10 novembre durant l’Entre-deux-guerres, et dans les années 1990 les anciens combattants demandent que les animaux soient attachés à une certaine distance du monument, par respect aux morts au champ d’honneur. Il est à noter que si le 14 août 1922 n’était présent qu’un poilu survivant à l’inauguration du monument aux morts de Saint-Saulge, il n’était pas le seul en effet le capitaine Paul Blaize était alors au Maroc. Ce dernier outre d’être natif de ce chef-lieu de canton de la Nièvre, a eu une vie bien connue par l'auteur de ses lignes.

Pour revenir à cet ouvrage très illustré et très documenté (les pages finales présentant individuellement ceux qui ont conçu et fabriqué les monuments en question), il n’intéressera pas seulement les habitants de la Nièvre mais tous ceux qui voudraient mener une étude sur les réalisations de ce type. On voit à la fois voir vers quelles pistes on peut se diriger pour développer autour d’un monument aux morts et avoir des points de comparaison avec d’autres départements. Dans ce département très laïc, rares sont les monuments présents dans les cimetières et lorsqu’ils le sont ils ne portent pas obligatoirement une croix (c’est le cas à Saincaize-Meauce, commune limitrophe du Cher dont elle est séparée par le cours de l’Allier). En effet avec la loi de 1905, il n’aurait jamais dû avoir de symboles religieux présents, toutefois les nombreuses municipalités catholiques de l’Ouest trouvèrent bien vite une astuce, à savoir mettre cette réalisation dans le cimetière communal.

Mal serait venu de reprocher à l’auteur de reprocher à l’auteur de proposer une vision du monument actuel alors qu’il signale que sous l’Occupation certains éléments en furent soustraits. L’expérience nous montre qu’il est parfois impossible de retrouver un dessin ou une photographie d’un monument aux morts tel qu’il fut avant l’exécution de l’ordre du gouvernement de Vichy. Peu de statues enlevées furent remises à l’identique durant les années qui suivirent la Libération.

Le 11 octobre 1941, le gouvernement de Vichy promulgue la loi sur l'enlèvement des statues métalliques en vue de la récupération de métaux non ferreux. Les fonctionnaires des Beaux-Arts, sous la tutelle de Jérôme Carcopino (alors secrétaire d’état à l’Éducation nationale et la Jeunesse) choisissent celles qu’ils désirent voir servir à l’industrie française et sur lesquelles les Allemands mettront la main. En effet pour garder les cloches de églises menacées de réquisition, le gouvernement de Vichy livre des éléments des monuments aux morts et en grand nombre des représentations de personnages du patrimoine français républicain ou laïc (comme le général Travot ou le chevalier de La Barre). L'ironie de l'histoire fait qu'un musée porte aujourd'hui le nom de Jérôme Carcopino, il n'y présente évidemment pas les moules des statues qui ont fini leur vie en fût de canon allemand...