Noces de Charbon
de Sophie Chauveau

critiqué par Yotoga, le 26 novembre 2013
( - - ans)


La note:  étoiles
"Ici on sait le prix du sang", P. Kaas
Incroyable saga familiale, ce livre commence au début du siècle dernier dans le nord de la France au coron et suit deux familles en parallèle jusqu’aux années 70.

De la richesse à la faillite, de la mine au monde de la fête parisienne, ce roman met en concurrence une morale de travailleur de la terre et une mentalité dépensière des générations suivantes. Les contrastes Pas-de-Calais / Paris, riche/pauvre, éducation/non-diplômé, travail/désinvolture se succèdent chronologiquement, dans la suite des choses entre France et Belgique en mouvement.

Les différences de mentalités sont signalisées par l’évolution des mœurs sexuelles féminines. Ici, tous les personnages principaux ont un autre rapport face à l’enfantement, l’union de deux êtres, l’homosexualité ou l’amour non consommé. L’une charme mais ne couche pas, l’autre avorte 4 fois, la troisième trouve l’amour auprès d’une femme, une autre porte l’enfant de son amant, et une ressent les accès de son mari comme des viols.

L’Histoire est retranscrite dans les mouvements de populations : les premiers déménagements direction Paris et Grenoble pendant la Der des Der, et le rapatriement des membres de la famille après la mort du grand-père pendant 39-45. Comme dans beaucoup de famille, on retrouve pendant la période de la 2nd guerre mondiale des profiteurs, des résistants, des collaborateurs, et des juifs.
L’économie de cette famille suit les hauts et les bas de la cote du charbon : l’or noir omniprésent pour construire la fortune au début du siècle et maintenir un standing jusqu’à la seconde guerre, obsolète après les années 60.

Le début du livre ressemble énormément à Germinal, l’auteur a fait des recherches et essaie de comprendre la vie de ce milieu en le décrivant et le définissant le mieux possible. Le roman commence plus tard, mais il en vaut la peine. (Ce livre n'est pas un roman à propre parlé : l'auteur raconte sa propre famille)

La complexité du nombre de personnages se réduit vers les pages 140 pour se concentrer sur le milieu parisien et là aussi, les retours sur l’arbre généalogique ne sont plus nécessaires pour comprendre où on se situe. Chaque personnage a un surnom, ce qui rend le récit vivant et facilite la densité.

Le style est assez journalistique au début, et change au milieu. J’ai particulièrement apprécié les joliesses stylistiques telles que page 58 « Il ne sait pas s’habiller comme il faut, il ne maitrise pas le baise-main, ni ne trouve la phrase banale et élégante à laisser tomber l’air de rien. Emile ne sait pas avoir l’air de rien. Trop lourd, trop profond, trop empoté, il se prend toujours les pieds dans le tapis de son âme. »
Violence sur fond anthracite ! 9 étoiles

En toile de fond et personnage central : le charbon, la douleur de son extraction, la misère et/ou l'enrichissement qu'il entraîne. A travers le destin de deux familles, qui lui sont indissolublement lié, de 1900 à 1968, on suit son apogée puis son déclin.
L'une des familles vit la misère, l'autre la richesse insolente, pourtant chacune à sa façon s'inscrit dans la marche du siècle dans la lutte ou l'inertie, la recherche effrénée de plaisir ou la recherche d'une élévation sociale.
Les personnages sont décrits à la fois avec violence et minutie, l'écriture est aussi belle et troublante que les personnages qui y sont décrits. Les femmes sont particulièrement importantes : travail, maternités subies et enfants non ou mal "digérés", elles sont omniprésentes et tissent le fil de générations qui se succèdent sans se rejoindre. Sur fond de 3 guerres, les personnages évoluent, aiment ou haïssent, toujours dans une approche de lutte sociale.
Quand les 2 familles devront se "réunir", le monde aura changé et tous, à part l'auteure peut-être, vivront devant la béance d'un monde qui a changé, d'un Nord désormais oublié et dans un étroitesse de "petits bourgeois étriqués".
C'est la violence des relations, d'une époque, d'un monde qui continue Germinal, qui est le phénomène le plus marquant de ce livre qui dérange profondément, mais qu'il sera trop dommage de n'avoir pas croisé. De la superbe ouvrage !

DE GOUGE - Nantes - 68 ans - 13 décembre 2015