La Nuit entière
de Christiane Frenette

critiqué par Libris québécis, le 21 juin 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Le Besoin d'autrui
Il semble difficile de se créer des amitiés. C'est le cas pour l'héroïne de ce roman, qui souffre d'un manque d'entregent. Elle espère y remédier en s'inspirant d'une compagne de classe, qui se distingue justement par cette qualité. Et quand elle y parvient, rien n'est encore sûr, car «la fidélité est une terre usurpée», comme le dit René Char, qui semble présider à l'écriture de ce roman de Christiane Frenette. L'auteure tente de démontrer que nul n'est une île. Tous ont besoin d'autrui, mais les rapprochements se concluent souvent par une dissolution, qui rend la solitude encore pire.

On entre dans le vif du sujet après une amorce
qui s'attarde trop longument sur les relations de Jeanne, l'héroïne, avec sa camarade de classe. Le roman s'embraye quand elle rencontre Gabrielle par hasard dans une rue de Montréal, une ancienne amie, devenue dépressive et infirme à la suite d'un accident. Cette dernière profite de l'occasion pour inviter Jeanne chez elle, dans un village perdu des Appalaches, une chaîne de montagnes qui sépare le Québec des états-Unis.
Elle accepte l'invitation et s'y rend pour un week-end. Sa visite remonte tellement le moral de Gabrielle que ses parents lui demandent de prolonger son séjour. Elle acquiesce à leur désir, décrochant par surcroît un emploi à la boulangerie du village. Des atomes crochus nés de leurs intérets culturels font en sorte qu'elle devient la confidente de cet homme, porteur d'un lourd secret qui l'isole des autres.
Gabrielle a aussi un frère vétérinaire, pétri de vengeance à la suite de l'accident de sa soeur. Un autre être enfermé dans sa bulle, dont Jeanne tentera de le sortir en lui offrant son amour. Elle apprendra à ses dépens que le métier de sauveur n'est pas très gratifiant. Au contraire, ce bénévolat humanitaire se retourne souvent contre celui qui l'exerce. Un soir, assise dans la véranda, abandonnée de tous ceux qu'elle a aimés et aidés, même de son fils, elle voit un élan quitter la forêt et s'étendre une nuit entière devant elle, avant de mourir d'une balle tirée par un chasseur, qui n'a pas suivi sa proie.
Cette image éloquente montre le visage de la solitude. On est souvent seuls dans la vie comme dans la mort. Jeanne, blessée et isolée au milieu des siens, tente de survivre en s'aidant de la béquille de l'alcool. S'étant exilée par amour d'autrui dans une campagne austère, elle apprend la prodigieuse ingratitude des humains. Autant cherche-t-on les contacts humains, autant on s'en lasse. Et les généreux donateurs se retrouvent sur le carreau. Avec une écriture simple et belle, l'auteure raconte une histoire d'amour et d'amitiés, qui s'harmonise merveilleusement bien au décor sévère des Appalaches.
Tout cela est vrai ! 8 étoiles

Qu'on soit "toujours seul" est vrai pour tout ce qui est grave, la mort par exemple ou une grande douleur physique. Mais quand les choses vont, ne fut ce que normalement, je n'accepte, ni ne supporte, la solitude. J'ai besoin de voir le monde bouger autour de moi, besoin de parler avec quelqu'un. J'adore parler avec des gens que je ne connais pas, chose que ma timidité m'empêchait de faire avant. J'adore découvrir d'autres gens. Mais je sais aussi que, la plupart du temps, cela se terminera en effet par une déception, mais, comme me disait un de mes meilleurs amis: "Pour découvrir, il faut d'abord être ouvert. Atre ouvert aux autres suppose beaucoup de claques dans la tronche, mais à être fermé tu passeras à côté de tout, même du bon ! Alors ?... Il faut toujours prendre le risque de la claque !"

Jules - Bruxelles - 80 ans - 21 juin 2003