Le regard éloigné

Didier Eribon s'entretient avec Claude Levi-Strauss sur sa vie et sur son travail d’ethnologue. Dans la première partie, on suit le parcours de cet homme qui n'a jamais aimé voyager, qui très tôt fut tenté par le socialisme et qui ne refusera aucun honneur jusqu’à accéder à l’Académie française en passant par le Collège de France. Soucieux de maintenir les institutions qui affirment l'appartenance à une communauté, il verra d'un mauvais oeil Mai 68, trop désordonné à son goût. Cette première partie n’est somme toute pas la plus intéressante. Celle consacrée à son apport en ethnologie et qui revient en détail sur chacun de ses livres, dont beaucoup ont marqué le défunt 20 ème siècle, l’est davantage.
La troisième partie qui s’attarde sur les préférences culturelles du structuraliste est plus anecdotique. Il nous dit son goût des objets anciens qu'il chine chez les brocanteurs et les antiquaires. Son roman préféré : le Cousin Pons ; son compositeur préféré : Wagner ; ses peintres favoris : Paul Delvaux, Van der Weyden.
Ce livre aurait pu s'appeler « Le regard éloigné » s'il n’était déjà pris pour servir d’en-tête à un recueil d'articles car, comme Lévi-Strauss le dit, ce titre emprunté au japonais lui est venu en lisant Zéami, l'inventeur du nô, qui déclare que pour être acteur, il faut se regarder soi-même de la façon que les spectateurs vous regardent : il emploie à cette occasion l’expression de regard éloigné. « J’ai trouvé, dit Lévi-Strauss, qu’elle représentait très bien l’attitude de l’ethnologue regardant sa propre société, non comme il la voit en tant qu’il en est membre, mais comme d'autres observateurs, placés loin d’elle dans le temps ou dans l'espace, la regarderaient. »
Un excellent livre dans la collection de poche Opus, des éditions Odile Jacob, par un spécialiste de Dumézil et de Foucault, Didier Eribon, qui permet de parcourir l’oeuvre d’un auteur important avant de commencer la lecture de ses livres. Œuvre qu’on peut aborder par « La Potière jalouse », un des rares livres plus léger, de l'aveu même de son auteur, qu'il a pris plaisir à écrire ou « La pensée sauvage », qui montre que la pensée des peuples primitifs, à rapprocher du bricolage, constitue cependant l'amorce d’une pensée scientifique.
« Une des différences essentielles entre la manière dont nous réfléchissons et la manière dont ces peuples réfléchissent , dit Lévi-Strauss, c'est notre besoin de morceler. Nous avons appris cela de Descartes : diviser la difficulté en autant de parcelles qu’il est requis pour la mieux résoudre. La pensée des peuples dits primitifs récuse ce morcellement. Une explication ne vaut qu'à condition d'être totale. » Ou encore "Race et Histoire" critiqué sur ce site par Heyricke. Sans oublier l'œuvre maîtresse, les trois tomes des « Mythologiques », livres dans lesquels Levi-Strauss a rassemblé de nombreux mythes en montrant, sur le mode mathématique, la loi de transformation qui opère entre leurs diverses versions.
D.E.- Pour vous, un mythe, c'est l'ensemble de ses variantes, de ses versions. Vous ne cherchez pas à déterminer la version authentique ? C.L.-S. - Il n'y a pas de bonne version, ni de forme authentique ou primitive. Toutes les versions doivent être prises au sérieux. Une réponse à l'image de l’esprit d'ouverture. et de sérieux de l'auteur.

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  De près et de loin [Texte imprimé], suivi de "Deux ans après" Claude Lévi-Strauss, Didier Éribon

  de Lévi-Strauss, Claude Eribon, Didier
  Odile Jacob / Série Sciences humaines
  ISBN : 9782738103758 ; 1,80 € ; 01/03/1996 ; 278 p. ; Poche

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