Guano
de Louis Carmain

critiqué par Libris québécis, le 29 décembre 2013
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Un amour de guerre
La paix n’est pas pour demain. La guerre se prête trop à la poésie pour qu’on la délaisse. Vigny l’a compris. En 1835, il nous rappelait la Grandeur et Servitudes militaire. Des terres à conquérir surgit souvent une femme, inespérée, que l’on voudrait aimer comme on n’a jamais aimé. Pendant que les canons tonnent se trament des intrigues amoureuses qui, hélas, ne se dénouent que rarement en faveur de celui qui aime à mourir, dirait Francis Cabrel Le Dr Jivago l’a compris à ses dépens.

En 1864, Simón Cristiano Claro, le marin assigné à la tenue du journal de bord, s’apprête à vivre les affres d’un amour à naître qui risque d’avorter. Il ne suffira pas de réciter Le Lac de Lamartine pour que la flotte espagnole se retienne de voguer autour de l’Amérique latine afin de reconquérir les terres qui ont jadis fait la gloire de la couronne hispanique. C’est d’abord le Pérou, qui est ciblé afin de convaincre le président Pizet de renoncer à l’indépendance acquise récemment. Si les pourparlers achoppent, l’amiral songe à braquer les canons alignés comme une rangée de dents sur le pont de son navire vers la ville de Callao.

C’est avec civilité que l’Espagne espère recouvrer son ancienne colonie. L’amiral Pinzón rencontre le maire de Callao, faute de s’adresser au chef de l’État. La réception a favorisé Simón. Il a fait la connaissance de Montse, la fille d’un riche propriétaire d’une plantation. C’est le coup de foudre, mais la trentenaire célibataire sait garder ses distances. Rien de mieux pour éperonner un marin scribouillard. Il lui rédige une lettre qui, espère-t-il, touchera le cœur de la belle. Mais encore faut-il qu’elle la reçoive. Ce sera difficile d’autant plus qu’après l’échec des discussions de Pinzón avec le maire, la flotte met le cap sur le Chili afin de reconquérir ses anciennes colonies en commençant par ce pays. En canonnant Valparaiso, on croit que le Pérou cédera à la demande d’Isabelle 11, qui cherche désespérément à redorer le blason de l’Espagne. Pour atteindre ses fins, elle affrète trois autres bâtiments, qui se ravitaillent dans des îles péruviennes couvertes d’excréments d’oiseaux de mer. Quelle richesse ! On peut en tirer le guano, un engrais rentable pour l’économie du pays.

Que résultera-t-il de tout ce pilonnage des villes égaillées le long des côtes ? C’est le dilemme du roman, dont l’intérêt s’amalgame à l’amour d’un marin espagnol pour une Péruvienne inaccessible. C’est avec brio que l’auteur a monté la trame de ce pan historique des guerres hispano-sud-américaines. Il a évité les ornières du genre pour souligner l’orgueil des pays conquérants qui croient que tout leur est dû. L’épilogue, imprévisible comme une nouvelle, exécute une pirouette pour sauver l’honneur d’une reine, qui paya cher pour ses carences à exercer le pouvoir. Exilée en France, elle dut abdiquer en 1870.

Cette uchronie forme un toron composé d’un fil historique et d’un fil amoureux. Ce dernier cependant se perd souvent pendant les combats navals. Heureusement, l’auteur parvient toujours à le récupérer. En somme, il a écrit une œuvre originale, enrichie par un art scriptural recherché. Un peu trop même. Pour apprécier l’écriture à sa juste valeur, il est requis d’être familier avec l’anacoluthe, l’asyndète, l’ellipse, l’hyperbate et la parataxe, sans compter qu’il faut une connaissance assez pointue de la terminologie pour souquer avec une godille et pour enrouler les haussières autour des bollards.