Paquebot
de Pierre Christin (Scénario), Annie Goetzinger (Dessin)

critiqué par Shelton, le 1 janvier 2014
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Excellent album de bande dessinée !!!
C’est au moment où Annie Goetzinger sort un album aux éditions Dargaud intitulé Jeune fille en Dior, que je pense utile d’inviter chaque lecteur de bande dessinée à découvrir ou redécouvrir cette grande auteure du neuvième art. Certes, elle n’est plus la jeune dessinatrice qui surprenait par la beauté, la profondeur, l’humanité de ses personnages, elle n’est plus la jeune qui expérimentait une narration graphique nouvelle et classique à la fois, mais elle est devenue Annie Goetzinger, grande auteure ! Tout simplement !

Comme elle vient du dessin de mode, comme elle a suivi avec attention et application – c’est toujours ce que l’on doit dire quand un auteur a atteint une certaine notoriété mais parfois on entend des anciens collègues être moins catégoriques en souriant – les cours de Georges Pichard, on n’est pas surpris de découvrir son graphisme de grande qualité et la façon dont elle fait vivre les femmes bien habillées. Chez elle, une robe n’est pas simplement un bout de tissu pour cacher des formes, c’est une œuvre d’art qui révèle la féminité et l’anime de toute part. Dans cet album Paquebot, les femmes et leurs tenues ont une importance capitale et alimentent l’admiration des lectrices et les fantasmes des lecteurs, à moins que ce soit le contraire, allez savoir… Oui, c’est cela aussi le talent d’Annie Goetzinger !

Pour revenir à Annie Goetzinger, avant de se concentrer sur son album Paquebot, rappelons aux plus jeunes qu’en 1975 elle sort son tout premier livre, Casque d’or, ce qui lui vaut deux prix au 3ème festival d’Angoulême. A cette époque la bande dessinée est essentiellement masculine, tant au niveau des auteurs que des lecteurs, et Annie Goetzinger défend sa place avec brio avec deux autres femmes, Claire Bretécher et Chantal Montellier… Chacune de ses parutions est alors saluée par la critique mais surtout attendue par ses lecteurs, ses fans, ses inconditionnels : Aurore, La demoiselle de la Légion d’Honneur, La Diva et le Kriegspiel… Les albums s’accumulent et c’est en 1999 que sort Paquebot un travail abouti que j’aime encore aujourd’hui relire juste pour le plaisir…

Quand on est dessinatrice, il est important de savoir raconter des histoires ou de trouver un bon, voire un excellent, scénariste. C’est probablement la chance d’Annie Goetzinger de savoir travailler seule, comme par exemple avec ses premiers albums – Casque d’or ou Aurore – et d’avoir croisé le chemin de Pierre Christin, un géant du scénario de la bande dessinée. C’est avec lui qu’elle va produire ses plus beaux albums, du moins à mon avis. C’est ce Pierre Christin que l’on retrouve dans Paquebot, du moins à ses commandes en quelques sortes…

Ce Paquebot, Horizon, est un beau bâtiment qui prend la mer pour rallier Marseille à l’Asie. Mais ce n’est pas un bateau comme les autres, c’est l’ancien Parsifal, celui qu’Hitler voulait emprunter pour arriver à New-York s’il avait gagné la guerre… et il fut sabordé par la flotte allemande au moment de la défaite, de la déroute… Après remise à flots, réparations et don à la France pour préjudice de guerre, le voilà redevenu comme neuf avec son faste et sa grande classe…

Nous montons à bord et allons vivre en compagnie de Géraldine Moustier-Loÿs, écrivaine et féministe, du moins comme on l’était à cette époque, après-guerre. Mais nous ne resterons pas dans les premières classes car l’histoire de Christin va nous permettre de passer d’un pont à un autre, d’une classe à une autre, de voyager avec les uns et les autres et, aussi, de participer à une grande aventure, entre espionnage, politique et drame social…

Ce qui est passionnant c’est aussi de voir sur ce paquebot tous les acteurs de la France, de l’Europe, de la Terre… Nous sommes dans un huis-clos, isolés en pleine mer, et, pourtant, on va revivre l’occupation de la France avec ses différents personnages, héros ou traites ; on va comprendre les tensions sociales avec riches et pauvres, dominants et dominés ; on va percevoir les grands enjeux du monde : décolonisation, affrontements entre capitalisme et communisme, émancipation de la femme, émergence du Tiers Monde… Bref, une histoire qui permet de parler de tout avec talent et profondeur !

Je n’ai pas envie de vous en dire plus car cet ouvrage est à découvrir, à lire, à apprécier, à aimer, à relire et aimer encore… C’est beau, c’est profond, c’est humain, profondément humain et je suis sûr que vous allez aimer et en redemander. Cela tombe bien car je pense qu’il est grand temps de (re)donner à Annie Goetzinger la place qu’elle mérite dans l’univers de la bande dessinée !