Le goût du Paris insolite
de Collectif

critiqué par Veneziano, le 3 janvier 2014
(Paris - 46 ans)


La note:  étoiles
Chroniques et anecdotes d'antan
L'insolite passe ici par l'anecdote et l'ancien, lointain ou assez proche. Paris est ici redécouvert, par bribes, pour comprendre les menus détails, sociologiques ou d'aménagement qui l'ont constituée, et dont il reste quelques traces aujourd'hui, estompées ou encore visibles.
L'insolite prend également le chemin de la gouaille des quartiers populaires, du XIXème siècle à 1970 environ, comme d'autres peu présentés en littératures, comme le XVème par Roger Caillois. Par ces extraits composant cette petite anthologie littéraire, on quitte tant la quotidienneté que les sentiers battus des quartiers touristiques et les décors de cartes postales.
Aussi ce petit livre est-il conçu pour compléter les deux autres de cette collection Le goût de..., consacré à Paris, son temps et son espace, respectivement.

Pour cette escapade dans les chemins de traverse spatio-temporels dans Paris, sont convoqués comme guides Victor Hugo, Emile Zola, Louis Aragon, Marcel Proust, Raymond Queneau, Antoine Blondin, Rétif de la Bretonne, Jules Verne, notamment, ainsi qu'une série d'auteurs un peu moins "en vue", pour un ensemble quelque peu inégal, assez franchement passéiste, mais relativement dépaysant, assez pour susciter l'intérêt, avec un charme un tantinet désuet.
Cela se laisse tenter et lire.
L'essence de Paris 7 étoiles

Qu'est-ce que le Paris insolite ? Comment le définir ? Un Paris méconnu, bizarre, bizarre défini selon quels normes ? Marqué par un certain pittoresque qui sera forcément réducteur à moins d'avoir le talent d'Alexandre Trauner, décorateur de cinéma de génie reconstruisant « les Halles » dans « Irma la douce » pour Billy Wilder ? Ce Paris insolite n'est-il pas plutôt au fond le Paris réel, le Paris profond à l'identité bien marqué ? Je l'avoue, j'aime ce Paris réputé insolite, bigarré, cosmopolite, où l'on peut croiser des échantillons des « classes dangereuses » qui faisaient tellement peur au bourgeois des « beaux » quartiers, des immeubles « haussmanniens » mais avec lesquelles il ne craignait pas parfois de s'encanailler oubliant pour un temps son hypocrisie morale ; et aussi d'anciens jockeys devenus bistrotiers, des cadres qui desserrent enfin leur cravate, des petits voyous et des jeunes femmes intelligentes qui lorsqu'elles sont parisiennes ont le chic pour être à l'aise partout.

L'auteur de l'anthologie a choisi ici des textes qui pour certains rappellent les anciennes tournées pour touristes que les provinciaux ou les étrangers pouvaient faire jusqu'à une période récente en cars ou en bus spécialement affrétés à cet effet, la découverte d'un « Paris by night » frelaté et archétypal, ses mauvais garçons folkloriques, ses putes, ses types androgynes dans les coins pour les amateurs, selon le cliché habituel de la grande ville corruptrice pour les braves gens de la campagne ou venant de pays où l'on s'imagine « plus simples » que ces prétentieux de parisiens qui font toute une histoire pour séduire les femmes ou parler de nourriture ou d'alcools et tout autre sujet futile aux yeux des « vraigens », par exemple la littérature.

Cette anthologie a au moins le mérite de ne pas sombrer dans le cliché pénible du « Paris à la Doisneau », sous-tendu par un regard condescendant et vaguement paternaliste sur un Paris anciennement populaire, qui n'existait plus déjà à l'époque du photographe pour adulescents nostalgiques d'une « ville lumière » « amélipoulinesque » tenant plus du « chromo » ripoliné que de l'authenticité. C'est le jeu lorsqu'on parcourt ce genre d'ouvrages, on y cherche les textes et les auteurs qui n'y sont pas et que l'on aurait aimé y figurer, ainsi ami lecteur, j'ai été un peu déçu de ne pas y trouver des textes de Marcel Aymé ou des descriptions des rues parisiennes par Céline, ou sur un ton plus léger par Jacques Laurent dans ses « Mémoires égoïstes », sans oublier les déambulations du promeneur Bernard Frank.

Il y manque aussi celles de Jean-Paul Clébert ou Claude Dubois qui ont pu faire découvrir aux lecteurs curieux un Paris réellement populaire de l'intérieur, sans le mépriser ni l'idéaliser ce qui au fond revient plus ou moins au même. Et l'on peut trouver les choix de Jean-Claude Perrier bien timides, et scolaires. On y trouve des auteurs classiques comme modernes qui sont autant de passages obligés en somme et qui ont tous peu ou prou des idées comme il faut, Antoine Blondin échappant au tamis.

Nonobstant ces petites nuances, l'on se régale toujours néanmoins à la lecture de Restif ou de Jacques Roubaud.

Sur d'autres textes, l'anthologie est beaucoup plus pertinente, accompagnant « monsieur Jadis », Antoine Blondin, au « trou » avec des « hippies » pour lesquels il avait pris fait et cause un soir de voyage alcoolisé, car l'alcool est un voyage, ce qu'oublient généralement les hygiénistes et moralistes de notre époque tellement étroite d'esprit finalement ; suivant Jacques Réda dans le XVème, cet arrondissement souvent méprisé par ceux qui pensent connaître Paris et qui pourtant recèle des quartiers qui gardent encore une empreinte encore réellement parisienne, exempte de toute trace de « bobolisation » et de provincialisation, car curieusement les mœurs parisiennes ont tendance à se provincialiser, ainsi que le signale un autre auteur présent dans le recueil qui est Olivier Bailly, évoquant ces parisiens qui ne supportent plus d'avoir dans leur quartier une vie nocturne, qui préféreraient que passé dix-huit heures chacun rentre chez soi et s'y calfeutre, refusant égoïstement de partager avec d'autres le plaisir d'un bon vin ou d'une bonne chère, il reste quelques adresses qui n'ont pas encore été colonisées par les amateurs de cuisine « équitable » ou de vin « citoyen », ce sont les mêmes qui par instinct grégaire je suppose préfèrent communier aux moments festivistes qui leur sont dictés par d'autres.

Bien sûr, je ne résiste pas au plaisir de te citer, ce que j'ai déjà abondamment fait mais peu importe, ami lecteur, ces phrases extraites de « Cécile est morte » de Simenon, et qui résument l'essence de Paris :

« Il passait devant un petit bistro. La porte s'ouvrit, car c'était la première fois de la saison que la fraîcheur de l'air obligeait à fermer la porte des cafés. Au passage, Maigret reçut une bouffée odorante qui demeura pour lui la quintessence même de l'aube parisienne : l'odeur du café-crème, des croissants chauds, avec une très légère point de rhum ; il devina, derrière les vitres embuées, dix, quinze, vingt personnes autour du comptoir d'étain, faisant leur premier repas avant de courir à leur travail. »

AmauryWatremez - Evreux - 55 ans - 22 janvier 2014