L'acquittement
de Gaétan Soucy

critiqué par Aaro-Benjamin G., le 19 janvier 2014
(Montréal - 55 ans)


La note:  étoiles
Le pardon
Un court roman. L’histoire d’un homme qui revient vingt ans plus tard sur les traces de son passé, vers un petit village au milieu de l’hiver. Une quête mais aussi un voyage pour confronter ses démons. L’auteur alimente le mystère de ce retour inexpliqué vers la famille Von Croft. On y retrouve les atmosphères attendues chez Soucy, un flottement entre la réalité et le surréel. Des personnages et des situations étranges laissées en suspens.

J’ai deviné assez tôt où l’on me dirigeait. Néanmoins, le style sobre et l’intrigue lancinante ont réussi à me captiver jusqu’à la fin. L’écriture de l’auteur peut sembler visuelle et cinématographique, mais elle est en fait impressionniste. Des lieux et des gens que l’on découvre par touches fugitives. Ceci est à la fois la force et la faiblesse du roman. Puisque à la longue, le lecteur peut souvent se perdre par manque de repères.
bof 2 étoiles

Le héros, Bapaume, se sent coupable. Il s'est consacré à musique qu'il composait au lieu de donner à sa femme et à son jeune fils une vie confortable et saine. Son fils est mort de la tuberculose. En proie au remords, il décide d'aller obtenir le pardon d'une jeune élève qu'il avait durement punie vingt ans plus tôt, lui donnant notamment des coups de règle sur les cuisses. Le roman raconte son voyage hivernal jusqu'au village isolé où il enseignait la musique et où vit cette jeune fille, Julia. Il la trouve et confesse sa faute. Julia est étonnée, elle ne lui tenait pas du tout rigueur de ses punitions. Cette trame simple n'est pas vraiment convaincante sur le plan psychologique. On conçoit qu'un père négligent se sente coupable du décès de son enfant. On conçoit qu'il désire recouvrer l'innocence. On admet que le souvenir d'autres fautes avive ce sentiment de culpabilité. Il ne peut demander pardon à son fils ou à sa femme qui est morte ensuite de chagrin. Donc son désir d'être pardonné trouve un substitut. Mais il me paraît excessif qu'il tente d'apaiser son sentiment de culpabilité en demandant pardon pour une faute bien plus légère commise vingt ans plus tôt à l'égard d'une autre personne disparue de sa vie, d'autant qu'il ne semble guère attaché à Julia ou à son souvenir. Cela dit, même si ce n'est pas tout à fait invraisemblable - les passions humaines trouvent parfois des subterfuges bizarres - ce n'est pas vraiment intéressant : la faute est bien légère et personne ne songe à la lui reprocher. De plus, on sait que le pardon de Julia ne supprimera pas la culpabilité de Bapaume envers son fils et sa femme. Alors, à quoi bon ce voyage? A quoi bon ce roman? Il est assez bien écrit, oui, mais l'histoire n'a qu'un ressort psychologique et ce ressort fonctionne mal. La disproportion entre le deuil de l'enfant et les quelques punitions infligées vingt ans plus tôt à des élèves est trop grande. Il aurait été plus intéressant que le héros se souvienne d'une faute grave dont on lui tienne rigueur et qu'il ait des efforts à faire pour obtenir le pardon. Je ne parlerai pas de quelques bizarreries que l'auteur ajoute à cette trame comme pour brouiller un peu les pistes ou pour donner une apparence de profondeur au récit. Ces bizarreries nuisent à la clarté du message et surtout elles font naître des doutes sur la sincérité du héros (il écrit une fausse lettre, il vole un ours en peluche et le fait passer pour celui de son enfant mort) et le rendent par là moins sympathique. En somme, l'histoire n'est pas particulièrement intéressante ou belle et le héros n'est ni attachant ni étonnant. A mon avis, il faut l'un ou l'autre sinon les deux pour faire un vraiment bon roman.

Thomas lu - - 34 ans - 11 novembre 2019


Avoir froid en Dieu 8 étoiles

En 1946, Louis Bapaume est l’organiste de la basilique Notre-Dame de Montréal. Même s’il joue de la musique sacrée il a tout de même froid au ciel. Dieu n’est pas sa tasse de thé. C’est un homme naïf, mais surtout timoré quand il s’agit d’aborder autrui.

Vingt ans plus tard, il revient en pleine tempête de neige à Saint-Aldor, le petit village où, jeune organiste frais émoulu, il fut professeur de musique. Accueilli par le chef de gare mélomane, il apparaît à ses yeux comme un homme étrange, mais sympathique. Ayant enseigné à Julia von Croft en même temps qu’à sa jumelle, Geneviève, il veut les revoir. Qu’est-ce qui a bien pu se passer entre lui et Julia, vingt ans auparavant? II se révèle peu à peu qu’il a se faire «acquitter» des sévices qu’il aurait fait subir à Julia.

Grâce à Maurice, un adolescent à la voix d’or, le héros se réconcilie avec lui-même. Il voit en lui un jumeau. Il lui est d’autant plus précieux que c’est par lui qu’il apprendra qu’il est le compositeur d’une partition dont il est assez fier. Est-ce suffisant pour se pardonner de ses offenses ? Voire même de se pardonner de vivre ? Il se sent coupable de tous les maux de la terre, voire même de la mort de son père. « Aucun péché, lui dit Maurice, ne justifie la punition de voir mourir ceux qu’on aime. » C’est en s’acquittant de ses soi-disant fautes, qu’il pourra finalement vivre sa propre vie. Cesser de souffrir en prenant aussi conscience de toute la souffrance du monde. L’exorciser en s’approchant de la figure qui incarne la douleur, soit celle du chien qu’il caresse pour se débarrasser de ses craintes enfantines. Cesser de se replier sur soi pour revenir à la musique qui le libère, voire même qui le conduit à Dieu.

Il a donc trouvé à Saint-Aldor ce qu’il cherchait sans le savoir : la musique et une certaine sérénité. Il repart aussi honteux et humilié qu’avant, mais l’acquittement ne lui importe plus puisque ce voyage lui a permis de se dégager d’une mémoire encombrée et encombrante, de cesser d’être trop orgueilleux, trop vaniteux. Il va donc devoir passer par la perte de soi, pour retrouver une présence dans un ciel qu’il avait cru vide. Il connaît une assomption que la plume de l’auteur rend des plus céleste.

Libris québécis - Montréal - 82 ans - 20 janvier 2014