1914-1915, quand Dieu se tait : La barbarie racontée jour après jour
de Paul Christophe

critiqué par JulesRomans, le 31 mai 2014
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
1914-1915 quand Dieu se tait, le pape parle et cela ne plaît guère
"1914-1915, quand Dieu se tait" est un ouvrage original dans la mesure où du 26 juillet 1914 au 28 juillet 1915 sont présentés dans l’ordre chronologique des textes sur une ou double page rédigés par diverses personnalités. Ce sont donc environ 120 à 130 témoignages qui sont avancés, une information est donnée sur son auteur et un renseignement sur l’entrée en guerre d’un nouveau belligérant, la situation du front occidental ou à l’arrière en France le jour où ce texte est écrit. Ainsi les lecteurs belges apprécieront de savoir que l’on proposa d’appeler l’eau de Cologne par le nom de celui de l’eau de Louvain.

Les documents sont tirés de lettres, de mémoires, de textes venant d’autorités militaires, politiques ou religieuses. Si tous ne sont pas issus de personnes des milieux catholiques (laïcs ou religieux), c’est le cas de la grande majorité. Toutefois des mécréants notoires sont présents comme Louis Pergaud à la page 189 (où il traite le général Boucher de Morlaincourt de "con sinistre") et aux pages 122-123 avec un texte de ses "Carnets de guerre" du 8 octobre 1914 :

« Je griffonne ceci sous la volée des obus et je ne lève même pas le nez pour voir où ils éclateront ; il est vrai qu’au sifflement particulier de chacun on devine tout de suite s’il sera pour soi ou pour les camarades d’avant ou pour ceux d’arrière ».

Divers actes de Pie X et Benoît XV sont là :

le 2 août 1914 l’exhortation à la paix "Dum Europea fere omnis" de Pie X qui peut se lire aussi comme une timide proposition d’arbitrage

le 8 septembre 1914 un appel solennel à la paix de Benoît XV

le 1er novembre 1914 l’encyclique "Ad beatissimi" qui dénonce la barbarie de la guerre entre chrétiens, alors que ce jour-là la Turquie entre en guerre

le 22 janvier 1915 une allocution consistoriale où le Pontife se dit d’aucun parti

le 29 juillet 1915 une exhortation à la paix qui prévoit une haine sur plusieurs générations entre les peuples belligérants.

Afin de mieux comprendre le sens et surtout les réactions des opinions dans les deux camps, on se reportera à l'ouvrage récent de Marcel Launay intitulé "Benoît XV (1914-1922) un pape pour la paix".
En effet ce qui manque derrière les textes proposés par Paul Christophe, ce sont les réactions des catholiques français autour de ces discours. Benoît XV n’est pas un pape boche seulement pour les anticléricaux mais aussi pour les croyants en France. Certes dans un épilogue, qui tient du commentaire et de la conclusion, aux pages 232 à 234 l’auteur cite des réactions de catholiques hostiles à l’attitude du pape, mais en choisissant des phrases courtes et au ton assez modéré.

Parmi les personnages connus, on relève les noms par exemple de Paul Claudel, le futur cardinal Baudrillart, Charles de Gaulle, Henri Barbusse, Romain Rolland, Roger Martin du Gard, Roland Dorgelès, Albert de Mun, Maurice Barrès, le roi Albert Ier (il rapporte que Foch croit à un renouveau de la foi après la fin de la guerre), Sébastien Faure (pour son appel pacifiste "Vers la paix"), Jacques Rivière (beau-frère d’Alain-Fournier), Abel Ferry (qui pointe le cléricalisme des officiers généraux), Apollinaire (dans un courrier à Jean Mollet le 3 janvier 1915)…

Toutefois les témoignages de gens moins connus sont souvent intéressants, beaucoup proviennent de religieux aux armées, en fonction la plupart du temps comme brancardiers. Certains sont issus d’archives religieuses comme ce courrier de Louis Eymond propriétaire oléiculteur à Istres dans les Bouches-du-Rhône qui écrit à l’abbé Dom André Malet de l’abbaye Sainte-Marie-du-Désert en Haute-Garonne. Le texte de Bernard Ruellan, qui appartient à une famille de Saint-Malo où 10 enfants sont mobilisés, est d’autant plus émouvant que six de ceux-ci mourront au front et qu’un septième succombera en 1930 des conséquences de son gazage. La simplicité de la phrase envoyée par le père de Jacqueline de Romilly à sa femme le soir qui précède son décès dans la Somme, est très émouvante. Le curé de Sainte-Catherine-lez-Arras rapporte trois exécutions pour l’exemple en novembre 1914 et mars 1915.

Enfin un des documents le plus intéressant est celui écrit par le futur maréchal Lyautey qui fait preuve d’un rare esprit d’anticipation (tout en ne pouvant imaginer les circonstances) en écrivant Albert de Mun le 6 octobre 1914 (le jour où ce dernier décède):

« Je crois avec une foi entière dans le succès final, tout en appréhendant fort le règlement de compte qui suivra – extérieur, avec l’âpre Angleterre et la décevante Russie, qui pourront bien être les ennemis de demain, - intérieur, avec le Bloc, où personne n’aura désarmé, et le socialisme triomphant. In Challah».