Jeunesse de Joseph Conrad

Jeunesse de Joseph Conrad
( Youth)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Kinbote, le 25 juillet 2003 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (15 305ème position).
Visites : 8 109  (depuis Novembre 2007)

"Les bateaux qui font eau, et les bateaux qui brûlent"

Un jeune homme embarque comme lieutenant sur un navire, Le Judée, chargé de mener une cargaison de charbon à Bangkok. La nouvelle va narrer les aléas de ce vieux rafiot qui connaîtra avec son équipage les affres de l’eau puis du feu. Joseph Conrad rapporte, comme il écrit dans sa préface, « de l’expérience enregistrée ». Marlow, son héros, est le « même » que celui de « Au coeur des ténèbres » qui a inspiré le film de Coppola : Apocalypse now.
On retient longtemps les scènes de tempête et d'écopage où, pendant des jours et des nuits, les hommes n'ont qu’une activité: refouler l'eau à l'aide de pompes, et perdent toute sensation du corps sec.
Quand, après plusieurs retours au port pour réfection des dommages causés par les intempéries (c’est là qu’on voit que de tous temps les armateurs se sont peu souciés de la sécurité de leurs embarcations), le bateau est presque à destination, le feu prend dans les soutes, le charbon s'enflamme. Notre jeune lieutenant saute littéralement mais s'en tire sans trop de mal. Sa jeunesse pleine d’espoir et de force lui fait braver tous les obstacles.
Conrad fait aussi le portrait d’un capitaine fragile dont c’est, à soixante ans, le premier commandement (après avoir une vie durant bourlingué sur les mers) et qui, face aux épreuves, se replie dans la folie. Alors que notre jeune homme impétueux ne se voile jamais la face et affronte de plein fouet la réalité la plus dure! Après l'explosion d'une partie du bateau, tandis qu'il est blessé et a les vêtements en loques, Marlow observe « la sérénité du ciel et le calme de la mer nettement surprenants ». Et d’ajouter : « Je suppose que je m'attendais à les voir bouleversés d'horreur ».
Non, l’univers ne souffre pas à l'unisson de nos peines, il nous donne même souvent l'impression de se moquer de nos déconvenues. L'erreur consisterait à l'accabler pour son indifférence et à vouloir se venger de lui.
Des notes en bas de page définissent très bien les termes de marine employés par l’auteur. Un très beau récit d’initiation. Une belle métaphore de l'existence.

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Marlow raconte …

8 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 2 octobre 2017

Marlow intervient fréquemment en tant que narrateur dans les nouvelles, voire romans, de Joseph Conrad, et c’est le cas ici. Joseph Conrad emploie à nouveau un procédé pour introduire l’histoire qu’il veut raconter ; le biais d’une réunion d’hommes ayant eu des expériences similaires et se racontant un passage de leurs vies (l’histoire de « Jeunesse » en l’occurrence) :

« Nous étions accoudés autour d’une table d’acajou qui réfléchissait la bouteille, les verres et nos visages. Il y avait là un administrateur de sociétés, un comptable, un avocat d’affaires, Marlow et moi. »

Et c’est Marlow qui va raconter à ses compagnons son premier engagement d’officier de la marine marchande, à destination de l’Extrême-Orient, destination mythique pour le jeune homme qu’il est encore. Un voyage, à n’en pas douter, des plus singuliers, marqué du sceau de la malchance la plus implacable mais qui reste pour le dénommé Marlow comme la marque la plus tangible de sa jeunesse. De même qu’un premier amour ne s’oublie jamais …

« C’était mon premier voyage en Extrême-Orient, et mon premier voyage comme lieutenant ; c’était aussi le premier commandement de mon capitaine. Vous avouerez qu’il était temps. Il avait bel et bien soixante ans …/…
Nous quittâmes Londres sur lest – lest de sable – pour aller prendre du charbon dans un port du Nord, à destination de Bangkok. Bangkok ! J’en tressaillais d’aise ! Il y avait six ans que j’étais à la mer, mais je n’avais vu que Melbourne et Sydney, des endroits très bien, des endroits charmants dans leur genre – mais Bangkok ! »

De fait, ce voyage Marlow ne pourra l’oublier tant les avanies s’accumulent sur le « Judée », vieux rafiot s’il en est, qui mettra déjà six mois à quitter la Grande Bretagne après trois départs ratés. Mais Marlow est jeune, mais Marlow est hypnotisé par la destination finale, Bangkok, et ce qu’il en imagine. Marlow est confiant en ses moyens et aucunes des avaries, voire graves incidents, qui vont se dérouler tout le long du voyage ne remettront en cause son enthousiasme. C’est pourtant en commandant un canot avec deux autres hommes à bord qu’il abordera les côtes de l’Extrême-Orient après avoir dû quitter le « Judée » en catastrophe, « Judée » en proie à la combustion de leur cargaison de charbon. Mais l’essentiel n’est pas là. Et dans le récit non plus. L’essentiel, c’est que Marlow vivait sa jeunesse …

« Depuis lors j’ai connu sa séduction (l’Orient) : j’ai vu des rivages mystérieux, l’eau immobile, les terres de nations brunes, où une Némésis furtive épie, poursuit, surprend tant d’hommes de la race conquérante, fiers de leur sagesse, de leur savoir, de leur puissance. Mais, pour moi, tout l’Orient tient dans cette vision de ma jeunesse. »

C'est pas l'homme qui prend la mer ...

9 étoiles

Critique de BMR & MAM (Paris, Inscrit le 27 avril 2007, 64 ans) - 7 juin 2010

Joseph Conrad est un polonais né en Ukraine qui vécu à Marseille et qui écrivait en anglais.
Un homme de voyage, citoyen du monde comme tous les marins, il en était un lui-même pour s'être engagé dans la marine marchande britannique.
Un auteur qui vécut à la charnière entre les deux siècles et qui influencera les plus grands comme Faulkner, Gide ou Malraux.
Jeunesse raconte un court périple : le premier voyage du jeune Marlow, le dernier du vieux rafiot sur lequel il a embarqué.

[...] - Oui, j'ai bourlingué pas mal dans les mers d'Extrême-Orient : mais le souvenir le plus clair que j'en ai conservé, c'est celui de mon premier voyage. Il y a de ces voyages, vous le savez vous autres, qu'on dirait faits pour illustrer la vie même, et qui peuvent servir de symbole à l'existence. On se démène, on trime, on sue sang et eau, on se tue presque, on se tue même vraiment parfois à essayer d'accomplir quelque chose, - et on n'y parvient pas. Ce n'est pas de votre faute. On ne peut tout simplement rien faire, rien de grand ni de petit, - rien au monde, - pas même épouser une vieille fille, ni conduire à son port de destination une malheureuse cargaison de six cent tonnes de charbon.

Le navire fait eau de toutes parts (on assiste à plusieurs faux départs avant qu'il soit à peu près étanche), il doit affronter tempêtes et cyclones, les équipages successifs refusent d'aller plus loin, la cargaison de charbon finit par s'enflammer, et même les rats avaient préféré débarquer avant que cette presqu'épave soit prête à larguer ses amarres !
L'arrogante et invincible jeunesse de Marlow aura-t-elle raison de l'adversité ?

[...] Je n'avais pas su jusque-là à quel point j'étais pour de bon un homme. Je me rappelle les visages tirés, les silhouettes accablées de nos deux matelots, et je me rappelle ma jeunesse, ce sentiment qui ne reviendra plus.

Si vous ne connaissez pas encore cet auteur incontournable, n'hésitez pas un instant : cette petite nouvelle (Jeunesse) est parfaitement construite. Un point d'entrée idéal dans la langue noble et riche de ces histoires au parfum suranné d'une époque (littéraire et aventureuse) révolue.

Naufrage en vue

7 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 28 avril 2006

C'est le premier voyage de Marlow, engagé lieutenant à bord de la Judée. Un voyage périlleux dirigé par le vieux capitaine Beard, direction Bangkok. Les péripéties et autres avaries se succèdent, le périple est loin d'être de tout repos. Mais qu'à cela ne tienne, Marlow ne perd pas son enthousiasme, jamais.
Et rien que pour ça, on peut féliciter Joseph Conrad. Avoir réussi à donner autant de force de caractère à son personnage qui navigue en pleine bérézina, c'est qu'il faut en avoir soi-même une bonne dose dans les veines. A moins que ce soit la thérapie des contraires, mais je ne pense pas, l'écriture est trop vivante, trop ressentie. Beaucoup de descriptions, une foultitude de détails qui donnent au lecteur l'impression de vivre toute cette aventure en direct, quelques termes techniques (heureusement expliqués en notes de bas de page) et au final, une belle leçon de courage. Un grain de folie aussi, cette témérité qui permet de braver tous les dangers, sourire aux lèvres et peur au ventre. Un vrai roman d'aventures marines, avec un équipage, un naufrage et partout la mer. En général, je ne suis pas fan de ce genre de récits, mais ici, la longueur (85 pages), la vivacité du rythme et cette proximité entre l'histoire et le lecteur ont permis que j'accroche et apprécie.
La présente édition propose un extrait d'une note de Conrad livrant quelques explications sur la naissance du personnage de Marlow.

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