Carnets de moleskine
de Lucien Jacques

critiqué par JulesRomans, le 8 août 2014
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
"Je ne veux pas mourir comme un bétail"
Le moleskine est un carnet caractérisé par une couverture en carton recouverte d'une fine toile et ce n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage de nous le rappeler. La biographie de Lucien Jacques, natif de Lorraine mais Provençal d’adoption est à découvrir là

http://amislucienjacques.wordpress.com/biographie/

Lucien Jacques fut dans les tranchées de 1914 à 1916, servant parfois comme brancardier il est trois fois blessé avant d’être réformé. Il eut en particulier le triste privilège de voir se modifier peu à peu sous l’impact de l’artillerie, les paysages de son enfance, à savoir l’Argonne. Le 31 août 1914 il est d’ailleurs de passage dans son village Varennes-en-Argonne (page 67) alors qu’il appartient au 161° RI.

Cet ouvrage a été préfacé par Jean Giono (ils cotraduisent alors "Moby Dick" qui paraît en 1941) en juin 1939 à Manosque non loin de là où résidait alors Lucien Jacques. Giono évoque d’ailleurs les jeunes de 1939 en leur disant qu’ils ne savent pas ce qu’être désespéré car ils n’ont pas connu les diverses peurs qu’entraînent diverses situations dans la guerre (page 25).

Les "Carnets de moleskine" démontrent que la Première guerre mondiale fut un cauchemar parfois dissipé ponctuellement par un moment de fraternité entre poilus. Ils couvrent la période du 31 juillet 1914 au mois d’août 1915.

Parmi les faits remarquables, on relève la mention de la rumeur colporté par des gendarmes que le directeur de la société Maggi a été fusillé parce qu’il empoisonnait les conserves destinées aux soldats (page 43). Au début 1915 il est dans le Nord-est du département de la Marne vers Vienne-le-Château :

« Dehors, il pleut fer et feu. Un percutant éclate si près que le gourbi, rempli d’âcre fumée, s’écroule dans un angle. Nous sommes tous couverts de boue et nous nous cherchons à tâtons, les lumières s’étant éteintes. À l’aube, nous tentons une sortie. Juste à ce moment, il y a une nouvelle attaque, le tir redouble et l’air est tramé de balles ». (page 247)

En juin 1915, il se retrouve dans l’Argonne :

« Travaux pour le poste de secours. Transports de madriers de couverture. Épaules toutes endolories. Un percutant, tombé sur le poste de commandement de la 5e, a tué le lieutenant Depas et trois hommes dont Tutur, le téléphoniste, dont nous ne retrouvons ni la tête, ni les bras » (page 271).

L’importance de la lecture chez certains poilus se vérifie, ainsi notre personnage lit par exemple Tagore en juin 1915 ; sur ce sujet on se reportera à notre présentation ici de "Lectures de poilus : Livres et journaux dans les tranchées, 1914-1918".