La mise au pas des écrivains: L'impossible mission de l'abbé Bethléem au XXe siècle
de Jean-Yves Mollier

critiqué par AmauryWatremez, le 22 février 2014
(Evreux - 55 ans)


La note:  étoiles
"l'Abbé Timonde ?"
L'auteur ressuscite dans cette biographie la figure de l'abbé Bethléem, maurrassien, antisémite par germanophobie plus que par racisme, comme beaucoup de gens de son époque, qui dirigeait une ligue de moralité puissante au début du XXème siècle, selon lui ainsi qu'il l'explique dans son livre le plus connu, « Romans à lire et romans à proscrire », la « mauvaise » littérature et la « mauvaise » presse, en particulier les « illustrés » pour les jeunes, étaient à l'origine de la dégénérescence morale de la société de son temps. Cet ouvrage fut un « best seller » de la droite catholique à la gauche radicale.

L'abbé remporte une victoire posthume, lui qui allait déchirer dans les kiosques les journaux de bande dessinée et les revues cochonnes de ces années là (maintenant un enfant de chœur voit dix fois pire sur Internet), il meurt en 1940, avec l'édiction en 1949 de « Loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse ».

L'abbé fut également moqué par la plupart des écrivains catholiques, dont Mauriac, Bernanos et Léon Bloy, de par son absence totale de discernement en matière de talent littéraire. Il aimait la littérature « exemplaire », incitant les lecteurs à plus de moralité et de retenue, les livres « positivistes » montrant uniquement les qualités de la nature humaine. C'est toujours les mêmes questions : la littérature est-elle seulement un instrument devant faire passer un message ? A-t-elle une utilité sociale ? Elle fait peur également aux idéologues, dont l'abbé était, car elle incite à l'indépendance d'esprit, à la réflexion personnelle.

Je trouve donc que l'Abbé Bethléem était surtout victime de quelques défauts finalement très modernes :

Il confondait les conséquences ou les symptômes avec les causes, travers très contemporain, oubliant que ce sont les bases de la société libérale, qui nait au XIXème siècle qui privilégiait cette a-moralité intrinsèque qu'il pensait percevoir dans la littérature, société qui a besoin d'un individu sans aucun « surmoi » ni barrières morales afin d'entretenir sa dynamique interne. Et que les écrivains, qui bien souvent aiment parler des « marges », dans lesquelles ils écrivent parfois, n'y sont pour rien.

Il faisait de sa foi chrétienne et catholique une idéologie avec un « cahier des charges » à tenir. que l'on pratique la charité, l'empathie, l'altérité ou pas. C'est toujours ainsi qu'elle est perçue par nombre de chrétiens et quelques ecclésiastiques, et aussi par les adversaires du catholicisme qui en font une religion de prescriptions obligatoires ce qu'il n'a jamais été. Bien entendu, ne tombons pas non plus dans l'excès inverse consistant à faire de cette foi un agglomérat de croyances que l'on choisit selon ses caprices, un syncrétisme « light », ou selon ce qui nous arrange. Les sacrements sont importants pour un catholique en le sens qu'ils sont une rencontre personnelle avec Dieu.
Sa perception de la littérature est exactement la même que celle de toutes les dictatures du XXe siècle, toutes fondées sur des idéologies prétendant créer un « homme nouveau » remodelé, pour son bien bien entendu, même malgré lui, dans le sens d'un progrès moral ou social devant le mener vers le bonheur universel. C'est aussi la même que celles des dirigeants modernes, des institutions culturelles actuelles, dont les bibliothèques, qui au nom de cette fameuse émancipation des mœurs continuent avec les meilleurs intentions du monde à censurer par bêtise, inculture crasse et ignorance des auteurs qui leur semblent aller à contre sens de ce progrès selon eux inéluctables :

Georges Bernanos, trop catholique, Kléber Haedens, laudateur de la bonne chère et chair, trop à droite, Roger Vailland, trop hédoniste, Céline, du fait de ses pamphlets antisémites, Marcel Aymé, trop à droite aussi, Georges Bataille, trop choquant, la plupart des classiques, trop poussiéreux, Jane Austen, n'évoque pas assez les droits des femmes, et d'autres sont ainsi retirés progressivement des rayonnages des bibliothèques publiques et scolaires, c'est donc bien de la censure, pour favoriser cet avènement du bonheur insoutenable car imposé évoqué ci-dessus.

Jean-Yves Mollier en fait un épouvantail de réactionnaire caricatural, faisant un parallèle chaussé de gros sabots, suivez mon regard, avec les manifestations contre le « mariage pour tous », soulignant que ces tenants de l'ordre moral bourgeois sont toujours puissants et que le danger du retour des « z-heures les plus sombres de notre histoire » (TM°), le risque d'un relèvement de la « bêtimmonde » (l'Abbé Timonde ?) viendrait surtout de ces milieux catholiques, 2% de pratiquants réguliers en France, qui souhaiteraient encore la mort de la démocratie et la fin de l'émancipation des mœurs tellement remarquable dans notre pays depuis « Soissantuite », en particulier chez les auteurs actuels tellement audââcieux, comme Christine Angot qui narre par le menu ses névroses sexuelles, Marie Darrieusecq qui évoque avec gourmandise son évidente coprophilie, et d'autres encore tous passionnants...

Il oublie aussi que si certains livres, comme « Madame Bovary », l'histoire de quelques adultères, par exemple, ont été censurés dans certains quartiers, sans parler du « Mahomet » de Voltaire il y a quelques années, ou de « Et c'est ainsi qu'Allah est grand » de Vialatte, jamais réédité par « Presses Pocket », c'est aussi et surtout de par les exigences de populations « issues de la diversité » (TM°) infiniment plus « décomplexées » et pugnaces quant à la littérature et son enseignement que les « manifestants pour tous »...