Le matérialisme scientifique
de Mario Bunge

critiqué par Elya, le 17 février 2014
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
Science et philosophie
Marion Bunge est un scientifique de par sa formation et sa thèse en physique et mathématiques. Durant son cursus professionnel, il a enseigné la physique, la philosophie et la logique. Il est l’auteur de nombreuses publications et ouvrages, parmi lesquels celui-ci, paru en langue originale en 1981 et édité en français en 2008.

Cela faisait plusieurs mois que je souhaitais lire ce livre, que je n’ai cependant trouvé nulle part en bibliothèque. J’avais l’espoir qu’il pose les bases de ce qu’on met derrière « le matérialisme scientifique » de manière concise, sans trop de digressions ou d’envolées littéraires comme on peut le voir trop souvent à mon goût dans les ouvrages de philosophie.
Cette lecture s’est avérée être la plus satisfaisante de tous ces derniers mois. Marion Bunge clarifie et relie de nombreux sujets, disciplines et auteurs auxquels je m’intéresse, parmi lesquels, en vrac : la compatibilité de la philosophie avec les sciences (c’est une des propriétés du système philosophique du « matérialisme scientifique » présenté ici par Bunge), la définition du monisme méthodologique (qui s’oppose au dualisme méthodologique, qui traite les objets conceptuels comme s’ils avaient une existence autonome et supérieure aux objets matériels, ce qu’ils n’ont pas en réalité), ou encore, le problème du dualisme psychoneuronal (le fait de postuler que l’esprit et le cerveau sont deux entités séparées).
Mais reprenons plutôt dans l’ordre où Bunge nous présente les choses, car sa manière de procéder est extraordinairement claire et synthétique.

Ce livre traite du matérialisme en philosophie qui est initialement défini ainsi : « conception selon laquelle le monde réel est exclusivement composé d’objets matériels ». Tout l’enjeu de l’ouvrage consiste à éclaircir cette définition (que met-on derrière « monde », « réel », « objets matériels » ?), à comparer le matérialisme aux autres courants philosophiques passés et existants, et à répondre aux critiques qui sont habituellement prononcées à l’égard du matérialisme. Il s’agira aussi d’expliquer l’esprit et les concepts non matériels (tels que les langages, les théories scientifiques…) selon le prisme du matérialisme scientifique.
Séduisant programme, dont le résultat n’est plus au stade de la séduction mais de la passion.
Marion Bunge part du principe que la philosophie, souvent rendue floue par « la confusion du langage ordinaire » peut être précisée et clarifiée en reformulant ses concepts, en s’aidant des outils logistiques et mathématiques. Cela peut faire peur aux premiers abords, lorsqu’on feuillette l’ouvrage, et que l’on tombe sur des lignes rédigées en langage mathématique. Mais si l’on prend le temps de bien suivre les enchainements logiques et déductifs de l’auteur, la plupart de ces formulations sont compréhensibles sans connaissance spécifique. En outre, ses nombreuses définitions sont toujours bien dosées, courtes, très facilement compréhensibles, et sans erreur d’interprétation possible ; je les ai d’ailleurs pour la plupart notées, tellement il est rare de voir si clairement explicités ce à quoi renvoient des mots, dans un contexte spécifique à chaque fois précisé, tels que « scientisme », « vitalisme », « holisme », « objet matériel », « système », « objet conceptuel », « réalité », « monde », « probabilisme », « épistémologie », « connaissance objective »…

Rédiger un résumé de cet ouvrage est un exercice périlleux, dans lequel je ne me hasarderai pas, car il me semble impossible d’atteindre la rigueur et la concision de Mario Bunge, ou même de s’en approcher. Je me contenterai donc de présenter les grandes lignes de ce que j’ai retenu de cette lecture, ce qui sera sans doute très réducteur compte-tenu de la qualité et de la pertinence majeure du livre du Bunge et plus généralement du matérialisme scientifique.

Selon l’approche scientifique, le monde est composé uniquement de choses concrètes (matérielles), en particulier de systèmes régis par des lois. On entend par matériel non pas le caractère solide d’un objet ou son indépendance vis-à-vis du sujet (tous deux facultatifs) mais sa capacité à être dans deux états différents et à passer de l’un à l’autre. Ce principe de l’approche scientifique nous joint d’étudier seulement des choses concrètes, leurs interactions et leurs lois. Ainsi, considérer la culture comme le fait Popper (voir L’univers irrésolu, 1984) comme une entité immatérielle mais existante en soi, ou encore considérer l’esprit comme étant une entité non matérielle séparée du corps (comme le font les thèses idéalistes), ne permet pas d’analyser scientifiquement tout ce qui touche à la culture et à l’esprit. Il est donc indispensable que les scientifiques s’intéressent à ces questionnements épistémologiques et philosophiques afin de limiter leur risque d’attirance vers des systèmes philosophiques non scientifiques susceptibles d’entraver leurs recherches. Prendre connaissance du contenu de cet ouvrage devrait permettre de mieux se positionner sur ces problématiques.