Le bonheur à la queue glissante
de Abla Farhoud

critiqué par Libris québécis, le 8 août 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Une famille québécoise d'origine libanaise
Abla Farhoud raconte de par l'intérieur l'histoire d'une famille libanaise, qui s'est installée d'abord à Terrebonne à 8 km de Montréal, puis finalement dans cette métropole habitée à 40% par des immigrants. L'auteure n'oriente pas le projecteur vers les problèmes identitaires des exilés. Comme le dit Dounia, la grand'mère, « mon pays, ce n'est pas le pays de mes ancêtres, ni même le village de mon enfance, mon pays, c'est là où mes enfants sont heureux. »
Cette figure centrale du roman rappellera à plusieurs la grand'mère qu'ils ont eue, peu importe son origine ethnique. C'est la femme en elle que l'auteure fait ressortir, de sa jeunesse à sa mort. Mariée à un homme ambitieux, qui l'a frappée à coup de pied dans la figure alors qu'elle était enceinte avec l'assentiment de son propre père, elle apprit vite que sa vie la prédestinait à jouer les seconds violons à ses risques et périls. Elle constate donc la situation sans s'apitoyer sur son sort. Elle déplore par contre le manque de dignité dont la femme est l'objet. En guise de compensation, elle s'attache à ses enfants et ses petits-enfants qu'elles gâtent en les gavant des mets qu'elle sait le mieux cuisiner. Son amour maternel se manifeste surtout à l'égard de son fils, autour duquel tourne le suspense du roman.
On n'est pas ingrats envers elle, car on lui promet lors d'un dîner familial au restaurant de la soutenir jusqu'à sa mort alors qu'elle évoque cette éventualité. Mais elle sait bien que la tiédeur affadit les promesses les plus fermes. Elle espère mourir avant de perdre toute son autonomie. Mais hélas, ce souhait n'a pas d'impact sur l'issue de l'existence. En attendant sa fin prochaine, elle continue de s'évertuer pour enseigner le bonheur à ses enfants et ses petits-enfants qui n'ont pas appris l'arabe. Elle leur transmet les aphorismes libanais qui l'ont guidée dans la vie. On les retrouve d'ailleurs tous regroupés hors-texte à la fin du roman. Elle tient mordicus à ces maximes, qui lui ont permis de garder le cap même si le bonheur a la queue glissante comme un poisson.
C'est un beau roman de la vie au féminin, qui est remplie de plusieurs chagrins et de quelques bonheurs. Ce n'est pas pessimiste, car Dounia fournit plein de raisons d'être heureux même si le destin s'amuse à nos dépens. Mais il se dégage quand même une impression de tristesse quand on voit cette femme mourir seule comme c'est le cas pour le lot des humains. Cette histoire est rendue avec une plume alerte, qui dévoile avec pudeur les secrets intimes d'une arabe enracinée au Québec, qui ne demandait pas grand-chose à l'existence. Cette oeuvre reste un bel hommage de reconnaissance aux
femmes qui ont vécu la solitude à l'ombre d'autrui.
Ce que vieillesse fait de la jeunesse 7 étoiles

À quoi attribuer la triste vie de Dounia, l’héroïne de 75 ans? Tout d’abord, à la fatalité d’être née femme. C’est ce dont l’auteur fait ressortir en parlant du manque de dignité dont la femme est l’objet. Ensuite, d’avoir immigré au Canada alors qu’elle ne parle que l’arabe. Comme la langue est une difficulté infranchissable, sa cuisine devient son refuge. De sa jeunesse, on ne dit pas grand’chose, si ce n’est que Dounia est orpheline de mère et analphabète. Elle raconte à Myriam la mort de sa propre mère et le refus de son père de lui apprendre à lire. (p.15) « Je ne sais même pas écrire mon nom ». Une femme… le paternel ne voyait pas la nécessité qu’elle apprenne à lire et écrire. Ce qui n’a pas empêché Dounia de donner le goût à ses filles, puisque Myriam est écrivaine et une autre est enseignante. « Élevée à la montagne, je parlais, je faisais rire les frères et sœurs, qu’est-ce qui est arrivé pour que je m’enferme dans le mutisme. ». À 18 ans, elle se marie à un homme ambitieux, qui l’a frappée à coup de pied dans la figure alors qu’elle était enceinte. Dounia immigre au village de Salim, son mari, puis au Canada. Elle connaît donc l’isolement dû au problème langagier. La vie pour Dounia est remplie de chagrins et de quelques petits bonheurs venant de ses enfants et petits-enfants qu’elle gâte en leur cuisinant les mets qu’ils aiment. Pour elle, la préparation des aliments est un exutoire. Ce sont eux, les enfants, qui me donnent la force de continuer. Pour Dounia, son pays c’est là où ses enfants sont heureux. « Il y a des jours où je suis heureuse (…) j’ai appris à savourer ces instants comme je bois l’eau fraîche quand j’ai soif. Je sais qu’ils ne sont pas éternels… Le bonheur a la queue glissante.» (p.47)

C’est un roman à dominance psychologique. Dans ses monologues, Dounia fait, elle-même, l’analyse de ses attitudes, de ses sentiments, de peurs, et surtout de la honte et de la culpabilité. Lorsque Salim, son mari meurt, elle se retrouve dans un nouvel exil (seule). « Je n’étais pas là pour mes enfants, non plus. Je les ai nourris, c’est tout, nous n’avons jamais parlé ensemble. » (p.103). Lorsque ma fille Myriam a commencé à écrire son livre, Dounia trouvait ça amusant. Elle rassemblait les morceaux de sa vie. Lorsqu’on s’est approché de la violence de son mari et de la maladie de son fils, Dounia ne voulait plus en parler. « Il y a des choses que l’on ne peut dire à voix basse tant on en a honte (…) depuis 50 années, j’ai honte, même d’y penser.» (p.147)

Si jeunesse revenait un jour, je lui raconterais ce que vieillesse a fait de moi (…) On sait que l’on devra peu à peu faire le deuil de soi-même avant même que nos enfants aient à faire leur deuil de nous. « Elle est assise sur une chaise parfois, dans son lit, la femme épave que je suis devenue. Elle regarde dehors, la femme sans jambes. Ses yeux ne voient presque plus, la femme muette. Elle parle à la vitre devant elle, la femme qui s’est toujours tue ». Ses enfants viennent parfois la voir comme s’ils lui faisaient une faveur, la femme qui les a tant aimés. Ils viennent un petit quart d’heure et s’en vont, pressés, la femme qui a tout donné (…) Je n’ai plus rien d’autre que ces murs. Tout ce qui reste est ce lit à barreaux. »

Quelle tristesse, de voir cette femme mourir dans l’indifférence des siens. C’est un roman dur et à tendance misérabiliste. J’ai ressenti de la pitié, (qui, pour moi, n’est pas un bon sentiment) envers cette grand-mère si dévouée. Si, au moins, les enfants et petits-enfants avaient reconnu le dévouement de cette brave femme, et l’avaient accompagnée aux derniers moments. Ça, pourtant, elle l’aurait bien mérité. Les enfants ne l’ont pas plus supportée dans les affres de la mort que dans les souffrances de l’humiliation, sa vie durant.

Saumar - Montréal - 91 ans - 4 septembre 2009


Le bonheur... 10 étoiles

Livre merveilleux! Rempli de sagesse , Dounia nous fait découvrir la vie à travers la culture arabe, à travers les embûches d'une émigrée, elle qui ne parle même pas la langue de ses petits-enfants mais qui les atteint par la langue du coeur.

Diane49 - St-Eustache - 70 ans - 16 mai 2004