Les tambours
de Lao She

critiqué par Rotko, le 16 août 2003
(Avrillé - 50 ans)


La note:  étoiles
une fresque sociale et politique
En toile de fond, la guerre sino-japonaise de 1938-1945. Une famille de comédiens en exode, avec à sa tête l'ingénieux Baoqing, tente de refaire surface à Chongqing, capitale du Sichuan. Au coeur des préoccupations de Baoqing, sa fille adoptive, Grâce de Lotus. A l'initiation intellectuelle, voire idéologique du premier, correspond l'initiation sociale et sentimentale de la seconde. La condition du comédien, le statut social de la femme, voilà des thèmes qui sont traités sans pesanteur dans un récit linéaire et fluide, comme dans un conte oral où les personnages sont transparents. Les différentes couches de la population forment un spectacle pittoresque et plein de vie.
En fait les aventures et mésaventures déroulent le panorama d'une Chine en pleine mutation. La structure traditionnelle figée se fissure avec l'apparition d'un matérialisme cynique et profiteur. Les Comédiens appelés par le pouvoir à susciter un sursaut de patriotisme seront payés d'ingratitude. Dans un contexte politique rigide, les intellectuels - dont un porte parole discret de Lao She, agitent au péril de leur existence des idées novatrices qui font lentement leur chemin.
La lecture est très agréable, avec un léger bémol pour une "touche de mélo", dans quelques pages seulement. Le livre aurait été écrit par Lao She entre 1948 et 1949 aux USA. A l'avènement de la république populaire, en 1952, Lao She rentre en Chine, où tous ses livres seront interdits pendant plus de 10 ans. La famille ne retrouva qu'en 1978 la traduction anglaise de l'ouvrage, l'original chinois ayant disparu. Brève biographie de l'auteur sur http://perso.wanadoo.fr/calounet/biographies/…
Le bonheur de Grâce dans une Chine nouvelle 9 étoiles

Excellent roman de Lao She mais j'ai trouvé les personnages un peu moins crédibles et moins approfondis psychologiquement que dans "Le pousse-pousse". Ceci n'enlève rien au plaisir que j'ai pris à lire ce grand écrivain chinois qui ne cesse de m'éblouir par son immense talent de raconteur d'histoires.

Ce livre est beaucoup plus optimiste quand je le compare aux autres que j'ai lus de Lao She malgré que la guerre y soit bien présente et sème ses ravages. J'ai beaucoup aimé le début quand on assiste à l'arrivée de la famille Fang sur le bateau. Et que dire des personnages ! Pauvre Baoqing ! Il est aux prises avec une famille qui compte sur lui pour vivre sauf Grâce, sa fille adoptive qui se produit sur scène avec lui et contribue au succès financier de son père. Mais pour les autres... la femme de Baoqing est alcoolique et son vice va en s'aggravant. Elle se met en colère souvent contre son mari et rend la vie de celui-ci presque insupportable. Le frère de Baoqing est surnommé "L'inutile" ! Que dire de plus... Et pour Phénix, la fille de Baoqing, elle est effacée et ne fait rien de ses dix doigts pour aider la famille à survivre. Mais, au cours du récit, certains personnages deviendront plus sympathiques comme L'Inutile qui se décide finalement à apporter son aide.

On dit que Lao She s'est lui-même représenté dans le personnage de Meng Liang, qui est un écrivain qui devient le conseiller de la famille et tente d'aider Grâce à aller à l'école afin de s'instruire et se sortir de sa condition de chanteuse. En effet, les chanteuses chinoises étaient très mal vues en Chine et étaient considérées comme des femmes de mauvaise vie. Lao She nous dépeint également la condition déplorable de la femme chinoise de l'époque qui n'avait souvent pas d'autre choix que d'épouser un homme sans amour et subir sa domination. Curieux, car dans le ménage de Baoqing, c'est sa femme qui le domine...

Enfin, le message que Lao She nous laisse vers la fin du récit est rempli d'espoir dans l'avenir et dans une Chine meilleure, débarrassée de ses vieilles croyances paralysantes et plus ouverte à la liberté. Le personnage de Grâce illustre à merveille cet avenir rempli de promesses.

Pourquoi se priver d'un tel plaisir de lecture ?

Dirlandaise - Québec - 69 ans - 4 août 2008


la Chine des bateleurs. 7 étoiles

Chongqing, Chine, 1938 et années suivantes, pendant la guerre contre les Japonais. La situation est des plus complexes, entre la guerre contre l’envahisseur et le trouble de la politique intérieure. Lao She fait manifestement un roman d’une expérience personnelle. Il a vécu à Chongqing à cette époque et d’aucuns le reconnaissent dans le personnage de Meng Liang, l’intellectuel écrivain, qui intervient dans le roman.
L’aspect de la guerre n’intervient que comme péripétie permettant l’enchaînement des faits, mais le vrai sujet reste plutôt la dénonciation du sort fait aux femmes, et aux artistes en particulier. Une fille ne vaut rien, c’est connu : c’est son père qui désigne son mari et négocie le mariage. Quant aux chanteuses, ce sont forcément des prostituées qu’on achète et qui se vendent.
Grace (Grace de Lotus) est la fille adoptive de Baoqing, chanteur au tambour, et de Madame Fang, la femme de Baoqing.
Baoqing a fait de Grace une jeune femme au talent certain de chanteuse. Il éprouve une vive affection pour cette fille adoptive, au moins égale à celle qu’il éprouve pour Bijou, sa fille de sang.
Madame Fang, elle, alcoolique invétérée, considère Grace comme une marchandise qu’il conviendra de vendre à l’heure, avant toute « dépréciation ». Et manifestement pour elle l’heure est venue. Baoqing a évolué dans sa conception du monde et protège Grace d’une telle issue. Il la protège mais l’échec ne sera pas évité (les femmes chez Lao She, et en Chine certainement, ne sont pas à la fête !).
Outre ces considérations sur l’évolution de la mentalité chinoise à l’égard des femmes, Lao She fait donc intervenir Meng Liang, écrivain au service d’une Chine nouvelle dont on a dit qu’il jouait son propre rôle, comme catalyseur de cette évolution. Et on le sait, la contestation, un esprit libre ne sont pas choses naturelles en Chine. Le sort de Meng Liang sera donc douloureux.
Il m’a semblé que le dessein de Lao She, au moins dans ce livre, était davantage de raconter une histoire, d’exposer des faits, que d’écrire un roman. Je veux dire par là le fond privilégié à la forme. Un peu simpliste du coup peut-être et qui vieillira certainement rapidement, comme un poisson sorti de son élément naturel.
A noter que ce roman a été traduit de l’anglais. Il aurait en effet été écrit aux USA entre 1948 et 1949 en chinois, traduit au jour le jour en anglais par sa traductrice, et le manuscrit chinois n’a finalement jamais été retrouvé ! Si bien que ce n’est qu’en 1980 qu’il fut retraduit en chinois et publié en Chine, quatorze ans après la mort de l’auteur, alors qu’il avait été initialement publié en 1952 aux USA !

Tistou - - 68 ans - 3 avril 2008