Le maître bonsaï
de Antoine Buéno

critiqué par Pucksimberg, le 24 mars 2014
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Conte philosophique totalement inattendu
Ce conte initiatique ne cesse de surprendre le lecteur tout au long de sa lecture. Antoine Bueno a créé un personnage principal énigmatique, un maître bonsaï silencieux, solitaire, cloîtré dans sa boutique et extrêmement attentif à son travail minutieux. Il s'est créé un microcosme protecteur dans lequel il côtoie ces petits arbres desquels il freine la croissance. Le monde extérieur n'existe plus dans son univers empreint de mutisme, mais un beau jour une jeune fille entre dans sa boutique et engage la conversation ou plutôt monologue. Cette rencontre brisera le silence et tout ce monde sera bouleversé, mais il faut retrouver un équilibre.

Ce roman exerce une certaine emprise sur le lecteur. Il fascine, intrigue et parfois se révèle terriblement inconfortable. Ce texte engage une réflexion sur notre monde contemporain et l'importance que l'on accorde à la violence. Antoine Bueno n'épargne pas son lecteur, sans doute afin de le faire réagir ( violences infligées à des animaux, contraintes imposées à ces bonsaïs et quelques autres scènes qui expliquent le passé du personnage principal ... ). Une certaine révolte peut naître de la bêtise humaine et de son manque d'analyse de la situation comme si le futur était tellement éloigné que l'on pouvait s'en moquer complètement ! Une réflexion écologique est possible suite à la lecture de ce roman.

Le lecteur peut lire ce roman comme un conte à la japonaise. Sa première moitié est plutôt descriptive, voire contemplative, que narrative. Le lecteur suit souvent la pensée du maître bonsaï, c'est sans doute pour cette raison que les phrases sont courtes, parfois sans verbe et donnent l'impression que l'on suit au fur et à mesure la pensée en train de se construire. Les dialogues aussi sont curieusement construits. Les verbes de parole sont les mêmes, ce qui donne parfois un caractère répétitif, un peu irritant. Je n'ai pas été sensible au style. Mais la rencontre entre ces deux êtres ne peut laisser insensible, la critique qui est faite est marquante et les dix dernières pages feront partie de ces pages qu'il est difficile d'oublier. Je n'en dis pas plus ...
Le déséquilibre des éléments 9 étoiles

Le maître bonsaï s'est retranché dans un monde quasi végétal, il se fond littéralement dans la communauté des bonsaïs dont il s'occupe de manière obsessionnelle et absolue.
Se nourrissant de quelques fruits, dormant peu, il a également quasiment perdu l'usage de la parole, ce que l'auteur retranscrit magistralement en opérant un choix judicieux d'économie de mots.
Et puis il a tout oublié, préférant observer les racines de ses arbustes plutôt que se souvenir des siennes.
Arrive une fille, une originale qui va revenir le voir incessamment, et qui incarne le monde, cette planète qu'on saborde et dont les blessures se répercutent sur son corps de femme.
Cette rencontre va déchaîner les éléments et renverser l'ordre des choses.

Chaque petite portion de texte est séparée de la suivante par un minuscule dessin noir représentant un bonsaï, ce qui contribue à immerger le lecteur dans ce monde insolite où se mélangent légende, allégorie, conte, récit et didactique.

Une lecture somme toute assez fascinante.

Sissi - Besançon - 54 ans - 7 septembre 2014


Le désordre du règne 9 étoiles

Ce petit livre est un véritable manuel de création et d’entretien des bonsaïs, tout est décrit avec une grande minutie, les outils sont présentés en ordre de bataille, le travail est expliqué, décortiqué, l’état d’esprit est insufflé au lecteur comme une religion est répandue dans les foules. « Créer un bonsaï c’est poser un arbre sur une bascule, entre la nature et la mort. En équilibre précaire. Je pose des arbres sur des bascules. Et je les y maintiens en équilibre. C’est cela que je fais ». Le maître se fond progressivement dans le monde végétal et le bonsaï lui impose peu à peu sa loi et le prend comme la mer prend le marin. « J’ai quitté l’animalité. Je suis passé de l’autre côté. J’ai rejoint l’autre règne. C’est un secret. Cela ne se voit pas ». Ce texte dépouillé, épuré à l’extrême, construit avec des phrases courtes, très courtes, où juste l’essentiel figure et doit même être répété pour être affirmé, évoque le langage usité par un homme relégué à la limite de l’Ordre du règne, le monde humain, en voie de mutation vers le règne végétal.

Un jour, une fille entre dans le magasin, elle aime les bonsaïs mais elle ne comprend pas l’esprit du maître, elle n’accepte pas que l’art du bonsaï soit un art de la contrainte, elle souffre de toutes les atteintes portées à la nature. Elle revient tout de même et emporte le bonsaï que le maître lui offre. Les visites de la fille réveillent le maître bonsaï, lui rappellent des sensations, des mots, des choses, des événements qu’il a connus avant les bonsaïs et parallèlement la fille est de plus en plus perturbée, amaigrie, elle tangue, s’incline dans un déséquilibre préjudiciable comme s’il fallait que la vie de l’un soit payée par la vie de l’autre, comme si l’équilibre devait toujours être respecté, comme celui du bonsaï mis en équilibre entre la vie et la mort pour former une œuvre d’art. Le maître remonte de son néant végétal pour revenir à la vie de « l’Ordre du règne » alors que la fille s’enfonce dans les douleurs qu’on inflige à la planète et qu’elle porte comme des stigmates. « L’art du maître bonsaï, ce n’est pas la vie, c’est le beau. La vie est moins importante que le beau. Et pour que le bonsaï soit beau, il faut parfois que la vie reflue ». Ces transformations parallèles s’imbriquent dans le récit de la légende nipponne du Cerisier blanc, la légende de Tomida, qui s’enroulent dans un discours écologique en forme de mythologie et les souvenirs mal éteints des atrocités d’une enfance balkanique.

« La planète est malade. Malade de l’homme… J’ai d’abord ressenti la fièvre… Sa fièvre. La chaleur… Des accès de fièvre… Comme ça, tout à coup, sans raison… Et le manque d’air… De plus en plus… » A la fin de ma lecture je ne savais toujours pas si cet exercice littéraire était prétexte à un coup de gueule écologique ou si ce plaidoyer écologique était l’opportunité d’un bel exercice littéraire. Mais tout cela importe peu, l’essentiel est de constater que le talent de l’écrivain peut traiter d’un sujet fondamental dans une forme littéraire d’une grande exigence. Et pourquoi le fond et la forme ne s’épouseraient-ils pas comme le rouge et le noir dans une célèbre chanson de Jacques Brel ?

Débézed - Besançon - 77 ans - 7 avril 2014