Notre besoin de consolation est impossible à rassasier
de Stig Dagerman

critiqué par Saule, le 22 août 2003
(Bruxelles - 59 ans)


La note:  étoiles
Entre espoir et désespoir
"Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n’ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l'attention d'un dieu : on ne m'a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l’athée. Je n’ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m'inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n’était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m’atteindrait moi-même car je suis bien certain d’une chose : le besoin de consolation que connaît l'être humain est impossible à rassasier."
Voila les premières lignes de ce court essai. Stig Dagerman est un auteur suédois mort en 1954 à l'age de 31 ans. Il s'est suicidé. Ce texte a été écrit peu avant sa mort, un texte qui oscille entre désespoir et espoir même si la balance me semble pencher plus du côté noir.
Je vous livre un passage plus optimiste que le premier, qui m'a particulièrement plu. Ce texte vaut vraiment la peine d'être lu et relu, chacun trouvera y matériel à méditer.
"Ma vie n'est courte que si je la place sur le billot du temps. Les possibilités de ma vie ne sont limitées que si je compte le nombre de mots ou le nombre de livres auxquels j’aurai le temps de donner le jour avant de mourir. Mais qui me demande de compter ? Le temps n’est pas l’étalon qui convient à la vie. Au fond, le temps est un instrument de mesure sans valeur car il n'atteint que les ouvrages avancés de ma vie.
Mais tout ce qui m'arrive d’important et tout ce qui donne à ma vie son merveilleux contenu : la rencontre avec un être aimé, une caresse sur la peau, une aide au moment critique, le spectacle du clair de lune, une promenade en mer à la voile, la joie que l’on donne à un enfant, le frisson devant la beauté, tout cela se déroule totalement en dehors du temps. Car peu importe que je rencontre la beauté l’espace d'une seconde ou l’espace de cent ans. Non seulement la félicité se situe en marge du temps mais elle nie toute relation entre celui-ci et la vie. Je soulève donc de mes épaules le fardeau du temps et, par la même occasion, celui des performances que l’on exige de moi. Ma vie n’est pas quelque chose que l’on doive mesurer. Ni le saut du cabri ni le lever du soleil ne sont des performances. Une vie humaine n’est pas non plus une performance, mais quelque chose qui grandit et cherche à atteindre la perfection. Et ce qui est parfait n'accomplit pas de performance : ce qui est parfait œuvre en état de repos. Il est absurde de prétendre que la mer soit faite pour porter des armadas et des dauphins. Certes, elle le fait – mais en conservant sa liberté. Il est également absurde de prétendre que l’homme soit fait pour autre chose que pour vivre. Certes, il approvisionne des machines et il écrit des livres, mais il pourrait tout aussi bien faire autre chose. L'important est qu’il fasse ce qu'il fait en toute liberté et en pleine conscience de ce que, comme tout autre détail de la création, il est une fin en soi. Il repose en lui-même comme une pierre sur le sable. Je peux même m’affranchir du pouvoir de la mort. Il est vrai que je ne peux me libérer de l'idée que la mort marche sur mes talons et encore moins nier sa réalité. Mais je peux réduire à néant la menace qu'elle constitue en me dispensant d'accrocher ma vie à des points d'appui aussi précaires que le temps et la gloire."
Sans mots, sans voix... 10 étoiles

Là, quelque part, attendant d’être lu depuis de nombreux mois sachant combien il était "noir".

Alors, sans nul doute, était-ce cet instant qui grâce à "l'inoubliable éclat" de son texte, si sombre, si désespérant parfois, si lumineux pourtant à travers ses mots permettra dès lors, telle "une consolation qui soit plus qu'une consolation" de dépasser le sien, le mien ou le vôtre pour retrouver la liberté.
Celle de vivre.

L’intensité du désespoir. La beauté d'une écriture.

A lire et à relire.

Provisette1 - - 12 ans - 18 janvier 2015


Densité exceptionnelle 8 étoiles

Douze pages, que peut-on dire en douze malheureuses petites pages ? J’ai rarement vu une telle intensité se dégager d’un texte si court. Stig Dagerman y évoque son angoisse face à la vie, la solitude de l’humain face à sa finitude. Comment être libre dans un monde qui s’impose à nous ? La mort elle-même marque notre absence de contrôle sur notre destinée. A moins de provoquer sa propre mort…

On l’aura compris, ce texte n’est pas réjouissant. La densité des questions qu’il pose nous renvoie à notre propre cheminement spirituel. Le désespoir, une certaine forme de désenchantement s’y expriment de manière telle que la lourdeur devient palpable.

Douze pages, seulement…

Saint-Germain-des-Prés - Liernu - 56 ans - 17 août 2005


Y a d'la joie ! 8 étoiles

Il m'a fallu lire et relire, ce n'est pas un livre facile. Des phrases lumineuses, d'autres plus obscures mais ce texte m'a éblouie malgré ses énigmes car il est un poème désespéré. Un peu d'artifice ressenti malgré mon enthousiasme. Le pessimisme de Dagerman se retrouve dans beaucoup des ses écrits, même si parfois, l'espoir ? ...
Extrait de "Le destin de l'homme se joue partout et tout le temps"
"Je souhaite que le plus grande nombre de gens possible comprennent qu'il est de leur devoir de se soustraire à l'emprise de ces blocs, de ces Eglises, de ces organisations qui détiennent un pouvoir hostile à l'être humain, non pas dans le but de créer de nouvelles communautés mais afin de réduire le potentiel d'anéantissement dont dispose le pouvoir en ce monde. C'est peut-être la seule chance qu'ait l'être humain de pouvoir un jour se conduire comme un homme parmi les hommes, de pouvoir redevenir la joie et l'ami de ses semblables."

Sido - Grenoble - 69 ans - 4 novembre 2004


Quel texte! 8 étoiles

J'ai découvert ce texte sur remue.net. Qu'un écrivain aussi jeune dévoile la vie de manière aussi rudement efficace, cela m'épate. C'est presque un texte d’initiation. Voici un autre extrait : "il n'existe qu'un seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l'intérieur de ses limites".
Comme disait R.Char "L'homme est en avance sur ses excréments".
A+

Donatien - vilvorde - 81 ans - 26 août 2004