On nous a coupé les ailes
de Fred Bernard, Émile Bravo

critiqué par JulesRomans, le 15 mai 2014
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
On nous a coupé les ailes et cela empêche de planer
Cet album démarre avec deux double-pages où l'action se déroule durant l'été 1899, le narrateur raconte ses vacances dans un village -avec son grand-frère Eugène, son petit frère Paul et son cousin Firmin. Vont suivre trois double-pages dans les tranchées où le narrateur René Nicolas raconte au présent la façon dont il vit la guerre.

Alternent ainsi des moments au présent où le héros est soldat (5 octobre 1914, 5 janvier 1915, 15 août 1915 ... 30 juin 1918) avec des retours à la vie civile d'autrefois (entre l'âge de 8 à 17 ans, entre 1899 et 1909). Le fait que le grand-père raconte sa guerre de 1870 est très intéressant car le texte et l'illustration montrent combien elle fut différente de la Grande Guerre.

L'intérêt pour l'aviation est le point commun à ses deux périodes et René Nicolas fabrique des maquettes d'avion. Les informations données permettent de se faire une idée de l'évolution de l'aviation durant la Grande Guerre, toutefois elles manquent parfois de précision. Ainsi on avance que le premier combat aérien a vu début octobre 1914 un aéroplane Voisin s'opposer à un Aviatik allemand, sans donner les noms du sergent Frantz et du caporal Quenault. De plus ceci est vrai pour le territoire hexagonal, mais en fait le capitaine russe Pyotr Nesterov périt après qu’un pilote austro-hongrois ait percuté volontairement son avion le 8 septembre 1914.

Le récit propose divers autres noms d'avions (Morane-Saulnier, Fokker Eindecker ...) et de quelques pilotes (Roland Garros, Charles Guynemer, Charles Nungesser, Georges Madon, Jean Navarre, Fonck, le Baron rouge) et pour l'avant-guerre les frères Wright, Henri Farman ainsi que Blériot)

Par ailleurs si comme nous l'affirme la dernière page René Nicolas était au 43e régiment d'artillerie à la fin du conflit, c'est qu'il a certainement passé toute la guerre près des canons. Il était brigadier depuis janvier 1915, grade inconnu dans les régiments d'infanterie. Or faute d'une réflexion à ce sujet, la guerre vécue ici est celle d'un fantassin. On a raté une magnifique occasion de nous montrer la vie d'un artilleur durant la Grande Guerre, pour retomber dans les habituelles images de la guerre vécue dans les tranchées. Allez expliquer à un enfant que le pourcentage de morts dans l'artillerie est drastiquement inférieur là quand dans son imaginaire celui qui est dans l'artillerie vit directement l'enfer des tranchées. Au moins un historique du 43e RAC est disponible sur internet (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/…), le scénariste aurait pu le lire pour éviter de partir dans ses clichés personnels sur la Première Guerre mondiale.

Par ailleurs je doute fortement qu'en juin 1918 on fusille un soldat pour avoir volé une poule et des œufs, les bagnes militaires d'Afrique étaient là pour réprimer ce genre de fait. Ceci est une réflexion de quelqu'un qui a lu personnellement des comptes-rendus de conseil de guerre et a lu les divers ouvrages consacrés aux fusillés pour l'exemple. Comme pour "Tache d'encre" chez les P'tits bérets et d'autres récits de fiction autour de la Grande Guerre sortis récemment, on a un manque regrettable de rigueur du point de vue des connaissances qui sont passées dans le texte et l'image. Il serait bien que certains auteurs, qui font dans la fiction historique, pensent qu'ils ont une mission qui est de faire approcher un vécu particulier à de jeunes lecteurs. Ceci est d'autant plus regrettable ici que l'approche de l'évolution de l'aviation à travers en particulier l'artisanat des poilus était fort intéressante.