Svastika de Junichirô Tanizaki

Svastika de Junichirô Tanizaki

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique

Critiqué par Jules, le 30 août 2003 (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (24 612ème position).
Visites : 6 336  (depuis Novembre 2007)

Une intrigue très psychologique

J'aime beaucoup Tanizaki et « Svastika » est un bon livre de cet auteur, même si je lui ai préféré « La confession impudique »
Cette histoire commence d'une façon assez banale mais prendra très rapidement une tournure à laquelle nous ne nous attendons pas du tout.
C’est une des deux héroïnes principales qui raconte, des années plus tard, l'histoire qu'elle a vécue. Elle se livre à un homme qu'elle appelle « Monsieur » et qu'elle remercie de bien vouloir l'écouter.
Sonoko Kakiuchi est une jeune femme de famille riche mariée à un homme d’origine plus modeste. Il est avocat, bien qu'il ne travaille quasiment pas. Sonoko est loin d’être comblée et, pour s’occuper, va suivre des cours de dessin. C’est là que son destin va prendre un virage total. Sans s'en rendre compte, elle va donner le visage d’une autre jeune femme de la même école à un modèle qu’elle doit peindre. Le directeur de l'école s'en rendra compte, lui, et bien qu'elle n’ait jamais parlé à cette jeune femme, le bruit d'une amitié particulière entre elles va circuler.
Cette jeune femme s'appelle Mitsuko et est véritablement superbe. Voilà qu’elles deviennent vraiment amies et Mitsuko lui révèle que toute cette histoire a été montée de toutes pièces par des gens qui ont intérêt à la déconsidérer, elle. Mais cette amitié va se développer au point de devenir vraiment ce que les bruits avaient tenté de faire croire. Sonoko devient éperdument amoureuse de Mitsuko et le mari, appelé par les deux femmes « Mister Husband », va totalement passer au second plan, si pas plus bas encore.
L'amour de Sonoko pour Mitsuko ne connaîtra plus de limite au point même d’accepter que celle-ci ait aussi un homme dans sa vie. Et quel homme !… Nous voilà dans une histoire à trois. Mais elle deviendra une histoire à quatre, car Sonoko n'arrivera pas toujours à ne donner à son mari qu'un rôle de potiche.
Et quel est le véritable rôle de Mitsuko, quels sont ses véritables sentiments à elle, quel est le vrai rôle de son « ami » Watanuki, quelles sont ses vraies motivations ?.
Les sentiments de chacun sont ici décortiqués avec brio, mais seuls ceux de Sonoko et de son mari nous semblent clairs. Sonoko se retrouve au centre d’une vaste toile au sein de laquelle elle doute bien souvent de sa véritable place.
Outre cette intrigue finement menée, Tanizaki nous décrit les mœurs de son époque au Japon et à Osaka en particulier. Tout cela avec une écriture pleine de sensibilité. Un très grand écrivain !.

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Embrouillamini

8 étoiles

Critique de Vince92 (Zürich, Inscrit le 20 octobre 2008, 47 ans) - 13 février 2024

La nature des relations amoureuses qui lient les quatre (cinq?) personnages de ce roman de Tanizaki est le véritable héros de cette histoire. Comme les branches du svastika, chacun est relié au centre du mouvement giratoire en essayant de rattraper l'autre sans jamais y parvenir.
Roman psychologique, ce petit chef-d'œuvre de Tanizaki nous introduit à une œuvre d'un écrivain qui se signale par sa modernité et son style très épuré comme une pièce No ou une estampe d'un maître japonais.
Economie de mots, pas de style flamboyant mais des phrases courtes et très "banales" dont l'agencement construisent une histoire à peine croyable tant les retournements et les non-dits sont nombreux.
On ne croit pas à cette histoire de carré amoureux mais là n'est pas l'essentiel tant le lecteur sent qu'il a dépassé le stade de la simple narration pour entrer dans le domaine du conte où le symbole est omniprésent. Le titre est à ce titre très parlant et donne le ton d'un ouvrage qui va multiplier les références à la quintessence des relations amoureuses dont celle de l'enfantement: la vraie-fausse grossesse de Mitsuko est au centre de l'intrigue, conditionne le rapport de cette dernière à son amant qui est taxé d'impuissant.
Vitalité, fertilité, les thèmes traditionnels s'invitent dans l'économie des rapports amoureux et, loin d'être le livre moderne que la plupart des lecteurs voudraient y voir, Svastika remet l'église au centre du village et rappelle la finalité de ces rapports amoureux. Cependant, le désir est indépendant et la relation Mitsuko-Sonoko, véritable scandale social et anthropologique (surtout dans le Japon de 1928) est plus fort qui vient perturber la normalité amoureuse.
Roman complexe, servi admirablement par un style simple et efficace, Svastika donne envie de découvrir plus avant l'œuvre de Tanizaki,

Carré amoureux

8 étoiles

Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 2 août 2007

Tanizaki dépasse ici le classique triangle amoureux, sans doute trop étroit pour son imaginaire, pour conter une histoire impliquant deux couples : celui de Mitsuko et son pâle prétendant, celui de Sonoko et son mari. Les deux couples sont liés par la relation « contre nature » de Sonoko et Mitsuko, Sonoko jouant dans un premier temps le rôle de l’artiste et Mitsuko, celui du modèle.

Comme le dit bien Jules dans sa critique, la psychologie de trois des personnages (ceux qui vont tomber sous l’emprise de Mitsuko) est claire alors que l’objet de leur amour agit, lui, comme dans l’ombre, sans qu’on sache bien ce qui motive ses actes ; le point de vue de Mitsuko qui rapporte le récit ne parvient pas à percer l’âme de Sonoko. C’est très bien vu de la part de l’auteur qui accorde son dispositif à un fait avéré : l’être aimé reste entouré d’une aura de mystère et il vampirise à loisir ceux qui tombent sous son charme.

Etonnant de lire une telle histoire écrite dans le Japon de la fin des années 20. Le débit est fluide comme causé par l’empressement de la narratrice à raconter l’indicible. Ce qu’elle fait soi-disant par la parole, seul moyen de dénouer « une histoire si embrouillée ».

Dans le préambule, Sonoko, la narratrice, évoque une précédente histoire d’amour vécue avec un homme. Comme Emma Bovary, Sonoko ne se contente pas de son mari (qui ne l’aurait pas mariée par amour) et on verra que, si elle a trompé une fois, elle trompera encore. La jeune femme qu’elle va aimer est (elle l’apprendra à ses dépens) avide d’admiration au-delà du possible. Par un effet du sort ironique, la personne sur qui elle a jeté son dévolu lui ravira celui qui ne la satisfait pas, la débarrassant à la fin de l’histoire de toute entrave (son mari) comme de toute espérance (l’amour incarné sous la forme de Mitsuko). La laissant avec pour tout repère terrestre sa seule nostalgie. Mais ayant enfin accédé à une forme de sérénité.

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