Le sang des papillons
de Vivian Lofiego

critiqué par TRIEB, le 18 avril 2014
(BOULOGNE-BILLANCOURT - 73 ans)


La note:  étoiles
SOUVENIRS D'UNE BARBARIE
Peut-on évoquer les horreurs de l’histoire récente de son pays par le biais romanesque ? C’est le choix fait par Vivian Lofiego dans son premier roman: Le Sang des papillons. Nous sommes en Argentine en 1976. Tamara, très jeune enfant, voit son père se faire emmener de force vers un probable lieu de détention ou d’exécution, elle ne le sait pas encore. Très vite, le roman, qui a la particularité de n’inclure que très peu de dialogues directs, s’imprègne du sentiment de la peur, de l’omniprésence de la mort.

Après avoir évoqué la situation d’un lieu à Buenos Aires, La ESMA, l’auteure rappelle ce que ce lieu a représenté pour les Argentins qui y furent internés: un centre de torture, d’internement. Vivian Lofiego précise les méthodes de répression: « Ces terres donnèrent une fleur atroce. Une fois que les prisonniers avaient été interrogés, humiliés, torturés, on les assassinait. (…) En réalité, ils montaient dans les vols de la mort. Endormis, nus on les jetait, on les précipitait en plein vol dans le fleuve. On appela ce crime une forme chrétienne de mort. »
Ce récit s’attache également à la description de la famille de Tamara. Ainsi apprend-on que sa mère, Ana, sombre dans la dépression au moment de l’arrestation de son époux, elle vacille. Est-ce à cause de cet événement immédiat ou en raison de sa condition de femme argentine ? L’auteure, sans nous donner de réponse définitive, suggère que ce pourrait être le cas: « Ana sait que les mercenaires sont toujours plus cruels avec les femmes qu’avec les hommes. Pourquoi ? Il en été toujours ainsi, cette pensée la terrorise et l’attriste, elle se sent petite, elle croit mieux comprendre la femme d’Ulysse et percer secrètement son astuce, cette façon originale de survivre, confrontée à la décimation des amants dans son palais et à la disparition du mari. »
Il y a dans ce récit des évocations et comparaisons des situations des personnages , Tamara, la fille, Ana , la mère, Angelica , la grand-mère, avec certains épisodes de l’Odyssée d’Homère, des personnages de l’Antigone de Sophocle , ce qui fait accéder ce roman à l’universel. On ne manquera pas de remarquer également le jugement de l’auteure sur l’attitude de l’Eglise face au régime: partagée entre le consentement et la révolte: « Une partie de l’Eglise catholique était par ailleurs consentante, une autre, celle des curés tiers-mondistes, combattait aux côtés des guérilleros, des bidonvilles, des opprimés, au prix de leur vie, comme l’avait fait le père Mugica. »

L’auteure évoque également l’assassinat de religieuses françaises par la junte militaire, jetées à la mer, lors d’un « vol de mort. » C’est un récit empreint d’une grande dureté, qui parvient à restituer toute la barbarie de cette période, tout en mettant en perspective le sort de cette famille, en évoquant ses origines, italiennes et juives. Vivian Lofiego réussit le pari d’évoquer la destinée d’une famille, tout en la reliant à l’histoire de ce pays: l’Argentine.