San Miguel de T. Coraghessan Boyle

San Miguel de T. Coraghessan Boyle
(San Miguel)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Myrco, le 4 mai 2014 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 75 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (41 918ème position).
Visites : 4 539 

Retour à la nature : deux visions antithétiques.

Au cœur de ce roman : la petite île de San Miguel, à 40 kms des côtes californiennes, battue par les pluies et les vents, entourée de dangereux rochers, sauvage et désolée mais riche de ses colonies de phoques et d'éléphants de mer et de quelques espèces endémiques...
C'est là que vont atterrir successivement, à quarante ans d'intervalle, Marantha Waters puis Elisabeth Lester, entraînées par leurs maris respectifs dans l'aventure de l'élevage extensif d'un troupeau d'ovins.

Pour la première, arrivée sur l'île en 1888, à un stade avancé de la tuberculose, cela représente le dernier espoir de voir sa santé s'améliorer à l'air présumé bénéfique de l'océan. Passés les premiers émerveillements, les premières déceptions aussi, l'expérience se révèlera un véritable calvaire, celui d'une femme malade, déracinée, confrontée à une réalité qui ne correspond pas à ce qu'elle avait imaginé. Quant au Capitaine Waters, son mari, il est prêt à tout pour réaliser égoïstement son rêve et racheter un passé difficile (la guerre de Sécession éprouvante, "un travail sale et humiliant" au service des autres) avant qu'il ne soit trop tard : "je veux quelque chose à moi, et même si je dois y laisser ma peau, je l'aurai ", telle est sa volonté. Mais pour Marantha comme pour sa fille Edith, leurs aspirations profondes, leurs personnalités, quoique différentes, les mettront en totale inadéquation avec le type de vie qui leur est imposé. Contraintes, elles souffriront de ce qu'elles considèreront comme un déclassement et l'île ne sera bientôt pour elles qu'une prison, voire un enfer qu'elles ne songeront qu'à quitter...

Boyle nous offre dans cette première moitié du roman, l'image d'une nature hostile, destructrice, primitive avec laquelle l'homme civilisé ne peut avoir finalement aucune affinité, pas plus qu'avec les animaux qui en font partie intégrante. Passé l'épisode de l'agneau (*), les moutons ne seront guère plus évoqués que par leur odeur "pestilentielle" ! La vision dominante est celle d'un environnement qui asservit l'homme et dont le contact, entre autres par les activités qu'il engendre, le ramène à une condition "vulgaire" et dégradante.

Je dois dire qu'à ce stade de ma lecture, j'étais un peu déçue, l'ouvrage me paraissant alors ne pas correspondre à l'"ode pastorale grandiose" annoncée en quatrième de couverture.
Fort heureusement de mon point de vue, la seconde partie bascule dans une toute autre approche avec l'arrivée du couple Lester en 1930, courageux, dynamique, animé du même enthousiasme pour un choix de vie bien loin de "la ville trépidante et surpeuplée" (...) : "ils avaient rendez-vous avec la vraie vie, au contact de la Nature, la vie selon Thoreau et Daniel Boone, simple, vigoureuse et pure. "Lui est marqué par les traumatismes de la première guerre mondiale, elle, à 38 ans vient d'échapper à un destin de vieille fille.
Il est vrai que le contexte est tout à fait différent. C'est l'époque de la prohibition et du grand banditisme, et, sur le continent, règne la Grande Dépression : à la suite du krach boursier de 1929, des milliers de gens se retrouvent sur les routes sans travail...
Pour Herbie et Elise, cette île va être comme un refuge, une sorte de petit paradis à l'abri des problèmes et de l'agitation du monde, un espace de liberté préservé, sans autres contraintes que celles qu'ils doivent s'imposer eux-mêmes, sans "formes et règlements à observer. "Bien sûr, le propos demeure réaliste, tout ne sera pas toujours idyllique car cette liberté a un prix à payer. Mais l'un dans l'autre, la vie va s'organiser dans une sorte de bonheur à la fois paisible et rempli d'activités, un équilibre harmonieux entre solitude protectrice et privilégiée et relations sociales avec visiteurs et amis (car entre-temps les moyens d'accès ont évolué).
Bientôt, cet équilibre sera rompu. En cette période de montée du fascisme en Europe, via la radio d'abord "les nouvelles du monde arrivaient sans trêve, les infectant comme une sorte de peste. Qu'ils le veuillent ou non, ils faisaient désormais partie du monde, happés par lui presqu'à leur corps défendant. "Puis ce sera la guerre du Pacifique... et le monde qui va, hélas, s'intéresser à eux...

La fin, émouvante, m'a laissé le goût amer et triste des paradis à jamais perdus et le sentiment désespérant de la nullité de notre empreinte en ce monde...

Hommage soit rendu au talent de l'auteur quant à plusieurs aspects de ce roman :
-il a su remarquablement se fondre dans le point de vue féminin de ses héroïnes, qui plus est au travers de deux perceptions antithétiques même s'il a sans doute été aidé en cela par le fait qu'il a pu consulter des écrits de Mrs Waters et d'Elisabeth et Betsy (sa fille) Lester qui ont réellement existé ;
-peut-être plus remarquable encore est la restitution contrastée de deux époques différentes ; la première partie s'avère fortement imprégnée d'une atmosphère très 19ème avec ses valeurs un peu rigides notamment (références explicites sont faites à la littérature européenne de l'époque : celle des sœurs Brontë, de Dickens, de Zola...) ; quant à la seconde partie, l'auteur a su avec justesse faire vivre en arrière-fond les événements de ces temps troublés ainsi que la mutation de la modernité dans les mentalités, les avancées technologiques, les pressions de plus en plus intrusives et liberticides de la société, entre autres ;
-enfin et surtout, alors que le sujet met en scène un mode de vie a priori répétitif et relativement atone, Boyle réussit le tour de force de nous conter cette histoire de manière très rythmée et dynamique, sans temps mort, grâce à une belle écriture nerveuse, à une construction linéaire bâtie sur une succession de chapitres courts, chacun autour d'un aspect de la vie, d'un personnage ou d'un événement particulier, qui s'enchaînent de telle sorte que la lecture en devient addictive, du moins l'ai-je vécue ainsi.

Une belle sensibilité, un texte très maîtrisé, quelques accents lyriques, même si l'on reste sur quelque chose d'assez conventionnel, mais qui s'en plaindrait lorsque le plaisir est largement au rendez-vous !

(*) décrit de manière peu vraisemblable pour un lecteur averti, mais on pardonnera à l'auteur ce défaut de documentation.

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Île-entité

6 étoiles

Critique de Bluewitch (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans) - 9 juin 2014

San Miguel, cette île-entité où la notion d’isolement prend tout son sens.

Des hommes et des femmes ont foulé son sol de landes et de pierres, où plus aucun arbre n’a fini par pousser. Ranchers affamés de grand air. Ce fut le cas de Marantha Waters et d’Elise Lester, héroïnes féminines de ce récit. Et leur réalité de prendre corps dans la fiction.

T.C. Boyle décrit dans un mode réaliste classique cet environnement hostile et oppressant, dans une succession d’événements aux abords anodins mais pourtant cruciaux dans la vie quotidienne de ces êtres peu à peu « envahis » par l’île, dégradés, affaiblis. Jusqu’au-boutisme, désespoir, émois adolescents, manipulations, amertume. Les jours s’étirent et s’essoufflent et le récit semble hélas prendre le même pli…

Une seconde partie plus dense, plus crédible, plus touchante. L’auteur se base donc sur des faits réels pour aborder la confrontation de l’homme et de la nature, cette symbiose tant désirée et parfois si délicate, si rude, voire impossible, conduisant à la folie. San Miguel figure un laboratoire d’êtres humains tentant de créer et maintenir un univers restreint qu’ils voudraient à leur image. Royaume d’âmes en quête d’absolu, élégie pour ces colons d’un monde à part, "San Miguel" n’est peut-être pas, pour autant, cette "ode pastorale grandiose" annoncée en quatrième de couverture. S’attachant à insérer nombreuses références à des romans sentant le vent, l’humus, le drame et la pierre humide (Emily Brontë, Virginia Woolf,…), Boyle sait où piocher pour créer l’atmosphère. On garde pourtant un goût de trop peu entre les longueurs et les pistes abandonnées, les visages de personnages secondaires esquissés en cours de route. Trop et pas assez dans ce roman de 475 pages auquel on ne reprochera pourtant pas une belle tentative d’immersion et de sensibilité.

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