Requiem pour une nonne
de William Faulkner

critiqué par Jules, le 17 septembre 2003
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Une dimension différente
Je persiste et signe ! Encore cette folie de vouloir critiquer un livre de Faulkner !… Cela a déjà été fait et refait, mais je viens de le relire pour la troisième fois et je ne peux résister !… Ah, cette sensation, en lisant les premières lignes, que l’on est devant un grand livre, une grande écriture et non pas devant un petit opuscule de quelques pages avec double interligne qui ne laissera que bien peu de choses dans nos souvenirs !.
L'histoire a pour centre la ville de Jefferson, dans le comté de Yoknapatawpha, dont Faulkner va nous raconter l’origine ainsi que la construction du tribunal, de la prison et du Dôme doré. Tiens !. Une petite phrase, ô combien actuelle, volée dans cette description : « .fièvre, délire qui lui feraient toujours confondre le grouillement avec le mouvement et le mouvement avec le progrès. » Un Américain parle aux Américains !.
Temple Stevens ou Temple Drake ?. C’est Temple Stevens, femme de Gowan Stevens, qui commence l'histoire, mais Temple Stevens n'est que la continuation de Temple Drake, de « Sanctuaire », qu’un jeune homme, Gowan Stevens, emmena huit ans plus tôt, voir un match de base-ball. Jeune aristocrate saoul comme un polonais, il avait renversé sa voiture dans un fossé et perdit Temple Drake, enlevée par un petit vicieux qui la garda enfermée dans un bordel pendant un bon bout de temps !
Voilà, nous sommes huit ans plus tard et Gowan Stevens a épousé Temple Drake et en a deux enfants. Ils ont une bonne et nounou, noire, comme il se doit, ancienne prostituée et droguée.
Pourquoi avoir choisi une Nancy Mannigoe ? Temple avoue : «.Temple Drake qui avait choisi l'ex-putain droguée pour la seule raison que cette ex-putain droguée était le seul animal à Jefferson qui pût parler la langue de Temple Drake. »
Un jour débarque un jeune homme, sosie et jeune frère de celui dont Temple Drake était devenue follement amoureuse dans son bordel. Et il est en possession des lettres qu'elle avait envoyées à celui-ci, des lettres d'amour dans lesquelles une jeune fille bien, de la meilleure société du Mississipi, ne décrit pas ce qu’elle décrit et surtout pas avec le vocabulaire qu’elle utilisait, le vocabulaire « juste » !. Il veut de l'argent, mais Temple va plus loin, elle veut partir avec lui, quitter Gowan Stevens et même lui abandonner son fils aîné. Elle n'emporterait que sa petite dernière-née. Cela, Nancy ne peut l'accepter et commet l’inévitable. Le livre commence donc par la condamnation à la pendaison de Nancy Mannigoe.
Commence alors un long calvaire pour Temple Stevens. Accompagnée de l’avocat de Nancy, son oncle, Gavin Stevens, elle va trouver le Gouverneur. Elle va se livrer tout entière, tout dévoiler d’elle, de sa nature profonde, mais aussi se libérer de tout ce qu'elle a vécu. Et nous allons nous enfoncer dans ses souffrances, dont la moindre n'est pas la gratitude…
Gavin Stevens dit au Gouverneur : « Son mari & mon neveu & avait fait ce qu'il considérait comme le sacrifice suprême (le mariage avec Temple, ancienne prostituée) pour expier la part qui lui incombait dans le passé de cette femme. Elle était certaine de pouvoir continuer à fournir la quantité de gratitude, si croissante fut-elle, que l’appétit croissant du consommateur exigeait en échange du sacrifice que, croyait-elle, elle avait accepté, poussée par ce même sentiment de gratitude. »
Mais
là n'était pas la solution et Temple Stevens fait plusieurs allusions à un personnage féminin créé par Hemingway qui disait que la seule, l’unique solution, résidait dans le refus d’accepter. Elle ne sut pas le faire. Et elle vivra dans la souffrance.
Ses derniers mots à Nancy seront ceux-ci :
Nancy ! Et moi ? Même s'il y en a un (de Dieu), même si quelqu’un m'y attend pour me pardonner, il reste encore demain et demain. Demain et encore demain, et suppose que, dans ce paradis, je ne trouve personne, personne qui m'attende pour me pardonner. »
Impossible d’évoquer ici toutes les idées contenues dans ce livre, il y en a bien trop !
Quant au style de Faulkner, nous en avons déjà souvent parlé. Difficile, réclamant toute l’attention de son lecteur, il lui demande beaucoup d’efforts. Mais la récompense est à la taille de l'effort !… Les bonnes choses ne demandent-elle pas souvent à être méritée ?
Aussi torturé soit-il, j’aime ce style. Il est le reflet le plus juste des difficultés vécues par les personnages.
Ce n'est pas sans raisons que Camus a décidé d'adapter ce roman au théâtre !
Une moitié oubliée 8 étoiles

Folio préface son édition d’un « avant-propos » de Camus qui n’est clairement pas un avant-propos à Requiem pour une nonne de Faulkner, mais un avant-propos à la pièce qu’il en a tirée. La quatrième de couverture bien tassée « raconte l’histoire », au cas où le lecteur aurait du mal à comprendre. (Oui, Faulkner est un auteur exigeant.) Cette histoire, celle que raconte la quatrième de couverture, comme s’il n’y avait rien d’autre dans le livre, c’est l’épilogue de Sanctuaire. Soit, à peu près, la moitié du texte. Tout de même. Du reste, de l’autre moitié, on n’en fait guère cas, chez Folio. La moitié du texte pourtant, qui évoque l’Histoire et l’histoire du tribunal de Jefferson, du palais du gouverneur de Jackson, de la prison de Jefferson. Epopée en trois temps, qui s’intercale dans une tragédie (l’« histoire » de Temple Drake et de Nancy Mannigoe est présentée en scènes dialoguées qui évoquent plutôt le théâtre antique). Sur cette moitié du texte donc, la moitié épique, qui n’entretient apparemment avec l’« histoire » qu’un rapport de cadre historico-géographique – un simple décor ? – pas un mot, donc. C’est vrai que c’est plus difficile encore à commenter. Pourtant ça serait utile, là, pour le lecteur français du XXIe siècle. Parfois il aimerait bien au moins quelques notes, voire quelques pistes – sur cette moitié-là du livre. Une moitié, ça compte.
En refermant ce beau livre (qui tout de même me laissera une impression moins forte que Sanctuaire, par exemple), une question m’a traversé l’esprit : quel écho recevrait aujourd’hui un livre comparable à celui-ci, publié en France, par un auteur inconnu ? Je n’ose répondre.

Feint - - 61 ans - 30 avril 2008