Les Braises
de Sándor Márai

critiqué par Jules, le 25 septembre 2003
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Une histoire très bien menée !
Cette histoire se passe à la fin du XIX ième siècle en Autriche, à Vienne, et en Hongrie dans le domaine ancestral du général.
Au tout début de l'histoire, nous voyons le vieux général recevoir un pli d’un de ses domestiques. Il le lit et, lui qui vit en reclus depuis des années dans une aile de son château, appelle Nini, la bonne et gouvernante de 91 ans qui l'a vu naître, et lui demande de rouvrir les appartements de la grande aile du château. Il veut qu’on dresse une table superbe pour deux personnes et pour le soir même !
« Il » l'a contacté ! « Il » est là ! Après quarante et une années et cinq jours, se dit le vieux général. Il se dit qu’il va enfin connaître la vérité. Mais qui est « il » ?. « Il » c'est Conrad, son ami d'enfance, celui qui était quasiment son jumeau, celui qu'il ne pouvait pas imaginer perdre un jour.
Or, la dernière fois qu’ils se sont vus, c'était lors d’une chasse au domaine du général quarante et une années et cinq jours auparavant. Depuis, Conrad avait disparu. Où, comment et surtout pourquoi ?… Le vieux général compte bien comprendre ce qui s’est passé dans la tête de son ami à cette époque !.
A dix-neuf heures arrive Conrad et les deux hommes sont partis pour une bien longue soirée à la fin de laquelle le vieux général entend bien que la vérité sorte de la bouche de Conrad.
L'auteur nous fait traverser l’enfance et l'adolescence des deux jeunes garçons qui se sont connus à l’école militaire. Le père du général était très riche, alors que les parents de Conrad, de bonne famille tchèque et polonaise, ne l'étaient pas du tout. Mais cela n’explique rien !
Jeunes hommes, alors que le général vit de façon plus mondaine et superficielle, Conrad est raffiné et surtout passionné de musique. Mais cela n'explique encore rien !
Et puis, cette fameuse chasse suivie de la disparition de Conrad sans l'ombre d'une explication.
Ce livre est superbement bien écrit et c’est par petites étapes que nous découvrirons ces deux personnages. Ils sont touchants ces deux vieillards qui s’expliquent et le général n'y va pas toujours par quatre chemins.
Le passé est là, lourd, touffu et alors que le général entend bien finir par connaître et comprendre, Conrad reste bien souvent sur la défensive. Que s’est-il passé en lui ce jour là ?. Ces deux hommes savent qu’il ne leur reste pas longtemps à vivre et qu'ils ne se reverront sans doute plus.
Un huis-clos sulfureux 9 étoiles

L’histoire d’une amitié intense entre un Général et Conrad. Plus exactement, c’est leur fréquentation qui est intense depuis l’adolescence jusqu’à la trentaine. Leur amitié, elle, même si elle est réelle, est déséquilibrée par une différence de condition telle que l’un ne peut rendre à l’autre le confort matériel prodigué ; tandis que l’autre ne soutient pas la comparaison en matière d’intérêt pour l’art et la culture du premier.

Quarante-et-un ans avant ce huis-clos s’est produit un événement - que l’on pourrait tout aussi bien appeler un non-événement –une suspension du temps de quelques secondes qui constituera un tournant dans la vie des deux amis. Le jour suivant, Conrad disparaît et refait sa vie au bout du monde. Le général en reste très marqué et comme figé, gardant à l’identique une aile du château qu’il occupe, où il avait l’habitude de bavarder avec Conrad et Christine, la femme du Général, qui décèdera d’ailleurs très jeune, le laissant seul avec ses souvenirs, ses nostalgies, ses questions. Seul dans le sanctuaire qu’il s’est créé.

Et donc après tout ce temps, Conrad resurgit, le Général l’accueille avec un repas à rallonge, des boissons fortes, des cigares tout en recréant l’atmosphère de jadis. Avec l’espoir d’enfin recevoir des réponses à ses questions. Ou plutôt LA réponse à SA question, toutes les autres n’étant que subsidiaires et destinées à mener à la seule qui compte vraiment pour lui. La conversation s’égrène, reconstituant le passé des deux hommes et en arrière-plan la grandeur et la décadence de l’empire austro-hongrois, qui est un peu à l’image de l’amitié entre les deux hommes. Mais la gêne de Conrad est palpable, on ressent bien la tension et on devine que la vérité aura du mal à émerger….

Millepages - Bruxelles - 65 ans - 22 février 2024


Les chandelles brûlent jusqu'au bout 9 étoiles

Dans ce court roman, Sándor Márai nous convainc, si nous en doutions encore, que l'amitié trompée brûle autant qu'un amour déçu. Elle brûle et ne guérit pas, s'enrichissant simplement de strates de ruminations qui ne sont pas raisons.

Je n'ai pu m'empêcher de me poser la question pourquoi ce titre, les Braises. Le titre originel est en fait : Les chandelles brûlent jusqu'au bout, ce qui est plus en rapport avec le récit. Mais il semble que ce soit le titre français qui ait influencé les autres traductions en langues étrangères. Ironie.

Les critiques précédentes ont décrit fort justement la teneur de ce livre. A son terme, bien des questions restent ouvertes et chaque lecteur part avec son lot d'interrogations. Cependant, ce qui demeure, c'est cette musique, cette atmosphère qui est la marque des grands écrivains. Une leçon de retenue, de progression dramatique, pas une note ou une digression de trop.

Amoureux de la Cacanie, ce livre est pour vous.

Kostog - - 52 ans - 9 janvier 2020


La complexité des relations humaines 8 étoiles

Oui, très théâtral, Les braises..., même si j'avais du mal à voir Claude Rich dans le rôle du général, Claude Rich a une étincelle d'enfance dans le regard que je n'imagine pas du tout dans celui de cet Henri, fils d'un officier hongrois de la Garde impériale et d'une aristocrate française, qui depuis 41 ans attend cloitré dans son château familial le retour de l'homme, Conrad, qu'il avait désigné comme son "ami" . Et qui est parti sans rien dire le lendemain d'une journée de chasse, dont les évènements vont nous être dévoilés au fur et à mesure du roman. Il attend de savoir si ce qu'il rumine depuis 41 ans est vrai.
Voulais-tu m'assassiner, étais-tu l'amant de ma femme, savait-elle ce que tu voulais faire, et, surtout, m'as-tu toujours haï?

La force du récit tient finalement à l'absence de preuves et de réponses aux accusations. Nul besoin. C'est l'affrontement , après tant de temps, qui est important, que toujours l'un parle et l'autre se taise, l'un soit resté et l'autre ait fui.Conformes à ce qu'ils étaient enfants. Le dominant et le dominé. Le riche et le pauvre. Le soldat et l'artiste. Tout, sauf des amis, et à cela, Henri, coincé dans des valeurs bien rigides, n'avait pas pensé. Mais liés à jamais par tellement de non-dits.

C'est remarquablement bien écrit ( et bien traduit), le récit est mené de main de maître , une chasse juste pour le plaisir après plus de 40 ans de gâchis.

Paofaia - Moorea - - ans - 18 décembre 2013


Belle écriture 8 étoiles

L’histoire se passe dans la Hongrie des dernières années de la monarchie austro-hongroise (l’empereur François-Joseph et l’impératrice Sissi) jusqu’au milieu de la deuxième guerre mondiale. Conrad est vieux et revient au domaine de son ancien ami de l’école militaire Henry, général hongrois, où ils se sont laissés il y a 41 ans. Qu’est-ce qui s’est passé pour que deux amis inséparables depuis leur tendre jeunesse ne se soient revus depuis si longtemps ?

« Mais à cet instant, l'un et l'autre comprirent aussi que c'est l'attente qui leur avait donné la force de vivre au cours des dizaines d'années écoulées. Ils avaient présent à l'esprit qu'ils étaient comme les gens qui, s'étant préparés durant toute la vie à remplir une tâche, arrivent tout à coup à l'instant d'agir. »

C’est très subtil. On nous dévoile tout au compte-gouttes pour tenir en haleine le lecteur, on se demande tout au long du récit ce qui a pu se produire. C’est aussi une réflexion sur la vie, l’amour et l’amitié. Un roman avec beaucoup de finesse.

Nance - - - ans - 17 juin 2010


Amitié ? 9 étoiles

Il y a du Zweig dans Marai m'a-t-on prévenue. Et j'ai effectivement retrouvé ce travail ténu d'analyse comportementale, de décryptage des sentiments, de décorticage psychologique qui me plait tant chez Zweig.
C'est pointu, fin, minutieux à l'extrême. L'intrigue est magistralement portée jusqu'à la fin avec une écriture des plus classiques.
C'est d'amitié qu'il est question. D'amitié ou de .. ? Je n'en dis pas plus. C'est une longue réflexion sur l'attachement amical, sur ce qui peut en faire le plus noble des sentiments, ce qui lui permet de vivre, de mourir, d'être malmené, incompris, bafoué, sublimé.
L'amour peut s'en mêler. Pas comme vous pourriez le penser. Allez, j'essaye ici de perdre le lecteur car un critiqueur doit donner envie mais ne rien dévoiler surtout.
Deux hommes donc, à l'hiver de leurs vies se retrouvent après plus de quarante et une années de séparation. La discussion va les porter loin dans la nuit. Il y a Conrad, il y a le général et il y a Christine. Il y a les non-dit, les incompréhensions, le temps qui passe, le souvenir qui perdure. La vie quoi. Un très bon livre.
Zweig me procure toutefois plus de plaisir. Sans que je sache à quoi cela tient. Il y a de ces fidélités..

Garance62 - - 62 ans - 10 mai 2010


Huis-clos théâtral 8 étoiles

Deux hommes âgés, amis de longue date, se retrouvent un soir après quarante et une années de séparation. Tel est le sujet de ce roman d’un auteur hongrois dont j’ignorais jusqu’au nom il y a quelques semaines, Sandor Marai. La raison de cette rupture entre eux deux, rupture brutale et sans préavis, nous est révélée par petites touches au cours du huis clos durant lequel les deux hommes règlent leurs comptes, avant de se séparer pour de bon. Car telle est la seule issue possible. L’un des deux hommes a clairement l’ascendant durant tout le face à face. C’est lui qui a été trahi, et il veut faire savoir à son ami d’enfance qu’il sait tout des raisons de sa fuite. Ensuite il pourra le laisser partir.

Je n’en dirai pas plus pour ne pas dévoiler l’intrigue, car la force de ce roman – outre son écriture – est précisément la progression lente de l’histoire de ces deux hommes, que tout séparait et qui ont pourtant été très unis. Depuis leur enfance, jusqu’à ce jour funeste où tout fut remis en question. Un jour en apparence banal, où le bel ordonnancement de leurs vies se brisa sans fracas.

J’ai lu ce livre en deux jours (bien sûr il est court) tant il m’a plu. Ce huis clos très théâtral (adapté d’ailleurs pour la scène par Claude Rich en 2003) est passionnant. J’ai d’ailleurs enchaîné avec « métamorphoses d’un mariage », du même auteur.

Aliénor - - 56 ans - 2 février 2009


Toujours chaudes 9 étoiles

Huis clos magistral entre deux vieillards, les deux « meilleurs » amis du monde qui ne se sont pas vus depuis 41 ans et une montée en puissance, toute en finesse, tant dans le style que dans le fond.

Henri et Conrad se retrouvent enfin. Le général racé au destin tout tracé, le provincial polonais perdu dans ce grand empire austro-hongrois et qui veut se hisser ou qu’on veut hisser par la force du poignet et du sacrifice.

Deux enfants, deux adolescents, deux hommes et aujourd’hui deux vieillards qui ont une vie en commun, une vie commune, interrompue physiquement pendant 41 ans mais qui les a fait tenir jusqu’à ces retrouvailles, autour d’un repas, autour de souvenirs pas toujours dits, pas tout de suite dits, comme les braises qu’on remue pour les faire rougir.
Un style épuré et dense, sans emphase, précis qui va droit au but et qui touche.
Une –belle- découverte de Noël.

Monito - - 52 ans - 28 décembre 2008


Avis aux lecteurs racés 10 étoiles

Amis lecteurs racés, ne passez pas à côté de ce chef-d'oeuvre !

De la littérature pour « lecteurs racés et exigeants », nous dit Prince Jean, et c'est une très belle manière d'exprimer les choses. Une écriture "aristocratique", élevée, tout est finement ciselé dans ce texte, il y la concordance des sentiments et du style. En un mot, celui du titre, tout est dit sur l'ambiance de ce court roman : "Les braises" ou la passion qui rampe en veilleuse pendant des années.

Il faut ajouter une notion spéciale pour les évocations de la chasse, par le général passionné. Et puis les forêts, le château, la vieille nourrice. C'est sublime.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 3 janvier 2008


L'amitié peut-elle être insupportable d'intensité? 7 étoiles

"N'oublions pas que l'amitié n'est pas uniquement un état d'âme respectacle, mais une stricte loi humaine. Dans l'Antiquité, elle était même la loi suprême, sur laquelle reposait l'ordre juridique des civilisations disparues. Cette loi de l'amitié survit dans le coeur des hommes, aux passions et à l'égoïsme ; elle est plus forte que la passion qui pousse irrésistiblement hommes et femmes à se joindre. L'amitié ne peut être déçue puisqu'elle ne réclame rien."

Antiphon77 - Hainaut - 47 ans - 31 mars 2007


poetique 9 étoiles

magnifique roman, une ambiance , une atmosphere délicieuse et riche se dégage de la lecture aisée de ces lignes sublimes d'élégance et de subtilité.
pas un mot de trop, pas une phrase ennuyeuse. Voilà de la délicate litterature pour lecteurs racés et éxigeants.
à lire sans attendre.

Prince jean - PARIS - 50 ans - 20 mars 2006


Un obscur retour vers le passé 6 étoiles

Henri et Conrad se retrouvent dans le château du premier après une quarantaine d'années de séparation. Ils ont aujourd'hui soixante-quinze ans et se connaissaient depuis l'âge de dix ans, à l'école militaire. Au crépuscule de leur vie, Henri reçoit donc la lettre de cet ancien camarade qui annonce sa visite, lui qui s'était enfui sans laisser de traces. C'est donc le soir des règlements de compte, des mises à jour d'obscurs secrets et silences qui ont nourri le passé. Les souvenirs aujourd'hui se révèlent ainsi plus amers, tournés vers la rancune. Henri, désormais reclu dans sa solitude et son vieux château hongrois, a ruminé ses pensées et conçoit sa soirée telle l'heure de la vengeance ! Conrad et lui étaient d'excellents amis, certes, mais de condition sociale différente. Toutefois l'un a toujours considéré l'autre comme son égal, c'était somme toute un leurre. Conrad a longtemps été différent des autres et c'est d'ailleurs sur ce créneau qu'il s'est lié de trop près avec l'épouse d'Henri, Christine, décédée depuis quelques années.

Il s'est passé des instants troubles et opaques par le passé : une partie de chasse, un propos alambiqué, une fuite vers les tropiques et un silence plombant qui a duré quarante ans. Henri est résolument aigri, Conrad, plus crispé, hausse davantage les épaules. Dans l'art de la dissimulation, finalement, les deux hommes se valent. Christine, au milieu, a été dupée. Son carnet intime pourrait mettre à jour bien des mystères, la force de l'amitié pourra-t-elle combattre cette curiosité, l'avidité de savoir et le sentiment de lâcheté ?...

Bref, j'avoue une petite déception avec cette lecture des "Braises". J'avais été littéralement emballée par "L'héritage d'Esther" et j'escomptais retrouver une ambiance similaire dans ce livre-ci. Le passé à cheval sur le présent et l'heure du glas qui sonne pour régler les comptes sont autant de thèmes chers à l'auteur. Toutefois dans "Les braises", Sandor Marai s'embourbe trop dans les longs discours tortueux, les pérégrinations de vieillards vaniteux, orgueilleux et égoïstes, allons-y. Concernant le style de l'auteur, rien à redire : c'est classique et élégant, j'aime. Mais l'histoire m'a moyennement convaincue. Je suis un peu déçue.

Clarabel - - 48 ans - 18 août 2005


Amitié et plus? 9 étoiles

Peut-on voir en ce livre, plus encore qu'un roman sur l'amitié, le symbole de l'empire Austro-Hongrois qui ne parvient pas à unifier les états qui le compose ? Les "petits " états, symbolisés par Conrad, ne supportent plus la suprématie compatissante de L'Autriche (le général) et veulent l'égalité des droits et des chances.
Et si Conrad retrouvait cette égalité des chances dans l'art de susciter des sentiments?
Mais peut être cette analyse est-t-elle très éloignée des pensées de l'auteur...Dans tous les cas un excellent roman.

Sophi - Paris - 56 ans - 2 février 2005


Les sentiments éthérés de l’amitié 10 étoiles

Telle une apologie de l’amitié, cette œuvre magnifiquement bien construite dans une écriture épurée et élégante, nous livre un face à face où ces deux vieillards dévoileront leur sens de l’amitié. Ce moment tant attendu de la vérité: quarante et un ans et cinq jours est un grand instant de son existence pour ce vieil aristocrate de la bourgeoisie Magyare. A cette occasion, il redonnera vie à cette salle à manger condamnée ainsi que toute cette partie du château depuis cet événement douloureux.
Vengeance ou réparation, le discours sombre et sobre saura exploiter toutes les perceptions de ce noble sentiment dédié d’un commun accord dans un pacte indéfectible.
J’ai eu vraiment une grande révélation en lisant cet auteur. Il me touche, son écriture me parle, me bouleverse.

THYSBE - - 67 ans - 27 janvier 2005