Cet héritage au goût de sel
de Alistair MacLeod

critiqué par Dirlandaise, le 23 juin 2014
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Belles et émouvantes nouvelles
Les nouvelles de ce recueil, toutes plus belles et émouvantes les unes que les autres, transportent le lecteur dans l’univers fascinant d’Alistair MacLeod. L’écriture merveilleuse de cet auteur dont les ancêtres d’origine écossaise ont immigré dans l’île du Cap-Breton il y a bien des décennies m’envoute littéralement. Cet héritage au goût de sel imprègne, page après page, les récits et les nouvelles de cet auteur au talent exceptionnel. L’enfance, la nostalgie du passé, l’importance de la famille, la pauvreté et la dureté de la vie des pêcheurs de l’île, le passage du temps et la mort sont les thèmes de prédilection de l’auteur.

Parmi ces chefs-d’œuvre que sont les nouvelles de ce recueil, la dernière est particulièrement belle. Un jeune homme âgé de vingt-six ans apprend qu’il ne lui reste que quelques mois à vivre. Il retourne à ses racines et rend visite à sa grand-mère très vieille, vivant seule dans sa maison campagnarde de la pointe Rankin. Celle-ci, devenue veuve très jeune et ayant élevé ses sept enfants sans l’aide de personne, espère que Calum, son petit-fils préféré, acceptera de vivre avec elle mais il doit lui annoncer l’horrible nouvelle. Une des nouvelles que je préfère. Ensuite, j’ai bien aimé « Le bateau » racontant l’âpre vie d’un pêcheur de homard qui n’était pas vraiment fait pour ce dur métier. Dans « Automne », Alistair MacLeod raconte la séparation déchirante d’un homme et d’un cheval devenu trop vieux pour travailler et se rendre utile sur la ferme. « Cet héritage au goût de sel » est admirable.

Les personnages d’Alistair MacLeod évoluent dans un univers fortement marqué par le passé et l’héritage breton que leur ont laissé leurs ancêtres. Le gaélique est encore parlé mais surtout chanté car les plus âgés se souviennent des vieilles chansons bretonnes et ressortent leurs instruments à chaque rencontre familiale pour accompagner ces chants envoûtants qui ont bercé leur jeunesse. Mais ce qui ressort surtout de ces récits, c’est le choc des générations et l’urbanisation des plus jeunes qui rejettent un passé avec lequel ils ne se sentent plus concernés.

Une lecture très enrichissante et inoubliable.

« Mais il est pénible d’apprendre que l’on a retrouvé le corps de son père le vingt-huit novembre, à dix kilomètres au nord, coincé entre deux rochers au pied de la falaise de roches éparpillées, où il avait été projeté et écrasé, tellement, tellement de fois. Ses mains n’étaient plus que des lambeaux déchiquetés, tout comme ses pieds que la mer avait déchaussés. Ses épaules nous sont tombées en morceaux dans les mains quand nous avons essayé de le dégager des roches. Les poissons lui avaient mangé les testicules, les goélands lui avaient crevé les yeux et les poils vert-de-gris de sa moustache avaient continué de pousser dans la mort, comme l’herbe sur les tombes, sur cette masse bleuie et boursouflée qu’était devenue sa figure. Physiquement, il ne restait pas grand-chose de mon père, étendu là, les bracelets de chaînes autour de ses poignets et les algues dans ses cheveux. »