Le Rêve dans le pavillon rouge, tome 1 et 2
de Xueqin Cao, Jacqueline Azélaïs (Traduction), Tche-houa Li (Traduction)

critiqué par SpaceCadet, le 8 juillet 2014
(Ici ou Là - - ans)


La note:  étoiles
Entre rêve et illusion; une vie.
Né dans le premier quart du XVIIIe siècle, Cao Xueqin était un homme de lettres particulièrement doué pour la poésie et la peinture, deux traits qui ressortent dans sa prose, notamment par la qualité de son écriture et la précision de ses descriptions. Il aurait investi plus de dix années à rédiger "Hong Lou Meng/Le rêve dans le pavillon rouge" (également connu sous le titre de "Shi Tou Ji/Histoire de la pierre"), un roman peu diffusé en sa version initiale mais qui se fit connaître grâce à la publication qu'en fit Gao E à la fin du XVIIIe siècle et dont la popularité n'a d'égale que le nombre d'études dont il a fait et fait toujours l'objet à ce jour (1).

Partant d'une pierre dont l'origine est liée à la cosmogonie chinoise, le roman raconte les événements dont cet objet précieux fut témoin lors de son passage parmi les hommes.

Installée au sein de la famille Jia et plus précisément suspendue au cou du jeune Jia Baoyu, cette pierre précieuse observe et enregistre donc les faits et gestes de ceux qu'elle côtoie, constituant ainsi un récit qui nous est par ailleurs transmis par la plume de Cao Xueqin. C'est ainsi que le roman prend plus ou moins la forme d'une chronique des jours et des événements tels que vécus par les membres et personnes associées à cette famille influente de la Chine du XVIIIe siècle.

Au fil des scènes de la vie et donc au gré de cette quotidienneté, on découvre l'existence de ces personnages, tandis que petit à petit apparaît le fil thématique animant cette histoire, à savoir que la nature illusoire des choses matérielles appelle à l’exercice du détachement, un état que l'on ne saurait par ailleurs atteindre sans préalablement avoir complété le cycle de sa destinée.

Ainsi, à l’instar d’autres romans issus de l'empire du milieu, on retrouve ici les traces des croyances et religions diverses qui participent à l’univers spirituel chinois, de même que l’on peut également observer l’influence des principes confucianiste sur la morale sociale, familiale et individuelle.

Il reste qu’outre ce fond thématique philosophique relativement mince par rapport à l'envergure de l'oeuvre, avec un récit évoluant essentiellement au fil des événements qui animent l'existence d'une imposante maisonnée, on peut aisément qualifier Le rêve dans le pavillon rouge de roman "domestique".

Riche de détails divers portant sur les us et coutumes, les règles sociales, les rites et cérémonies, les tenues vestimentaires, les croyances et superstitions, la médecine, l'art de la table, la vie sociale et culturelle, l’architecture paysagère, etc., c'est à un véritable bain socioculturel que nous convie cette oeuvre et cela non seulement par le contenu mais également par la forme.

En effet, tandis que les récits proposés par les écrivains occidentaux ayant publié à la même époque, (à titre d'exemple on peut citer Swift ou Chaderlos de Laclos) ont habituellement pour principal moteur soit l'intrigue et/ou le sujet abordé, inversement on constate chez Cao Xueqin que c'est dans l'enchaînement des scènes et au long de descriptions et de détails divers que le lecteur est amené à se constituer un portrait d’ensemble à travers lequel il pourra, dans un second temps, percevoir le motif ou sujet du roman. Fossé culturel s'il en est, que certains lecteurs auront du mal à traverser et cela d’autant plus que ce roman volubile progresse lentement et dans une quasi absence de tension.

Outre cet aspect structurel, un écart culturel marque également le contenu. Ainsi, plusieurs références et allusions littéraires, historiques, artistiques, etc., de nombreux poèmes au style inspiré par les grands maîtres de la poésie chinoise, ainsi que divers jeux de mots basés sur la constitution des caractères chinois qui les représentent ou encore sur leur homonymie, risquent de n'avoir que peu de résonance auprès du lecteur non initié.

De plus, ce roman, dont le texte foisonne de subtilités linguistiques auxquelles il est difficile de rendre justice dans une autre langue, souffre, plus que ses pairs (i.e."Au bord de l'eau", "Les trois Royaumes", "La pérégrination à l'ouest") des aléas de la traduction. Au demeurant, il apparaît pratiquement impossible de transmettre la texture de la langue utilisée par l'auteur (soulignons que la version originale comporte deux niveaux de langues distincts, soit le dialecte de Pékin (ancêtre du mandarin) et le chinois vernaculaire), tandis qu'à cela viennent s'ajouter d'autres difficultés, telle que celle consistant à rendre la tonalité juste dans les dialogues (sarcasme, humour, ironie, etc.) qui, semble-t-il, aurait également tendance à mal traverser le cap de la traduction.

Quoi qu'il en soit, en dépit de cette incontournable distanciation entre le texte d'origine et l'interprétation dont le lecteur occidental pourra en tirer, "Le rêve dans le pavillon rouge" constitue une oeuvre remarquable et un moyen de se plonger et de découvrir un univers culturel d'une grande richesse.

(1) Ce compte-rendu fait référence à la version traduite en anglais par Yang Xianyi & Gladys Yang, publiée par Foreign Language Press.