A toi qui n'es pas encore né(e)
de Albert Jacquard

critiqué par Heyrike, le 7 octobre 2003
(Eure - 57 ans)


La note:  étoiles
L'homme au service de l'homme
Cette lettre testamentaire adressée à son arrière petit enfant est une façon à peine dissimulée de délivrer un message aux générations futures, les incités à s'interroger sur leur propre devenir tout en s'inscrivant dans une logique de "l'autre". Il y reprend certains thèmes abordés dans son ouvrage "Petite philosophie à l'usage des non-philosophes". Plaidoyer pour une vie digne, pour que chaque individu puisse penser par lui-même, loin des systèmes de formatage des institutions pernicieuses qui proclame des discours insipides à propension lobotomisant.
Racontant un jour dans sa vie, à l'époque où il préparait son examen d'entrée à l'X (école supérieure prestigieuse), durant l'occupation sans se préoccuper de la situation du pays, il nous fait partager son bonheur d'avoir réussi, constatant que tout compte fait cela s'est avéré avec le temps comme une espèce d'échec, car il n'avait su que renforcer son conformisme et se soumettre à des règles imposées, en ne développant pas ses propres capacités à remettre en cause l'ordre établi. Aujourd'hui il déplore le sort de ceux qui ont bien ingurgité tous les programmes "éducatifs", se laissant gaver complaisamment par la machine à modeler ceux qui sont destinés à réussir et à être efficace, tel " […] le soutier du Titanic lançant avec vigueur des pelletées de charbon dans la chaudière
pour accélérer la marche vers l'iceberg".
Evoquant son engagement aux coté des défenseurs des sans papiers et des sans logis, il nous rappel le devoir de non-obéissance lorsqu'on est persuadé de l'iniquité d'une situation même si celle ci résulte de l'application d'une loi. S'il apparaît évident que les lois sont nécessaires au fonctionnement d'une société, elles ne doivent pas devenir un carcan d'assujettissement aveugle des droits et des libertés individuelles et collectives.
Dénonçant sur le même ton, les avancées techniques qui ne sont pas mises au service du progrès de la condition humaine, la tentation de repousser les limites de la vie jusqu'à maintenir en vie des existences de souffrances au lieu de réfléchir au concept qui permettrait de "donner
la mort" au sens du Don et en profite au passage pour affirmer qu'il vaut mieux craindre l'idée de l'immortalité dans son précepte d'éternité absolu qui se résumerait à contempler impuissant à la disparition des choses et des vies autour de soi et qui se doit d'être par conséquent un remède contre l'angoisse de la mort.
Fustigeant la compétition qui amène à une dérive constante des activités sportives, qui à l'origine ont pour rôles de resserrer les liens au sein d'un groupe, pour devenir synonyme d'abus en tout genre au profit de quelques intérêts particuliers et exacerbe par la même occasion un fanatisme irrationnel, ferment d'une inconscience collective dégénérative.
Et pour finir, il met au banc des accusés l'économie libérale dont l'origine est une convergence d'égoïsme entre ceux qui désirent vendre au plus cher et ceux qui désirent acheter au moins cher, ce système permettant d'unifier l'égoïsme individuel en une force bénéfique à la collectivité trouve sa finitude dans une myopie qui empêche les marchés financiers d'anticiper les échéances à long terme se bornant à considérer le présent comme seul critère de choix d'orientation, faisant fi de la spécificité unique de l'homme qui est "d'avoir inventé demain et de mettre le présent au service d'un avenir souhaité".
Essai instructif qui appel à la réflexion sur bien des sujets et qui à défaut d'avoir des réponses toutes faites, demande que l'on se penche attentivement dessus pour ne pas se laisser prendre de vitesse par les démons intérieurs qui nous conduisent vers l'accomplissement fictif d'une destinée en forme de spirale infernale tout droit vers la sortie.
Albert Jacquard se garde de tout pessimisme en pointant du doigt les divers maux qui accablent nos sociétés et désir au contraire en appeler à l'intelligence et à la volonté de chacun pour propulser vaillamment notre avenir vers des concepts bien plus salutaire (que ceux qui nous sont servis tous réchauffés en provenance de la cuisine des élites "robotomiser") pour un "homme nature" et un "environnement humain".
De l'eau au moulin de nos réflexions 7 étoiles

Albert Jacquard écrit donc à l’un de ses arrières-petits-enfants adolescent qui n’existe pas encore. C’est une sorte de testament philosophique, qui amène à réfléchir sur quantité de thèmes de notre temps et sur l’avenir. Je suis peut-être impressionnée par l’intelligence de l’auteur, mais pour ma part, je n’aurais pas tant écrit avec l’intelligence qu’avec le cœur et les sentiments. D’autre part, je trouve le style fort compliqué pour être lu par un adolescent.
Dans l’ensemble, j’adhère à la majorité des constats, des critiques et des raisonnements énoncés. Je déplore toutefois l’absence quasi-totale de références à Dieu. Et à la fin du livre, l’auteur défend le communisme ou un certain socialisme contre le modèle capitaliste et libéral ; je ne suis pas convaincue. Je reste également sur ma fin parce qu’Albert Jacquard évoque de nombreux sujets sans entrer dans les détails ; il surfe sur beaucoup de problème auxquels il n’apporte pas de solutions concrètes. Il ne fait que s’interroger, réveiller les consciences, mais il ne prend pas toujours position. Je pense, par exemple, aux problèmes éthiques générés par les nombreuses découvertes en matière de génétique et médicales.
Il rappelle « (…) le mythe de Prométhée. Ce demi-dieu, ce titan, avait dérobé à Zeus le secret du feu et l’avait dévoilé aux hommes ; cette amabilité envers nous lui valait un supplice éternel : être enchaîné à un rocher et avoir le foie dévoré par un aigle. Tout prisonnier qu’il soit sur sa montagne, Prométhée, au XXe siècle s’est véritablement déchaîné ; il a continué à défier Zeus, et nous a apporté de multiples cadeaux nouveaux. »
A propos du téléphone portable, il dit : « La fascination est telle qu’innombrables sont ceux qui ne quittent jamais leur « portable ». Au volant de leur voiture, garnissant leur chariot dans un supermarché ou promenant leurs enfants, ils poursuivent une conversation avec un interlocuteur lointain dont bientôt, paraît-il, ils pourront non seulement entendre la voix mais voir l’image. Ils ne sont plus présents là où ils agissent, et sont probablement très peu présents là où ils sont entendus. A vouloir être partout, ils ne vont plus nulle part. »
Concernant le sport, il déplore la compétition et voudrait plus de solidarité. « L’existence d’un marché des joueurs où les dirigeants de clubs viennent s’approvisionner en talents est le signe d’un détournement de la finalité du sport dont nous ne voyons même plus à quel point il est scandaleux. »
Il dénonce la course à la consommation et prône le taux de croissance zéro. « Une boulimie de consommation s’est emparée de la plupart de nos contemporains. (…) Il est temps de crier « casse-cou », car ce comportement consiste à s’engager dans une impasse et, au lieu de freiner, à s’étourdir en allant toujours plus vite ; la catastrophe est pour bientôt. Notre société ressemble à un conducteur perdu dans un quartier où toutes les rues sont bouchées par un mur. »
Sa conclusion : « Ce dernier siècle nous a apporté une extraordinaire moisson de possibilités dont nos ancêtres osaient à peine rêver.
Et pourtant que de guerres, de massacres, de misères, de désespoirs ! (…) Quel est donc le ver dans le fruit ? (…) Ce ver qui pourrit tout ne serait-ce pas l’attitude que nous adoptons envers les autres ? Cette attitude est aujourd’hui (…) fondée sur la méfiance, la compétition, la lutte. L’évidence est pourtant que la coopération est seule féconde.
Un livre à recommander en tous cas aux décideurs.

Pascale Ew. - - 57 ans - 2 avril 2007