Le sortilège de Louisbourg
de Daniel Marchildon

critiqué par Libris québécis, le 21 juillet 2014
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
La Débâcle française en Amérique
Les Québécois de souche connaissent bien la bataille livrée en 1759 à Québec sur les Plaines d’Abraham. Elle mettait un terme, à toute fin pratique, au régime français en Amérique après une guerre de sept ans entre les belligérants. Mais ce n’est qu’en 1763 que la France céda officiellement à l’Angleterre ses quelques arpents de neige selon Voltaire en signant le Traité de Paris. Cet important combat fut précédé de nombreux autres. Pour son roman, Daniel Marchildon, un Ontarien francophone, a privilégié la prise du poste de Louisbourg en juillet 1758.

En plus de raconter ce qui conduit à la chute de Louisbourg, l’auteur donne vie aux 4000 habitants que compte cette forteresse construite face à la mer, plus précisément sur le Cap Breton en Nouvelle-Écosse, lieu stratégique pour repousser les envahisseurs potentiels du territoire français. Une barricade protège la population regroupée autour de l’église confiée à un récollet (franciscain), de l’hôpital dirigé par les frères de la Charité et de commerces essentiels à la survie comme la boulangerie. Chacun trouve son compte au milieu d’une agglomération composée, outre les Français, d’esclaves noirs, d’indiens mi'kmaqs et de quelques autres venus de partout. On se construit une habitation, on reçoit des soins médicaux, on fonde une famille, hormis les officiers militaires tenus au célibat.

À l’époque, l’Église n’est pas la seule à astreindre ses représentants à cet état. Un cœur peut-il s’empêcher d’aimer ? Quand le lieutenant Mathurin Le Mordant croise la ravissante Josette Guïon, un sortilège prend leur cœur dans des mailles dont il est malaisé de se libérer. Mais « la servitude et la grandeur militaires », dirait Vigny, ont de ces exigences, dont on s’affranchit au risque d’affronter le peloton d’exécution. Vivre un amour en silence est peut-être un supplice encore plus grand. L’esprit du temps contraignait à ce renoncement pour sauvegarder sa dignité au sein d’un monde assujetti à la fatalité. Cette mystique, à laquelle s’est opposé Vigny, découle d’une religion de l’honneur qui réprouve tous les dissidents prêts à perdre leurs privilèges comme celui de porter une épée s’ils ne sont pas condamnés à la mort.

La trame enserre assez habilement tous ces torons autour du siège de la forteresse de Louisbourg, incapable de riposter à un adversaire muni d’un arsenal impressionnant afin de s’emparer de ce site stratégique, qui donne accès à l’Amérique française. Le roman de Daniel Marchildon est fort intéressant, bien ficelé et bien documenté. Mais il reste que ça ressemble plutôt à un CQFD. L’auteur a tenté de tout emmailloter avec cette œuvre en négligeant de peaufiner davantage les rapports humains et le quotidien. Il aurait fallu réduire le nombre de personnages au profit d’un éclairage plus pertinent sur la mentalité du 18e siècle. Mais c’est quand même pas mal. Et c’est tout un vaste public qui pourra profiter d’une lecture de ce pan méconnu de l’Histoire du Canada.