La Nueve - Les Républicains espagnols qui ont libéré Paris
de Paco Roca

critiqué par Shelton, le 6 août 2014
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Anniversaire de la libération de la ville de Paris...
Certaines bandes dessinées ont des effets surprenants sur les lecteurs. Il en existe qui nous endorment tandis que d’autres nous mettent sous pression, sous tension grâce à une maitrise absolue du suspense de la part du scénariste et du dessinateur. Tout cela est bien vrai mais ce ne sera pas le cas de ce roman graphique, La Nueve, de Paco Roca, un auteur espagnol gorgé de talent… Quand vous refermez cet ouvrage, comme l’auteur, vous vous dites : « Je ne sais pas si je serais capable de lutter ainsi pour des idées » et on entend un des personnages de cette bande dessinée nous répondre : « On ne sait jamais avant que le moment soit venu ». Il se peut qu’alors nous ayons envie de crier : « Que jamais ce moment ne vienne ! ».

Il faut dire que nous allons ouvrir avec Paco Roca une page d’histoire à la fois tragique, inconnue ou presque, capitale pour nous Français. Ouvrons donc cette Nueve et replongeons dans l’histoire à partir de mars 1939…

Nous sommes à Alicante, la guerre civile espagnole est en train de prendre fin, les Républicains sont vaincus, ils s’agglutinent sur les quais du port et espèrent qu’un bateau pourra les emmener pour éviter la vengeance franquiste… Et, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’y a pas foule pour venir sauver ces Républicains. Ils ont été vaincus par Franco, Hitler et Mussolini devant une Europe qui n’a pas beaucoup fait entendre sa voix. La peur règne déjà en Europe, la guerre est proche, l’ordre noir et sanglant va faire régner la terreur…

Pour entrer dans son récit, Paco Roca met en scène l’auteur – lui-même – et un survivant de cette époque. On va donc avoir, tout au long du récit, deux narrations graphiques différentes : une en sépia et blanc, celle qui se déroule de nos jours avec le témoin et son environnement ; une en couleurs, celle de la mémoire qui se réveille et qui reprend consistance. Le personnage central, Miguel, va ainsi passer de l’état de vieil homme abattu qui attend la mort et qui ne parle jamais de son passé, à homme d’expérience qui relève la tête, qui retrouve le sens de sa vie, qui sera même honoré par ses proches… Et nous, lecteurs, nous apprenons à connaitre Miguel tout au long de cette vie, et quelle vie !

Je ne vais pas tout vous raconter mais, en gros, sachez que Miguel – et ils seront des centaines à suivre le même type de trajectoires – a d’abord été à Alger où il a séjourné trop longtemps dans un paquebot surchauffé par le soleil et sans approvisionnement correct car les autorités dépendant de Vichy ne voulaient pas s’encombrer de ces Républicains espagnols ; puis ce fut des camps de travail, la Légion étrangère, les troupes alliées, la campagne de Tunisie et le débarquement en Normandie pour aller libérer Paris…

La Nueve est le nom d’une partie de cette deuxième DB qui va participer à la libération de Paris et de France avant de poursuivre son aventure jusqu’en Bavière… Sa particularité, être constituée d’un très fort contingent de Républicains espagnols, communistes, anarchistes ou tout simplement opposants à Franco… Ils étaient persuadés qu’un jour, une fois la France et Paris libérés, on leur donnerait la possibilité de chasser aussi Franco pour rétablir la République en Espagne. A ce titre, ils furent les dupes de la libération et pourtant ils ont payé le prix fort…

Quant à la libération de Paris, celle dont on va fêter dans quelques jours le soixante-dixième anniversaire, il est bon de savoir que ce sont bien eux qui sont entrés les premiers dans la ville en état d’insurrection. Oui, ce sont bien des Espagnols républicains qui ont été là les premiers pour épauler l’action des résistants… C’est donc bien normal de leur rendre hommage un tant soit peu !

Une très bonne bande dessinée de la mémoire car même si les récits de combats ne sont pas votre passion, il me semble important de nous souvenir de ces combattants qui ont tout donné pour que nous retrouvions la liberté, alors que nous n’avons rien fait pour qu’ils puissent retrouver leur propre liberté… Ingratitude des vainqueurs, injustice des occidentaux et alliés, oubli malencontreux, peur du communisme, envie de retrouver la paix, besoin d’oublier toutes nos trahisons… Chaque lecteur mettra l’accent sur un point plus qu’un autre mais au moins, grâce à ce travail de Paco Roca justice aura été rendue à ces combattants à qui nous devons tant !!! Le travail sur la mémoire collective est indispensable et je suis très heureux quand la bande dessinée y participe !!!